lundi 1 décembre 2025

Rien ne change sauf le climat

Rien ne bouge. Rien ne change. Rien ne se passe. On se morfond dans un sempiternel néant. Les mêmes paradigmes se répètent comme le perroquet de Flaubert, pèsent des tonnes, persistent lamentablement dans leur être de dictionnaire des idées reçues. Et je ne parle pas des logiciels ! Aucune mise à jour depuis René Coty. Le candidat Macron ne bouge pas d’un iota, écrit ses homélies, pleines d’empathie, comme des rapports de mairie, a l’air de se complaire à sa tâche de stagiaire, de titulaire à vie du statut d’apprenti sorcier du pays. Macron vit sur Pluton, planète qui ne tourne pas rond. Rien ne change. Noël se fête dans le même ennui que les veillées de jadis, toujours le 25 décembre. Même à Bruxelles où le petit Jésus, sans tête et sans abri, est une sorte de soldat inconnu. La vie non plus ne change pas, toujours la même crémerie, malgré les injonctions de Rimbaud et Mitterrand réunies. A vrai dire, la seule chose qui marche dans ce pays, qui change quand on en cause à la buvette, c’est le climat. Le climat, lui, fait le boulot, ne se paie pas de mots, asticote le thermostat. Il change à vue d’écolo. Il travaille comme un Nègre, paie ses dettes, s’épargne les salamalecs de meetings. Le climat fait de la surchauffe quand les hommes pérorent en voix off.

Osez Bashung !

Bashung a ôté son chapeau, salué sous son chapiteau, n’a pas sauvé sa peau. Ce métis, à profil d’oiseau de race, était un écorché fils. Il a sculpté les mots, saccadé les sons, fracassé les rythmes. Il chantait des splendeurs dans son for intérieur, confiait sa déchirure à des volutes de volupté. C‘est comment qu’on freine l’élégant énergumène ? Avec des Victoires de dernier soir, Bashung a noyé son désespoir. Il est mort sur les rails, trente ans d’allers, trente ans de retours. Gaby le Kabyle n’a rien échappé belle. La rougissure des yeux est le pourboire des endeuillés. A la droite du rocker. Autour d'albums, faute de Bashung. Il s'est cassé. Pas que la corde vocale. Le rocker impose une prière. Bashung Achtung ! Attention aux yeux - l'élégant dandy. Attention musique - féline fêlure et mots précieux. Prince en exil intérieur, Bashung nous débarrasse du bastringue. C'est une musique entêtante comme un vin mauve, aux sensuelles arabesques et fins interstices. "Finale", comme dit Céline de La Fontaine. Aristocrate de son art, meilleur que le tapageur Gainsbourg, Bashung émeut par ses mots bleus transfigurés. Vaguement christique, à la Bowie, il meurt à son zénith, vit dans la belle parole de Miossec et Chedid. Chefs de rayon télévision: osez Bashung ! Ce texte est extrait de « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, mars 2020) https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/322-dancing-de-la-marquise.html

samedi 29 novembre 2025

Il aurait 93 ans

Une sauvage végétation camoufle l’institution. J’ai gravi le raidillon d’accès, tapissé du miroitement d’un fleuve de signes. Le ressac des traces mène à Chirac. C’est un vaste musée, habité d’une poignée d’enthousiastes. L’exposition finissante ne passionne guère la population. Chirac achève une longue traque, un itinéraire sur la terre, à La Pitié-Salpêtrière. Chirac est embaumé vivant, à son soleil couchant. Il s’est décanté, dépiauté d’une chair, s’est dépouillé, dépositaire de ses mystères. Le grand os du squelette s’effile jusqu’à la tête modelée, burinée, balafrée d’estafilades. L’échassier sculpté, voûté, courbé sous les intempéries, c’est l’homme qui marche de Giacometti. Chirac en sa Corrèze ultime, la planète, ressemble à Beckett, esquissé dans la glaise. C’est un gosse de onze ans, un chef de bande turbulent, qui des lumières du Rayol, barbouille une lettre d’amour à Marette – un sac avec son père pour son anniversaire –, scarifiée d’une bande de dessins de guerre : beurre, fromage, bifteck, vin, cigarettes. Le grand Jacques rêve de victuailles, annonce la couleur de son légendaire coup de fourchette. Chirac a de l’appétit, de la sympathie pour les péripéties de la vie. Il sait sa finitude dans la connaissance des vieilles civilisations, dégringolées d’une splendeur vers la décrépitude. Chirac est conservateur. Il est le gardien de la maison. Il garde le secret sur ses tuteurs d’aventure : Vadime Elisseeff, son chef d’école buissonnière, au Musée Guimet, et Vladimir Belanovitch, son instructeur de russe. Car Chirac apprécie le souffle des grandes largeurs, le vertige des dimensions continentales, la beauté des horizons planétaires : la Russie, l’Afrique, la Chine. Il cause à Poutine, trinque avec Eltsine dans la langue de Pouchkine. L’inculte Chirac, Facho-Chirac, Supermenteur, sait la vérité des œuvres d’art, connaît Kandinsky comme peu d’érudits. J’aime revoir Chirac, impatient, volcanique, nuque sous le capot, le nez dans sa quatre cent-trois Peugeot, trifouiller dans le cambouis anonyme d’un moteur réfractaire. Je découvre ici, en son mausolée désolé, abandonnées à de rares regards, deux figures Vili, d’artistes congolais, qui m’agrippent par les yeux et me cognent d’une bourrade dans le dos : une statuette magique, un chien d’errance tragique. De Pompidou, il a appris qu’on ne se couche qu’une fois. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Chirac est grand par son refus téméraire des « malheurs de la guerre ». Le veto de Chirac au simplisme de Bush est sublime de panache. Cet homme, fêlé de l’intérieur, – qui ne s’aime pas –, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires. L’immobilité du terminus l’a réveillé. Chirac est descendu du train de l’Histoire de France pour prendre le chemin de ses tribunaux. Le vieux président multiplie les petites enjambées en tous sens sans jamais beaucoup s’appesantir sur leur finalité. Les couches de secrets sont épaisses. Le Chirac reposé des palaces marocains fait oublier l’ancien baroudeur des palais républicains. Car il n’a pas toujours chaussé ses babouches d’amical grand-père de la nation. Il est couturé de partout. Il trimbale une longue histoire derrière lui. Un jour, dans une autre France, il y a très longtemps, il s’est extrait du noir anonymat pour s’imposer à Pompidou l’Auvergnat. Ce Corrézien à grand destin a fait des pieds et des mains, s’est donné un mal de chien pour décrocher la timbale élyséenne. Parvenu à demeure, propriétaire de la maison, Chirac tourne en rond. Il est embastillé dans les papiers. L’homme a besoin d’extérieur, d’exercices, de politique étrangère. Sans quoi, il s’enquiquine, maugrée, se tire une balle dans le pied. Trêve de blabla, il dissoudra l’assemblée. Sa gaucherie défraîchira la gauche. À long terme, l’idiot coup de poker devient un formidable trait de génie. Chirac scrute l’horizon. Il faut qu’il sorte, qu’il s’aère, qu’il serre des mains et remercie la famille de province. Il aime toucher la peau de paysan, la joue d’une jeune fille fraîche, la prendre par la taille et boire un coup de cidre. Avec toujours ce sot sourire sans joie, ce meurtrier regard d’insatisfaction de soi. Chirac trimbale sa grande carcasse comme un gregario à l’ouvrage dans l’Izoard. C’est à l’énergie, malgré les quolibets, qu’il va la hisser au sommet. Cet homme, aussi lent qu’expéditif, hésitant qu’impétueux, revient du diable vauvert, d’une sorte de mort politique clinique. Il travaille comme un nègre, se prépare d’arrache-pied. Chirac a collectionné les trophées. Il s’est forgé manu militari le plus fleuri des palmarès de la République. De Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand ont tous les quatre mesuré du coin de l’œil ce fougueux secrétaire d’État, ministre et premier ministre. Chirac se regarde sourire sur le mur des mairies. C’est un homme sans qualités, à la Musil, qui fuit l’étiquette et les effets de style. À l’histoire des manuels, Chirac préfère l’anthropologie des rebelles. Lisse de visage mais de culture irrégulière. Car il s’est interdit le faux nez de la puissance et les postures de la vanité. La volonté de cet homme seul saute aux yeux, agrippe le regard comme un phénomène atmosphérique. Cette rudesse au mal, cette ardeur à la tâche, cette furieuse envie d’en découdre masquent un souverain désarroi. C’est un homme d’habitudes que rassure la ronde des saisons. Il fait attention à l’ordre du monde, à la seule loi des émotions. Il leur obéit en soldat, charmé par ces choses de la terre qu’il relativise jusqu’au vertige. Cet escogriffe d’allure saccadée déplie sa haute silhouette de bipède précaire. Il figure l’homme à la mallette des cités grises. Ni Giscard, ni Mitterrand, aucun de ceux-là, n’arrivent à la cheville de Chirac. Il n’ignore pas la petite vérité d’humus, le dernier secret du terminus, l’humilité humaine et terreuse sous l’ultime pelletée, la mort, cette main qui rompt la poignée de l’autre. Chirac sait l’histoire tragique. Il ne cherche rien, pas même la trace de l’ancêtre sapiens. Dans les conseils d’administration, où chaque président se conforme à l’attirail et charabia du pontife, joue violemment au chef pour intimider sa secrétaire, on raille à l’excès l’homme aux grands pieds. Or l’homme aux grands pieds se fiche précisément des semelles, mais pas du vent. La poésie, il faut la taire, la terrer dans son sang, et vivre avec. Un soir de télévision, les yeux se perdent, son regard s’égare du sujet, dérive sans attaches. Une arrière-voix, comme on dit d’une fugitive saveur un arrière-goût, colore tout à coup les mots de sa gorge, rend ce phrasé rauque d’un père exemplaire, évoque l’âpre sonorité de tabac de Georges Pompidou. Chirac n’est propriétaire que d’un corps et d’une meute de souvenirs. Avec cela et rien d’autre, il a bricolé à peu près sa vie. C’est un candidat, un postulant à toute épreuve. Il s’efface du paysage à l’âge d’un cardinal à la retraite. Il ne sera pas du prochain conclave. Chirac voit de travers et n’entend plus guère. Il se voûte et même s’arc-boute. Il reste impénétrable comme un fragment d’Héraclite. C’est un bloc d’étrangeté, cuirassé d’un excès de familiarité. On le croit creux : il est rare. Chirac va débarrasser le plancher. Pas de trace. Pas de mémoires. On ne saura jamais rien de Jacques Chirac. On ne lira jamais les arrière-pensées du prompteur. On ne déchiffrera pas son bouleversant regard d’égaré. Chirac trimbale un visage de vieil histrion d’Hollywood. Chirac va déposer les statuts de sa boutique d’antiquités. Il va discourir sur l’Asie, bonimenter sur la Chine, fourguer des bibelots japonais. Pas du tout. Il va faire la planche dans l’océan indien, se noyer dans l’anonymat du luxe bourgeois. Chirac va s’estomper dans nos souvenirs. À moins qu’il ne squatte définitivement notre tête. On risque en effet de succomber au charme entêtant d’un Chirac encombrant. L’homme des foucades au Stade de France et des ruades en Israël ne lâchera rien sur son mystère. Il somme toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : il est blanc, candide, candidat. Chirac est un Poulidor vainqueur, sans stratégie voyante, sans intelligence criarde. On n’est pas près de comprendre ce savoir-faire d’improbable homme de la terre, de paysan ministériel à patois mécanique, de technocrate à mallette au know how de péquenot. On ne trouve pas ce genre d’énergumène sous le sabot d’un cheval. Son vieux peuple va devoir cravacher pour rattraper sa bévue. Chirac est un fils unique dont la seule boussole est un père magnifié. Il n’arrivera jamais à sa cheville. Aucune preuve ne suffit à ses yeux. L’introuvable Chirac loge sans doute quelque part, dans les parages d’un père inatteignable. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018, pages 42/46). https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

lundi 24 novembre 2025

Le dictionnaire amoureux de la prison

Plon publie des dictionnaires qu’il destine au pilon. Il les veut amoureux, et peu, pas trop sourcilleux. C’est pourquoi l’éditeur d’abécédaires songe à débaucher l’évadé de la Santé, à le débusquer de sa planque chez Fayard. Sarkozy, le journalier de la prison, l’alphabet il en connaît un rayon. Si Trump décrochait celui de la paix, Sarkozy glanerait, lui, le Nobel des Belles Lettres. Sa stratégie est de multiplier les bouquins comme les petits pains. L’éditeur des mots du cachot ne mégote pas sur les cachets. Il lui propose un pactole pour la rédaction d’un pavé de la taille d’une brique, un gros volume étouffe-chrétien du genre des généreuses productions de Mauvignier. Avec photo de l’auteur à la clé, mal rasé, faciès de condamné. Fayard a cadenassé l’exclusivité du contrat du taulard – comme naguère Laffont avec « Papillon », son premier best-seller -, verrouillé la liberté du potentiel fuyard. Mais Plon se prétend d’un métal qui se transmute en tas d’or. Il raflera le petit jogger du seizième, l’épinglera à sa collection de prestige. Sarkozy appartiendra désormais à l’histoire littéraire de la prison comme Sollers s’identifie pour toujours à la gloire de Venise. « Le dictionnaire amoureux de la prison » sortira le 6 janvier 2026, le jour de l’Epiphanie. Si d’aventure, l’ancien président chopait un deuxième séjour à la Santé, l’éditeur dispose déjà dans ses coffres d’un manuscrit intact, impeccablement rédigé : « Journal d’un saisonnier ».

samedi 22 novembre 2025

Farce d’homme

Sarkozy, les yaourts, la Santé, les jours de violon, un lapidaire journal de détention, un jogging de petit vieux, le frichti du Flandrin. Macron, le terroriste. Macron sème la peur, l’acédie et les passions tristes. Macron s’aime de tout son cœur. Il révèle un goût mauvais à pérorer et à commémorer. Son petit soldat chante le don du sang, siffle le sacrifice des fils. Macron, qui ne tourne pas rond, fait l’avion au-dessus de la nation. Le roi Ferrante, dans « La Reine Morte » de Montherlant, flanque ses sujets « en prison pour cause de médiocrité ». Le troufion du banquet des mairies exhorte un pays à « la force d’âme ». Sa langue a fourché. Nos princes sont farcesques au sens de Flaubert.

dimanche 16 novembre 2025

Danke schön

La colossale finesse de la diplomatie teutonne s’est illustrée à tâtons. Le paltoquet du Touquet moisissait dans un cachot politique, jouait la partition taiseuse de l’admirable Quai d’Orsay. On songeait à l’exfiltrer de sa prison cérébrale, de son Barrot à crâne lisse. Emmanuel était incarcéré. De la tête aux pieds. Pas Boualem. Certes, Alger le tenait dans une geôle blême, mais pas son âme. Intouchable Boualem. Boualem Sansal était libre comme l’oiseau d’un seul ciel : la langue française. La colossale finesse et la grosse rigolade ont révélé l’Allemagne dans ses clichés immémoriaux. La grande nation gaullienne qui fait rire Outre-Rhin, son chef improbable la déclare sans culture, sollicite en cas de coup dur l’aide de la Kommandatur. Le petit coq de palais s’emmêle dans sa chaîne comme un vulgaire chien de ferme. Le bilan politique de Macron – qui se rêvait un grand fauve - est celui d’un piètre animal domestique. De mes années de lycée, je ne me souviens guère de l’idiome germanique. Pourtant, je veux aujourd’hui sauver de l’oubli ces deux mots: « Danke schön ».

jeudi 6 novembre 2025

Bouquet, cent ans

Avant de mourir à dix-sept ans, on est venu courir la gueuse, consentir au reniement, applaudir un style, une manière habile. On voit Mauclair, l’élève de Jouvet, l’Athénée. On voit Bouquet, Bérenger, et tous les dangers. Bouquet. Je l’ai croisé, par effraction, sans le vouloir. Un physique de vicaire créait une distance, masquait un silence calculateur, laissait pressentir une vipère, une langue de vipère. Le métier de Bouquet, son phrasé, sa diction sentencieuse, monochrome et gourmande à l’occasion, d’une préciosité d’orfèvre, sautait aux yeux, agrippait l’oreille des habitués des grands textes. Une folie d’archevêque étincelait dans l’œil, mais douceâtre, attentivement démoniaque, proche du malaise, d’une ironie narquoise. Bouquet compose avec une petite figure modeste, chafouine, qui ambitionne le pire, inspire un notable, notarial respect. Bouquet, Serrault. Leur folie ecclésiastique voisine sans pour autant se décalquer. Celle de Bouquet s’arrête au sourire. Au sourire amusé, à ses plissures de méchanceté. La démence de Serrault, en revanche, se fait plus insistante, moins stagnante, met les points sur les i, déclenche l’hilarité, s’autorise de conclure. Bouquet restait dans les pointillés. Bouquet était un grand acteur. Il faisait peur. Des deux côtés de la scène. Il figure au générique des meilleurs films de Chabrol. Je le revois dans Ionesco. Il est chez lui dans l’absurde, à demeure dans une interminable agonie. Bérenger 1er. Bouquet est le premier et dernier de cordée d’une génération. Bouquet final du feu d’artifices, du jeu d’un grand artiste. "Le roi se meurt". Ce texte est extrait de « Fragments d’un sentiment » (5 Sens Editions, novembre 2023, page 54). On peut commander l’ouvrage chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/536-fragments-d-un-sentiment.html