jeudi 31 décembre 2015

Un maître à vieillir


L’année se ferme comme un établissement condamné. L’habitation n’est plus à la norme des hommes. Elle s’étiole, exige qu’on la rafistole. L’étourdi qui cogne à la porte est éconduit sans escorte.
Pourquoi la musique ? Le bouquin d’Etienne Wolff m’a laissé davantage orphelin, sans rien dévoiler d’un ciel étoilé. La gloire sonore est le trou noir d’un corps. J’ai fait taire en moi les tourments d’un mystère.
Je crois en la phrase parfaite. Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait Morand, un autre dur à cuire. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée. « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée » (Avant-propos de Femmes, Albin Michel, 1961).
Mitterrand aura cent ans. Les fils de vinaigriers jalousent les fils de cognacquiers. Derrière l’envie ou l’élémentaire sociologie, perçait une adoration de rejeton d’un même canton.
Mais demain, sacré bonsoir, qu’on m’épargne les éloges d’un triste sire, d’un homme médiocre, d’une arsouille, comme seul l’étiqueta le grand Ponge. Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher. Lentement, illico presto.

mercredi 30 décembre 2015

Une préférence matinale


Au moment de clore, quand décembre expédie sa dernière heure, j’observe le couchant sans remords. Je revendique un droit de fuite, d’en finir au plus vite. J’exerce une préférence matinale.
On se réveille à l’aurore pour la naissance d’un corps, « revoir une jeunesse »comme s’impatientait de Gaulle.
L’éclat des commencements ne ment pas. C’est une lumière qui ne vise qu’à satisfaire. Une plénitude qui dissipe la brume. Le début ne prétend à nul autre but. 
Le calendrier grégorien évoque l’épiphanie d’instinct. Il parle d’autorité. Je me cale dans l’axe du soleil. Je guette le bond du fauve.

dimanche 20 décembre 2015

Une république en toc


La république est en mal d’identité. Elle n’est invoquée que par des perroquets ânonneurs de chants guerriers. Elle ne parle que sous la terreur. Un linge tricolore sèche aux fenêtres depuis déjà trop d’heures.
La Corse s’extrait de la légion des régions. Elle déserte le bataillon sans la moindre sanction. Elle est dispensée de la classe de français. Un petit patron d’assemblée impose à la nation le démon d’une division. Il fait d’une collection de cantons l’arme d’une pression.
Talamoni, figure paroissiale, se rit de l’unité nationale. L’Etat de piètre urgence révèle l’étendue de son indigence. L’Etat se tait malgré les méfaits, l’assassinat du préfet. La république ne sait plus où elle habite.
A vouloir supprimer les aides au mérite, la république ne sait plus où elle habite. Les bacheliers peu fortunés étaient les premiers ciblés du renoncement républicain à l’endroit d’une certaine forme d’excellence, d’un style d’exemplarité, d’un modèle de société. Qui veut d’une république en kit, d'une république en toc ?

mercredi 16 décembre 2015

Une perquisition


L’ordre sécuritaire traque la terreur, là où elle se terre. Les maisons sont matière à soupçon, chair à perquisition. La violation de domicile est une grâce du ciel. La fracture de serrure mesure une bonne dureté d’Etat.
La vigilance se pratique à outrance, réalise l’idéal de transparence. Elle satisfait un prurit intrusif, cherche des puces au fils Fabius. Le joueur est une rancœur de percepteur.
Le zèle de brigadier révèle d’inédites vérités. Il assimile au besoin le catholique romain à un homme de main salafiste. Il identifie la trogne à barbe d’un poster à l’icône d’un imam sanguinaire.
_ Qui c’est cette bouille ? questionne le chef de fouille. 
_ Léonard de Vinci.

lundi 14 décembre 2015

L'adresse du domicile


La politique est un métier de blabla qui obéit à un seul postulat : la gauche gâche, la droite rate.
Le week-end avait bien commencé puisque la gauche avait gagné sa première coupe vingt et un. Hollande caracole dans les nuages des sondages. Le climat lui fait un bien fou. Abaaoud lui avait donné un coup de pouce. Avec Coulibaly et Kouachi, fins stratèges de l’Elysée, il a redoré le blason de sa maison. Les trois meilleurs conseillers du Château ont fait le boulot, lui ont même sacrifié leur peau.
Dimanche, la droite, qui ne comptait qu’un seul régional de l’étape leader de scrutin, a placé sept de ses coureurs dans l’échappée victorieuse. Elle sauve les meubles sans recueillir pour autant la franche sympathie du peuple.
La gauche rétrécit au grand lavage des suffrages. Son chef hors sol confie à son premier adjudant le soin d’occuper le terrain. Le Drian fait la démonstration qu’on peut être champion de région sans quitter son porte-avions. C’est l’un des cinq requinqués du nouveau découpage des contrées.
Le premier parti du pays n’obtient même pas les félicitations du jury. Pas d’accessit pour une formation dynamite.
L’élection est bonne fille car tout le monde gagne sur le fil. Le scrutin est pervers puisque chacun sait qu’il perd. Le peuple des régions bouscule sa représentation, dérègle les esprits, vide de sens les mots d’échec et de succès. Lundi, les partis encore groggy s’interrogent sur l’adresse de leur domicile.

dimanche 13 décembre 2015

La foire au climat


A cent quatre vingt quinze, on s’entend comme larrons en foire. Par contre, on se neutralise à vingt-huit. A sept fois moins, on se tord la main.
La construction européenne n’est pas assez généreuse dans son recrutement. Elle est étriquée dans sa conception d’un tour de table. L’Europe est une petite Cop qui s’emmêle dans ses querelles de peuples. Si d’aventure elle multipliait les nations qui la composent, on s’accorderait plus à l’aise sur quantité de choses.
L’euphorie du grand gala du Bourget ne vaut pas que pour les contrariétés du climat. Les beaux sourires carnassiers faisaient plaisir à voir. On filma l’émotion de Fabius pour un degré Celsius. Plus on est de fous, plus on s’étourdit les joues. Il faut que l’Europe s’élargisse dans une même allégresse.

samedi 12 décembre 2015

L'aveugle


Je dîne face à l’aveugle. Il ôte ses lunettes, dévoile ses yeux. Il baisse sa garde, pose un regard comme s’il jouait cartes sur table. L’homme est disert, faute de lumière. Je suis sourd à son discours.
Sa main choque un vin, cherche l’entame d’un pain. Il narre une vie, parle avec brusquerie; rare est sa fantaisie.
Il est tiré à quatre épingles, n’a pas bougé d’un iota; à peine une boursouflure sur la figure. La serveuse s’enquiert des désirs de gourmandise.
Avant qu’il ne se taise, la brune oranaise évoque ses déboires de coiffeuse. La confidence déblaie le chemin d’une connivence. Jean l’exhorte à lire La Peste.

jeudi 10 décembre 2015

Nos héros


Un samedi d’hiver, j’ouvrais les grandes grilles d’un ministère, sur les lieux mêmes de l’ancienne école polytechnique, au pâle Bartolone, serré dans sa pèlerine. J’accueillais un conférencier de rechange. Il était petitement arrogant comme il sied à un manant saisi d’embourgeoisement. Il s’exprima avec une pontifiante médiocrité. Le député n’épata pas. Barto n’imprima pas dans la mémoire de nos labos. Une erreur s’était glissée quelque part. Il grimpa jusqu’au perchoir. Quatrième d’une république qui me peine.
Je me souviens d’une petite boulotte, mandatée par l’Elysée, sur une péniche des bords de Seine où Amazon fêtait en fanfare l’ouverture de sa succursale parisienne. Son père peu expert, voire sommaire, m’avait enseigné des rudiments d’approximative économie. 
Pécresse n’évoque pas les grands espaces, Barto n’a rien de nos héros nationaux. Je me demande bien pourquoi les hasards de la vie m’entraînent au plébiscite d’une reine et d’un roi pareils. 

lundi 7 décembre 2015

Sang impur


La Marseillaise a pris comme une mayonnaise.  On la chante dans les mosquées, les minarets et les dancings sonorisés. Le ministre premier a une mine de crevé. Les grandes mâchoires entonnent leur chanson de guerre, l’hymne au sang impur des belles étrangères. Le ministre premier a une figure de déterré.
Il est disc-jockey, chef de chorale, agitateur de drapeau national. Il est blanc comme un linge, leader de bleusaille, moins rouge que les rougeauds patriotes qui votent faux. Il tremble dans un petit corps tricolore à la grand’messe du vingt heures. Le ministre premier donne une consigne d’orientation comme un évêque sa bénédiction. 

dimanche 6 décembre 2015

La bête pantelante


La nation est charcutée en grasses régions bouffies. On dirait le jeune continent d’Afrique tranché au couteau, délimité à la règle. La bête pantelante est faite de treize quartiers numérotés. La région tricolore est une songerie de colon géomètre, une fantaisie de boucher dépeceur.
La démocratie se dégourdit les chevilles à l’intérieur d’un arbitraire bornage. L’électeur jogge, vote dans son parc. On interroge les urnes d’un peuple en treize morceaux. La géographie de cadastre est un latin de cuisine. Il n’est parlé que par ses curés mal lettrés. Chaque chef d’un bout de puzzle sourit à sa parcelle de peuple.
Vite on vote. On dépose un bulletin mais pas les armes de poing. L’adjudant catalan ceinture son imper à épaulettes. Il braille national, exhorte à la guerre totale. Le président du Bourget, gai comme un pinson, pilote un porte-avions. Il jubile au large de la Libye. Les batailles sans merci sont les plus beaux jours de sa vie. 

jeudi 3 décembre 2015

Et bagdadi et bagdada


J’embrouille ma tête avec des épithètes. Je note mes rêves patriotes. La politique de mon pays est un merdique gribouillis. Nos soldats débarquent à Obama Beach. Et bagdadi et bagdada. Les premiers communiants nous mènent au néant.
De Gaulle, c’était bien. L’histoire n’était pas une marque blanche, dénuée de sujet, verbe, complément. On ne se requinque pas avec des corps quelconques.
Dominique de Roux s’adresse au grand sachem : « Général de Gaulle, avec votre gueule d’éléphant du quaternaire, vous étiez l’homme providentiel, parce que vous n’étiez rien si ce n’est, jusqu’à quarante ans, votre propre disciple » (La France de Jean Yanne, Calmann-Lévy, 1974).
De Gaulle était un baobab millénaire. Hollande est un arbre à guirlandes. L’homme sans style dissuade les stèles. Il traîne ses bajoues de dignitaire, s’émeut de Barbara, reine d’un jour des barbares.

mardi 1 décembre 2015

Le militaire Noël


Après novembre, ses saints de jour férié, ses cimetières fleuris, son soldat inconnu, ses victimes identifiées, ses tueries nazies et son Medrano écolo, voici décembre et ses vitrines, ses cadeaux obligatoires et son sapin dérisoire, ses guirlandes et son double gueuleton à l’horizon.
Les enfants délurés touchent les fusils baissés des militaires postés. Cette année, le Père Noël s’est déguisé comme ils aiment. Le soldat d’état d’urgence l’a frappé d’obsolescence. On oublie la tunique rouge coquelicot. La panoplie kaki est dernier cri.
Des rares balcons, où le drapeau d’injonction s’éternise, pendouillent désormais de petits alpinistes de maison. Ils ornent les fenêtres patriotes de gnomes à capuchons, distributeurs de songes creux. Le chef des armées souhaiterait qu’ils soient bariolés des mêmes trois couleurs du mois dernier.
Bref, le militaire Noël a relevé de ses fonctions le vieux pépère tombé du ciel, encore rouge d’un sang qui coule. Pour de vrai. Sinon, les enfants feront des rondes, un peu comme des manifestations. 

lundi 30 novembre 2015

Boulevard Voltaire


La trajectoire d’automobile vient choir à Montreuil. Elle a perforé la ville comme un gratte-ciel d’Amérique. Abaaoud revient dessous la terre, sur les lieux d’une guerre, boulevard Voltaire.
Abaaoud jouit d’un spectacle d’enfer comme Satan de ses actes pervers. Il a criblé de balles la frêle tolérance de Voltaire dont le nom désigne l’urbaine artère de sang.
La tragédie date de 1741. Elle traite du fanatisme. Elle est consacrée à Mahomet. François-Marie Arouet regarde le prophète de travers, l’observe de biais, le taxe d’imposteur et de charlatan, le qualifie de fourbe et de meurtrier.
C’est pourquoi Daech cible l’écriture sèche de philosophe. Il venge Mahomet des tirades acérées d’Arouet. On demande de l’aide. Abaaoud se balade.

vendredi 27 novembre 2015

Un visage déjà vu


Aux Invalides, les visages sont livides. Le froid pince. Le rond président est engoncé dans son petit vêtement. Le chef des armées est assis comme un gardien de musée.
Il chipe à Malraux ses mots. Hollande fauche au Dédé du Panthéon ses dernières syllabes mémorables, dédiées à Jean Moulin. « Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France ».
Malraux, c’est quand même un type qui frissonne pour une voyelle, qui s’émeut pour une virgule. Hollande chaparde en illettré la chute inspirée du ministre aventurier. Il la destine en faussaire aux cent trente victimes d'un vendredi treize. 

jeudi 26 novembre 2015

Aussi peu d'embarras


Nous étions de plain-pied dans la guerre et nous ne le savions guère. L’irénisme européen occultait un tragique destin. On s’attablait aux terrasses loin du monde féroce. La fusillade a brisé la communion des orangeades. Elle a stoppé le développement durable de la désinvolture. Les enfants de chœur à jolie mine n’ont pas fini leur grenadine.
Bergson relate comme personne l’instant de sidération que provoqua la Grande Guerre, la der des der : « Malgré mon bouleversement, et bien qu’une guerre, même victorieuse, m’apparut comme une catastrophe, j’éprouvais un sentiment d’admiration pour la facilité avec laquelle s’était effectué le passage de l’abstrait au concret : qui aurait cru qu’une éventualité aussi formidable pût faire son entrée dans le réel avec aussi peu d’embarras ? » (Œuvres complètes, éditions du Centenaire, PUF, 1991, pages 110 et 111).
Le philosophe du Rire admire l’aisance du changement de décor, le continuum sans coutures, le transit sans frontières d’un petit bonheur à l’horreur brute.
Quoi qu’on dise, c’est une guerre au sol, cent pour cent civile. Aucun soldat n’est mort dans la bataille. Les pioupious ont un statut d’angelots, cantonnés au ciel. En revanche, la chair à kalachnikov est massée dans une salle de concert.
Les tirailleurs du Petit Cambodge ont pénétré la réalité sans badge, sont sortis comme des diables des pires songeries de Dostoïevski, pour taillader les corps vrais, en faire jaillir un sang martyr comme on criblerait un puits de pétrole d’Orient.
Il a suffi d’un bruit de culasse, d’un culot de commissaire dégueulasse, d’une audace de bandits criminels. La petite bande en virée a déchiré une sorte de paix en papier. Elle est entrée dans un bien commun comme dans un moulin. On interroge les mécaniciens comme s’ils maîtrisaient les destins. L’adjudant catalan, droit dans ses épaulettes, jure ses grands dieux qu’il ne se bourre pas la gueule. 

mardi 24 novembre 2015

Guerre et paix


Le bellicisme est revendiqué, lèvres pincées. La guerre totale est un slogan communicationnel. Les politiques, sans état d’âme, sont démangés par les armes. L’ardeur guerrière empourpre les discoureurs de verrières. L’aiguillon du coup de menton désigne l’horizon.
Les militaires manient la dynamite avec des pincettes. Ils se taisent par hypothèse. Ils sont muets par décret. Ils se terrent dans l’Internet. Ils blaguent sur leurs blogs, se gaussent des faux braves, des matamores d’estrade. Nos hommes d’armées, couturés de cicatrices, privilégient les diplomaties d’apaisement. Ils savent par nature que la guerre embringue au-delà d’une posture. La lucidité de chef d’armées se mesure au sang versé.
Bref, tout se passe comme si les brutaux politiques brandissaient des épées que les sages généraux répugnaient à dégainer.
Les stratèges militaires n’ont pas seulement lu Clausewitz (« Le premier à dicter ses lois à la guerre, c’est le défenseur et non pas l’attaquant »), ils observent un déni de réalité collectif quant à la capacité effective des maigres forces nationales. D’où le périple à la hâte d’un président mendiant qui fait la manche à Washington, Moscou, Londres et Berlin. A l’évidence, il se dispense des enseignements les plus rudimentaires de l’ère gaullienne.
Les penseurs militaires - notamment le colonel Michel Goya « La voie de l’épée » et le général Vincent Desportes « La dernière bataille de France » - ont déterré la hache du parler vrai. 
Ils renvoient les politiques à leurs responsabilités premières, à leur cœur de métier, à savoir le travail négocié de la paix. Ils refusent que la guerre, proclamée dans les palais, soit instrumentalisée à des fins de détestable parade. La posture de chef de guerre exige une clairvoyance élémentaire sur les conséquences de la violence.

samedi 21 novembre 2015

C'est une horreur


« On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté » (Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Denoël et Steele, 1932, chapitre II).
Ses postures de guerre n’étaient jusqu’alors que de la gnognotte, des fanfaronnades de matamore, une allégresse de bleusaille. L’expédition au Mali comblait un rêve d’enfant gentil, qui obéit : « C’est le plus beau jour de ma vie ! ».
La voix du premier magistrat cahote dans le noir comme un disque d’époque. L’oblique de sa cravate est moins observée que ses bésicles embuées.
Il achève un bout de phrase comme s’il mastiquait l’insaisissable morceau d’un mol aliment. Il marque une pause hors de souffle, risque trois mots qu’il peine à extraire du silence : « C’est une horreur ».
Hollande confie au micro ses premières émotions de bordel, ses dernières impressions d’une guerre sans dentelles. Le peuple au lit mime son chef étourdi par un commencement de voyage au bout de la nuit. Il en copie les tics. Il manie la larme automatique.

Larme automatique


Le Bataclan est un lieu saint inespéré, de promenade de santé, de parade et de ramdam, où se recueille une badauderie espiègle et décomplexée.
Les touristes pratiquants commémorent l’horreur au rythme lent de selfies tristes. Les roses sont les emblèmes des heures moroses. Le Bataclan est une cerisaie dont Kalachnikov serait un héros de Tchekhov.
La larme automatique dégouline sur les zygomatiques. Les bons sentiments sont des barrières Vauban, une forteresse trouée de gentillesse. Faute de savoir prier, les endeuillés d’office défilent à pied.

jeudi 19 novembre 2015

La perversité des libertés


L’état d’urgence pare au plus pressé. Il signifie que l’Etat s’en remet  aux hommes de sécurité de la société.
La vie humaine est vieille de sept millions d’années. C’est un bien récent, le plus précieux, qu’il convient de préserver. Sa chair fragile est son orgueil. Elle l’expose aux carnages d’un nouvel âge.
Le primat de la vie, clairement identifié, oblige à extraire de son sanctuaire une justice routinière, ressentie comme un luxe ostentatoire, le visage à découvert d’une certaine irresponsabilité.
La réflexion du justicier ergoteur entrave l’action du policier salvateur. La raison longue de l’homme de loi nuit à l’exécution de l’état d’urgence.
Si, à bon droit, la peine de mort a été abolie, si la guillotine a cessé de décapiter dans notre pays, tout se passe comme si la passivité administrative de l’institution judiciaire devenait l’allié objectif des réseaux de tueurs djihadistes.
Jusqu’aux trois-quarts du siècle dernier, la société donnait légitimement la mort aux pires de ses meurtriers. Aujourd’hui, elle facilite - à son corps défendant - le terrifiant massacre d’innocents. L’état d’urgence est sur les dents. Il colmate les brèches. Il écope le bateau à coups d’assauts. Il est confronté à la perversité des libertés. 

mardi 17 novembre 2015

Les deux pyromanes


L’Amérique, gendarme du monde, vitrine de Noël d’une humanité aux mille nations rivales, a produit deux chefs d’Etat calamiteux, deux piètres sires sur la scène mondiale, deux pyromanes criminels : le gentil Bill Clinton et le méchant George Bush, l’un démocrate, l’autre républicain. Dans ce pays sans laïcité, où Dieu est imprimé sur les billets, ils avaient tous deux prêté serment sur la Bible.
Le beau et bon Clinton à tignasse argentée a provoqué une crise économique internationale, d’une ampleur inégalée depuis la Grande Dépression des années 1930.
L’irresponsable président a desserré le crédit, par pure démagogie, par souci électoral plus que national, au point d’endetter au-delà de toute raison une classe moyenne leurrée par le mensonge d’Etat. Le fauteur de la crise des subprimes s’appelle Bill Clinton. Le monde a frisé la banqueroute. Depuis lors, nous sommes dans de beaux draps. Nous ne sommes pas sortis du trou noir de l’économie.
George Bush fils a disloqué l’avenir du Moyen-Orient. Il a fragilisé la paix du monde. A partir de menteries éhontées sur d’hypothétiques armes chimiques, le président inconséquent a bombardé l’Irak en Texan, sans le moindre discernement. Il a cogné l’Arabe. Il a organisé un chaos politique de nature à réveiller l’immense ressentiment d’un islamisme vengeur.
Bref, le terrorisme de Daech n’est que le fruit empoisonné de la folie yankee en Mésopotamie. L’enfer règne au paradis de la Genèse, entre le Tigre et l’Euphrate.
Bush et Clinton, les deux compères d’échecs retentissants, présentent un bilan terrifiant qui hypothèque la paix et la prospérité de la planète.
Le Grand Satan s’est fractionné en deux démons à bonne conscience humanitaire, à sourire marketing. Clinton a creusé notre dette abyssale. Bush a armé les tirailleurs sanguinaires de Paris.
Hollande s’attelle à réparer les dégâts de Bush plutôt que les dommages de Clinton. Il privilégie le pacte de sécurité au détriment du pacte de stabilité. L’histoire de nos déboires s’écrit en temps réel.

Même pas peur


Faute de troupes au sol avec lesquelles ferrailler, Daech expédie une poignée de tirailleurs par les jolis boulevards de Paris. Deux petites berlines allemandes suffisent à convoyer une fratrie islamique qui s’en donne à cœur joie : ball-trap aux terrasses de café, tuerie nazie au Bataclan, feu d’artifice à Saint-Denis.
Les possédés de Mahomet se saisissent d’une faille béante du monde civilisé. Ils capitalisent sur une couardise. Leurs cibles choisies évitent soigneusement les sables de Syrie, refusent le choc frontal, le corps à corps fatal, treillis contre treillis.
C’est pourquoi ils viennent en auto nous sortir de notre salle de concert. Ils nous empoignent par le collet, nous exécutent en faux guerriers. Nous sommes aujourd’hui surtués, à visage découvert : par une soldatesque sans complexe et par une grotesque absence de défense !
A craindre la mort, à ne plus vouloir périr pour la moindre grande cause – Dieu, la Nation, la Liberté -, nous nous désignons en victimes, nous sommes vaincus d’avance, nous somme des cibles faciles.
Les barbares arpentent nos boulevards, drogués de haine idolâtre, bourrés d’autant d’explosifs que de catéchismes primaires, viennent nous déloger sans peine de notre retranchement.
La réponse solidaire de « Même pas peur » n’est qu’un mensonge sur soi-même, une fausse armure, une vaine posture. Car des civils aux soldats, nous avons tous peur de mourir.
« Même pas peur », c’est en revanche l’éclatante vérité de sang des huit frères combattants, producteurs d’Enfer au prix du Paradis.
Notre solidarité masque une impuissance. Il faut lire « La dernière bataille de France » (Gallimard, octobre 2015). Le général Vincent Desportes y cite Charles de Gaulle : «  Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

jeudi 9 avril 2015

Fragments d'un sentiment

Depuis l'origine, aux abords de l'école, j'aligne des mots devant les choses. Je me décoiffe devant la beauté. Je tranche dans la langue française. Je confectionne des textes, mes petites écritures, comme des recettes de confiture. Je suis sensible à l'écho des bocaux. J'aime le goût de mandarine de ce que j'imagine. J'entasse des milliers de pages de mes séjours dans les nuages.
Aujourd'hui, j'ai envie de faire une photographie du dépôt, de tout ce ramassis, de toiser la hauteur des stocks, de métrer le linéaire littéraire. Après quoi, j'empaquèterai ma marmaille, ficèlerai la marmelade, cachèterai le glorieux matos.
J'hésite entre deux titres sur l'enveloppe. Je garde la main sur La cicatrice du brave, référence à la chaude pisse de Flaubert. Mais je me laisse tenter par Fragments d'un sentiment, qui touche aux éclats de balle du journal.

mardi 7 avril 2015

Une langue étrangère

Chambre trois cent vingt-cinq, huit avril, Sainte Julie. Maman est morte. Dimanche, je vois ses yeux d'aveugle, blancs comme un texte manquant. Je sens ses doigts. Maman a choisi son côté d'oreiller. Elle est couchée dans un lit en chien de fusil.
Elle dort d'une respiration régulière. Elle est confiante comme une enfant. Elle est loin de moi. Elle est avec les anges, plus qu'avec mes phalanges. Je touche sa paume. Ma peau, mes doigts ne lui font ni chaud ni froid.
Je suis muet. Je ne sais pas parer au plus pressé. J'entrouvre une porte. Maman est morte en quelque sorte. On ne s'est rien dit du bonheur, on s'est manqué à un quart d'heure. J'ai du mal avec les images d'hôpital. La mort m'est une langue étrangère.
J'écoute son souffle comme la musique de l'amour, l'extrême misère d'une chair. Avant qu'elle ne se désaccorde, avant que la mort ne morde, avant que les jours ne se fâchent et que la mémoire ne s'ensable. Elle se donne en madone. J'emmagasine une faiblesse comme une force invincible. Je veillerai jusqu'à son réveil.

Zéro

Le zéro est le signe du chiffre ressuscité. Il opère en dépit du bon sens. Il règne en grandeur quand il divise. Il fractionne jusqu'à l'extrême. Sa fracture est l'infini. Le zéro contamine les nombres, les frappe de nullité arithmétique dès qu'il multiplie.
Il n'ajoute ni ne retranche. Il se fiche du progrès, ignore plus et moins, croissance et décroissance. Le zéro est sobre, svelte comme une révolte. Il court l'espace du vertige. Le zéro jouxte l'infini qu'il crée ex nihilo.

lundi 6 avril 2015

Noli me tangere

Les grandes orgues ébranlent une cathédrale comme une marée fouette un littoral. La prière est le savoir impossible d'un sanctuaire. La musique vient d'entrailles telluriques. La basilique étourdie est un chant d'éboulis.
Il est de bonne heure, elle court, elle pleure. Les officiants murmurent un latin, drapés d'une bure bleue de Klein. Marie de Magdala est mue, émue, remuée par ce qu'elle a vu, à deux pas. Rien, le Seigneur, la fondation d'une religion. Dieu de ses yeux. Le christianisme résulte du tombeau vide comme les mathématiques du mystérieux zéro.
Il est de bonne heure. Marie croit ses yeux, vainc sa peur. Elle s'adresse au jardinier. Mais son regard l'égare. Jésus la nomme dans un cri: "Marie !". On ne sait rien au juste de Jésus et de Marie, sauf que Pierre au tombeau est distancé par Jean, l'aimé du Christ.
L'Eglise traîne des pieds, se débarrasse de Marie comme d'une femme de mauvaise vie. Avec dureté d'amour, le Christ coupe court: "Noli me tangere". Jésus est intouchable. Il tangente le ciel et la terre.
Le paradoxe veut que Jésus se donne jusqu'à l'os, se laisse dépouiller d'une vie dont la fragile eucharistie est une sublime effigie. François Cassingena-Trévedy exprime l'intuition d'une foi avec une admirable concision: "Il n'est point ici-bas de proie toute innocente, de proie à l'état pur. Examine-t-on les choses avec tant soit peu de soin, et l'on s'avise bientôt que toute proie est en réalité prédatrice de quelque autre proie plus faible qu'elle... La seule proie véritable, la seule proie absolue est celui qui, infiniment plus bas qu'ici-bas par position naturelle et consentie, a déclaré: "Prenez et mangez: ceci est mon corps" (Etincelles IV, Editions Ad Solem, page 89).

samedi 4 avril 2015

C'était aujourd'hui

C'était aujourd'hui. Un jour comme aujourd'hui. Le quatrième jour du quatrième mois. Isidore, saint du calendrier, est un nom de valet de pied. Isidore Ducasse était né du même soleil, pareil qu'aujourd'hui, dans un semblable bruit d'os. Isidore Ducasse, faux comte de Lautréamont, meurt à vingt-quatre ans au champ d'honneur des Chants de Maldoror. 
C'était aujourd'hui. Maman s'est dressée par fierté malgré la contrariété des années. La dernière fois d'une femme de foi. Ses jambes tachetées ont hissé son visage à hauteur de Jupiter, sur le quadrangle de tricot vert. Elle rit à ses acrobaties de tapisserie.
Elle est debout, en joue. Elle oppose un corps de cristal à la métamorphose murale. Elle est frêle comme une grâce du ciel. Elle est en première ligne, vêtue d'amour et de courage, couturée de partout.
La nuit va tomber comme un rapide verdict. Maman chute sur la table en bois brut. Elle se fracasse le visage, voit la mort en face.
Elle a salué sa maison, l'auditoire de sa mémoire. Ses yeux bleus ont imaginé l'adieu. La porte de l'entrée a grincé. Un rayon de soleil a jauni les carreaux. Je l'entends m'exhorter à lui tenir compagnie:
- Vous devriez venir, c'est le paradis !

vendredi 3 avril 2015

De la musique

La musique se passe des choses, merci, se moque du monde. Elle advient, surgit, rougeoie. Elle s'entend entre deux néants. C'est une symphonie d'un nouveau monde. L'escapade sonore s'affranchit du sens mort comme on coupe une soif à travers chants.
Les deux mondes - le musical et le brick and mortar - se ressemblent comme deux gouttes d'eau, s'accordent sur l'étrangeté, le manque d'écho.
Les insensés s'apparentent volontiers, se débrouillent d'un bruit de fond. Dès l'origine, la musique est fille du numérique, fuit les géographies analogiques. Elle se stocke ad libitum dans une mémoire d'homme. Elle n'encombre pas la tête d'un surcroît d'octets. La musique est fabless. A défaut d'usine, elle s'imagine.
Sa vie est une bougie entre deux nuits. Elle taquine deux zéros monumentaux, deux tacites nullités, deux admirables vides. Elle musarde en chemin, dans l'intervalle du rien. Nous autres, depuis la naissance, sommes faits de cette incandescence.

jeudi 2 avril 2015

Saint Dick

Le calendrier des postes réserve des temps de parlote, des moments d'assemblée, des plages de longs bavardages. La réunion de syndic est une cellule psychologique.
On vote à tire-larigot. On se jette des noms d'oiseau. Le copropriétaire s'arc-boute sur un lopin de terre. Il défend mordicus son humus. On se réunit des heures pour se faire peur, tester les humeurs.
La thune colore les figures d'une couche d'amertume. L'argent facilite le coup de sang. On guerroie sur l'ascenseur, on pactise sur les ordures. Le droit se fait valoir de manière ostentatoire. L'esprit du tantième impose une géométrie des haines.
On observe le culot d'Esculape. Une criaillerie de toubib révèle une menterie ordinaire, une blessure d'honoraires. Un médecin prodigue ses bons soins à ses fifrelins orphelins. Après les palabres, les paraphes. L'arrière-pensée est interdite de cité. Le compte rendu gomme la querelle de rue. Le culte de Saint Dick est un rituel sympathique.

mercredi 1 avril 2015

La photographie

J'ai besoin de me dérouiller les doigts. Je crains la déception du crayon. J'hésite à extraire la photographie de son album d'étagère. J'aimerais la reproduire, tracer des zigzags sur un cahier de repentirs.
J'hésite, m'invente un motif de fuite, me piège à mon satisfecit. Je ne suis guère au clair avec mes zébrures austères, mes petits dessins d'instinct. Je tourne autour, je passe mon tour.
J'ai envie d'une page comme on griffe une joue. Je veux une figure comme on dénature un regard. J'attends parmi les signes. Je guette une lumière assassine. Rien ne presse à l'accomplissement d'une justesse. Ma main s'entraîne au dessin d'une prière. Je songe au moine de Ligugé.
"Si obscures et douloureuses que doivent être - qui sait ? - les circonstances de notre trépas, il faudrait que nous fussions aussi sereins à disparaître que le soleil est magnifique à se coucher ".

mardi 31 mars 2015

J'en connaissais les regards

La vieille étudiante du bout du banc a jeté sa chevelure de biais, lâché ses yeux de côté, égaré sa joue dans le vide, confié sa nature à l'inquiétude.
J'en connaissais les regards, la gamme de ses éclats. Je mets un nom sur une apparition. Je recueille une lumière comme un pan de revolver, une douceur de la terre, la radieuse ferveur d'une mère.
J'en connaissais les ruades, les brèves incartades de visage. Je lisais dans sa tête. J'entends César Franck, le silence et la tristesse qui mordaient une jeunesse.
Derrière le violon, je vois violet dans ma maison. Dans ses yeux je me noyais à qui mieux mieux. J'en connaissais la volonté, la royauté d'un pardon.

Hollande + Sarkozy

Hollande calme le jeu. Il se démarque de l'ancien monarque, temporise quand l'autre hystérise. Hollande ne se presse pas davantage que la croissance. Il laisse du temps à l'entretemps. Il se promène dans le pays, l'abdomen arrondi.
La rondeur ne fait pas le bonheur. Les synthèses ne suscitent pas d'extase. A ne pas avancer, Hollande est engoncé. Il fait un saut à Tunis, marche un peu, solidaire, sans céder pour autant à la frénésie du jogger.
Il se fiche des cantons comme de son premier mandat. Il est dans sa nature de sourire en pleine déconfiture. Le peuple murmure. Il a nommé Valls à la gesticulation des dossiers. A défaut d'un Sarkozy en boutique, il réactive un imitateur aux mêmes tics.
Avec pareil artiste, le président normal réenchante la chorale socialiste. Hollande a de l'appétit. Il avale Valls. Le cobra a de l'estomac. Avec Valls le matamore, c'est Sarkozy qu'il s'incorpore. Il élargit son ventral et sa base électorale. Il endosse l'habit élyséen de deux présidents en un.
Hollande reste Corrézien d'honneur, président Queuille d'instinct. Il se dédouble à la télévision en petit bouledogue de foire qui impressionne les rédactions. Hollande = Hollande+Sarkozy. C'est la venimeuse équation du petit père de la nation.

lundi 30 mars 2015

Piqué sur les cantons

La cécité guettait le copilote. La surdité entravait déjà son travail de cabine. Un avion ne tourne pas rond quand un pilote se fait bûcheron.
Valls, qu'un philosophe taxe de crétin des Pyrénées, pique sur les cantons, mâchoires serrées, épaulettes guillerettes d'officier de Messerschmidt.
Hollande s'est absenté rue du Cirque. Il veut regagner son fauteuil vacant de pédalo volant. Hollande veut s'asseoir dans le cockpit pour voir la nation déconfite. Le Drian lui prête sa hache de Mohican.
" Manuel, ouvre-moi !". Valls n'entend que les communicants d'Havas. Manuel manie les manettes. Dans l'avion, la cargaison de chefs de cantons crie à la trahison. Valls fonce tombeau ouvert sur le Massif des Trois-Evêchés, relief sans laïcité. Hollande songe à Placé pour le remplacer.

On dirait de deux bénédictins

Jusqu'en juillet, je sais que je vais jouir d'un été perpétuel, vêtir mes yeux d'une lumière sensuelle, me taire devant la couleur de Bonnard.
J'ai déterré un petit bout d'ouvrage sur une étagère qui croule sous les pages. C'est une fenêtre qui donne sur des joies modestes.
Matisse et Bonnard ont besoin des mots pour dire une complicité de pinceaux. Ils s'écrivent, presque en cachette, à la dérobée, sans autre théorie qu'un bonheur de coloris. Bonnard prie le destinataire de croire en sa "bonne amitié". Matisse met les points sur les i: "Oui ! Je certifie que Pierre Bonnard est un grand peintre pour aujourd'hui et supérieurement pour l'avenir".
Car à peine mort, le peintre du Cannet était encore moqué par l'illettré d'une revue renommée. Picasso raillait l'indécision de son pinceau.
La somptueuse correspondance des deux artistes est précédée d'une lumineuse épigraphe, griffée Gracq: "...On dirait de deux bénédictins qui se renseignent l'un l'autre avec urbanité sur l'avancement de leurs travaux jumeaux, et s'entraident sans égoïsme et sans petitesse à serrer de plus près la vérité".

vendredi 27 mars 2015

Souffle du désert

Le buffet dégrafé de Vincent Dubourg est une tignasse en bataille, une bourrasque de tôle ébouriffée. Le souffle du désert déglingue une desserte. Il barre son oeil de sable ensoleillé. Ses feuillets disloqués sont en métal d'automne. L'art se frotte au blizzard. Il décoiffe une armoire à soif. Le designer de Felletin éborgne un quadrangle, dépèce un bronze, fouaille ses carreaux d'entrailles.
Le meuble d'or est une bête rapiécée, tatouée de chair et de lumière. Il jette ses tiroirs comme des regards. Il est aveugle au murmure d'un peuple. Il se cramponne aux dorures déchiquetées comme aux sciures d'une écorce éclatée.

jeudi 26 mars 2015

Le chemin d'une chair

Ni jazz, ni rock, ni rap ne bougeront d'un pouce une carcasse d'homme. Un corps ne tournoie qu'intérieurement. La ballerine danse en son silence le plus intime. J'écoute Saint-Saëns, bouche bée, fesses vissées.
La musique est endiablée, possédée du démon de la mobilité. Je préserve un corps de sa qualité de tronc, de sa figure d'extase.
Mon corps ne se meut qu'au plus fort de nous deux. C'est quand il fait des étincelles que le corps zèbre le ciel. Je pratique un transport de haut niveau. Je délie les gestes de ma liturgie. Je sais d'instinct le chemin d'une chair. J'accomplis une pieuse chorégraphie. Je tourbillonne sans qu'on me carillonne. J'ai chassé le bruit. Je jouis de la nuit.
Les mots du moine sont comme l'écho d'un patrimoine: "L'effort finit toujours par sentir mauvais".

mercredi 25 mars 2015

Les strophes de la catastrophe

Le bus des airs n'a pas troué le massif marmoréen comme deux tours siamoises. La montagne n'est pas un building de Manhattan. Elle a stoppé le gros oiseau, broyé la bête opiniâtre, dépecé ses chairs.
Les perroquets s'agitent dans leur cage en fer. Ils sortent des ministères. Nos Jacquot ont des micros. Ils ajoutent des strophes à la catastrophe. Ils ne savent pas se taire, prennent l'hélicoptère. Ils commentent plus qu'ils ne mentent.
Les mouches du coche brûlent un cierge. Les autorités chagrinées invoquent Sainte Solidarité, patronne des indices de popularité.

Le musée du soleil

J'échappe à la bruine. J'ai fui le gris. Jadis, durant des années d'hiver, je me précipitais chez Rosita Missoni, la couturière.
Les couleurs me requinquent. J'aime la luxueuse échoppe, ses coloris de confettis, le bariolé de fête d'un musée du soleil.
Pierre Bonnard m'accueille pareil. Il fait de la peinture comme le soleil des morsures, la mer des éclaboussures. Il pratique un art sans ressentiment, sans autre référent que le réel ambiant. Bonnard aime la chair dans sa pleine lumière. Bonnard, c'est Balthus, revu par Renoir.
Je regarde la petite Marthe dans sa vasque fastueuse. J'observe son dos jaune comme une torche, son reflet comme un sexe orangé. Bonnard exalte un corps qu'il enrubanne de gloire.
Une petite fille en feu ramasse des coquillages bleus. Bonnard a rayé le malheur de son monde en couleurs. Il traverse deux guerres sans une ecchymose sur la toile. Il peint le plaisir. Il fixe les points de suspension de l'exacte attention.
La petite Marthe, assez vilaine de tête, est magnifiée par l'esthète. La vieillesse n'altère pas un corps de déesse.
Je sors d'Orsay. Sans le regard de Bonnard, on n'y verrait qu'une gare. La Méditerranée est notre Mésopotamie, un jardin ébloui. Je l'oublie sous la pluie. J'endosse une grisaille. Je retrouve une lucidité d'emmitouflé. On s'est tassé. Le monde nous a dépassés. On n'a pas vu le temps passer. On s'est tassé comme s'il nous avait tabassés.

mardi 24 mars 2015

Jour d'argenterie

Décrassage de mot. Décrasser les mots d'une certaine satiété, d'une certaine suffisance de sens. Les lettres, blanches d'émail, se tiennent par la taille. Elles rient comme une fière argenterie. Elles pétillent quand on les encaustique.
On frotte un mot, on fait luire l'écuelle, briller la fourchette. On joue avec une parole muette. On joue avec des allumettes. On vêt la phrase d'une clarté.
Les mots sont polis, disent bonjour à n'importe qui. Ils ornent une peau comme un collier sonore. Ils embellissent la nudité d'un corps lisse.

lundi 23 mars 2015

Le manteau rouge

La solitude vient des morts. J'avais mes habitudes. Nous parlions des heures d'un même bonheur. La solitude vient du mur en face de ma figure.
La montagne tape sur la trogne comme un soleil qui cogne. La fraternité des pins s'agglomère en pubis étoilé. Le ciel est incisé comme une vitre édentée. A la Saint Joseph, une lumière d'empire stoppe une soif, fixe l'inégale splendeur.
Je patiente devant des cimes qui luisent. Les pins arolles, telles des carottes, formes isocèles, désignent le ciel comme une foule d'émeute accuse un despote.
La neige ôtée des reliefs hasarde des motifs historiés sur le flanc des massifs. Fermer les yeux. Fermer la parenthèse bleue. La parenthèse des yeux n'est qu'une brève anamnèse entre deux sommeils.
Je sors du néant le vieil ouvrage jauni de Gérard-Gailly, poète d'avant-guerre, fêlé somptuaire du grand amour de Flaubert. Août trente-six. Trouville. Flaubert n'a pas quinze ans. Il regarde le sable comme la couleur du désert. La plissure des eaux menace le manteau rouge d'Elisa Schlesinger.
Le patron des Crêtes me sert un bon verre qui tourne la tête. "L'attente, toute espèce d'attente donne pourtant du corps à l'homme, comme au vin le vieillissement" (François Cassingena-Trévedy, Etincelles IV, Editions Ad Solem, page 66).

vendredi 13 mars 2015

Le publicitaire et l'inventeur

Au commencement de l'Evangile de Luc, il y a la stérilité et la virginité de deux femmes, l'une vieille, l'autre jeune, cousines de surcroît.
Jean et et Jésus sont de conception divine. Leurs pères d'adoption, Zacharie et Joseph, endossent une posture de figuration.
Marie, la vierge, est douée de sainteté. Sa salutation à Elisabeth, la stérile, provoque en elle le tressaillement d'une vie. Jean, dit le Baptiste, est le précurseur du Christ. Il fraie un passage. Jésus le Galiléen emprunte le chemin, deuxième de cordée.
Le texte sacré s'affranchit des lois du sang, se libère des nécessités de la biologie. L'adoption est un choix d'amour supérieur.
Jésus, fils adoptif, n'accorde à la famille qu'un statut domestique, un rôle ustensilaire, une fonction véhiculaire, au service du grand dessein divin. Aux pauvres bougres émerveillés, il ordonne pour le suivre de tout abandonner, en premier lieu leur maisonnée. La liberté exige de se dépouiller.
Le texte de Luc souligne le travail de déblai, la tâche de sherpa, l'humilité de Jean. Jean ne débroussaille pas en vain le chemin du Galiléen.
Si j'étais sacrilège, je comparerais le Baptiste à Steve Wozniak, l'ombre de Steve Jobs, malhabile à orienter la gloire sur son visage. Le publicitaire masque l'inventeur.
Au demeurant, les pères jouent durablement les utilités. Seuls les fils, d'essence divine, cassent le primat des mères. La jeunesse commande à la vieillesse. Marie, la vierge, communique une vie à sa cousine chenue, Elisabeth la stérile.

jeudi 12 mars 2015

La fronde et le front

Je ceignais alors mon front d'un bandeau multicolore. Je me couronnais de plumes pour prétendre à visage d'homme. Je disposais d'un arc et d'une fronde. Je jetais flèches et cailloux. Je m'appropriais l'audace d'Apache et la ruse de Sioux.
Je répondais quand on me chahutait. Vertement. J'usais de la liberté comme d'une souveraineté. Je suis effronté.
Les frondeurs de gradins pactisent, trinquent au pastis avec un chef pingouin. Les frontistes de département s'apparentent aux communistes d'antan, la francisque entre les dents.
Ni frondeur, ni frontiste, je suis effronté. Pas fier d'un pays - le mérite ne peut se réclamer d'un fait d'état civil -, mais d'une panoplie, d'une coquetterie, d'un immémorial défi d'Indien du Kentucky.