mardi 30 décembre 2025

On a perdu Lecornu

Qui a vu Lecornu ? De ses yeux vu ? Depuis des jours, il ne court plus les rues. Plus de micro ni de studio, plus de Palais-Bourbon et de gros chandail sous le veston. Mince. On a perdu Lecornu. On a perdu Lecornu. Pour de bon. Comme la grand-mère du sketch de Robert Lamoureux. Le corps nu ? Pas de confusion possible. Sublime et animal, c’est le corps de Brigitte qui frappe les esprits, gravite en boucle, ces jours-ci, autour de la planète. Non, Lecornu, c’est le petit pépère qui ressemble à Fernand Raynaud. On le trimbalait déjà depuis trois mois et demi dans la voiture, sur la banquette arrière. Et, patatras ! Dans la descente du Nouvel An, avant d’arriver, on a perdu Lecornu. Je me souviens aussi de Nino Ferrer. Il gueulait grave après Mirza. Satané Mirza. Veux-tu venir ici ? Où est donc passé Lecornu ?

lundi 29 décembre 2025

Un phénomène atmosphérique

Un phénomène atmosphérique Bardot, je l’ai côtoyé à la pharmacie du port. Elle était belle, décousue dans ses cheveux, déjà vieille, violemment méchante dans ses yeux. Nous faisions la queue, un jour de mai, sous une pluie de Bravade, la festivité du village. Au comptoir, l’impérieuse étoile jeta deux mots au petit homme comme on crache au sol un chewing-gum. Bardot, la colérique, était un phénomène atmosphérique. Une apparition. Une épiphanie. Une illumination eût écrit Rimbaud. Bardot inonda la planète d’une liberté sauvage, fracassa les images de sa grâce animale. A première vue, elle donne à Godard, un chef d’œuvre absolu. Elle meurt, gentille du cœur avec les bêtes, l’âne et le mouton qui ornent la crèche des jours de fête. Delon, Johnny, Bardot. Les héros clamsent à tire-larigot. Toujours, trop tôt. Côté série B, les figurants sont arc-boutés sur une ténacité. La santé se maintient. A l’Elysée, on dirait. Macron, c’est long. Les uns se barrent, l’autre se barricade.

dimanche 28 décembre 2025

« Ecoutez-moi, ce con ! »

Dimanche, j'ai revu Le Mépris, la perruque brune de Bardot, le chapeau de Piccoli, la lumière de Capri, les couleurs de la vie. Godard a bâclé un pseudo scénario, histoire de contenter le distributeur du film. Il dédouble sa vie sur l'écran. C'est par le mépris qu'il la traite, la tire par les cheveux. C'est sa peau qui vaut scénario. Pas besoin de noircir du papier, faut plutôt impressionner la pellicule, la faire rire aux instants rares. Faut chiader l'image aux encadrures, entre deux acrobaties, facéties, espiègleries. Bref, exercer le métier de voyeur, faire le job avec honneur. Mettre du rouge, du vermillon sur les corps et les désirs, les dieux et les peignoirs. Mettre du bleu, du bleu de "sourire innombrable", du bleu d'Homère sur le ciel et la mer. Mettre des élans, des émois, des petits mots, du mouvement de motion picture dans l’appart romain et la villa de Malaparte. Caméra danse comme pigeon vole. Godard filme le ballet des cils et des silhouettes, des objets et des rejets. Il défie la loi de pesanteur du scénario d'auteur. Vit son film, filme sa vie. Il momifie Hollywood dans la raideur de Jack Palance. Il fige l'ami Fritz dans sa posture de pommier faiseur de pommes, le laisse rêver d'Odyssée et de cinéma aimé. Se révèle ici que regarder fait du bien. Le Mépris est la guérissure d'un rebouteux des yeux. Godard soigne tout ce qu'il touche. Brigitte Bardot étire sa beauté comme l'ennui dévidé sur un corps d'été. Camille se déprend de Paul. La femme du Mépris s'appelle la méprise. Au voisinage du maître helvète, on est sur le qui-vive, dans la fulgurance et le grand métier. Il n’y a qu’un seul métier: orfèvre. Tous les autres sont des courbures d’imposteur. Godard chantait la sainteté du coquelicot. Il en restituait l’écho. Sans autre sujet que la beauté de Bardot. Godard a l’âge du Christ. Il filme la lumière, le récit d’Homère, le dos, le joli derrière de Bardot, l’enturbanne comme s’il était Vermeer. Quand je regarde Bacon, c’est l’orange la couleur des hommes. Quand je vois Godard, c’est le rouge d’Italie qui fait le prix du Mépris. On va de l’appart à la maison de Malaparte. Le corps de Bardot exige l’éternité, un coloris d’été, la sainteté du coquelicot. L’Alfa de Cinecitta est du même rouge farouche que la robe de la sublime ragazza, que l’incarnat des meubles Ikéa. Le rouge lipstick indique le retour à Ithaque. La Méditerranée est un sourire innombrable, l’Odyssée un désir d’en finir. A l’époque, Piccoli était potable. Bardot fait la moue quand elle se tait, la mouette quand elle s’entête. Godard lui consacre un art. « Ecoutez-moi, ce con ! », chantonne la femme vermillon. Frederic Prokosch était un poète du Wisconsin, établi sur les hauteurs de Cannes. Godard lui fauche son nom parce qu’il aime le tennis et les papillons, lui chipe l’histoire (« Ulysse brûlé par le soleil »), fourgue les deux à l’affreux Jack Palance qui nasillarde la bande-son d’un bout à l’autre de la toile. Bref, Godard se fiche de Moravia, d’Ulysse et de Pénélope. Il fait gaffe à Bardot. Il l’habille de somptueux oripeaux. Ses yeux s’écarquillent quand il pense à Camille. Il la vêt d’un peignoir jaune, l’accorde à l’ocre des pierres. Fait d’une blonde une brune, alterne les heures, varie la lumière. C’est un film sur elle. On s’émeut d’une machine à écrire, l’Olivetti à capot gris. Le même vert drape l’épaule de Bardot, colore le cinéma où se joue Viaggio in Italia. Godard ne s’est pas remis du manuscrit refusé. Gallimard est un malappris. Depuis il s’amuse avec la lumière, se contente des yeux, faute de mieux. Bardot est la plus belle pour aller danser, dégringoler les escaliers de Capri. La mer dans sa splendeur. Le Mépris s’achève comme Pierrot le Fou. Pas besoin de Rimbaud, Bardot suffit. Ce texte est extrait des ouvrages suivants : « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018), « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, mars 2020) et « Tita Missa Est » (5 Sens Editions, avril 2021). https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/192-l-amitie-de-mes-genoux.html https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/322-dancing-de-la-marquise.html https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/436-tita-missa-est.html

jeudi 25 décembre 2025

L’heure du goûter

Lauren Bacall m’a dédicacé son livre de cicatrices. C’était un jour d’automne, dans la librairie de Chardonne, la boutique Delamain des cognacs de Saintonge. Je me suis raconté une histoire de regard magyar. Sa mère était roumaine, son père polonais. Le diable est dans les détails d’Europe centrale. Dans Matinales, Jacques Chardonne vend la mèche : « On veut une neige fraîche où personne n’a encore marché. » Chardonne taille le silence, cisèle un cristal musical. Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est « un maître à vieillir » disait Morand, un autre dur à cuire. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée. « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée » (Avant-propos de Femmes, Albin Michel, 1961). Mitterrand aura cent ans. Les fils de vinaigriers jalousent les fils de cognaquiers. Derrière l’envie ou l’élémentaire sociologie, perçait une adoration de rejeton d’un même canton. Mais demain, sacré bonsoir, qu’on m’épargne les éloges d’un triste sire, d’un homme médiocre, d’une arsouille, comme seul l’étiqueta le grand Ponge. Je veux jouir d’une fraîcheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher. Lentement, illico presto. Mitterrand me ternit la compagnie de Chardonne. Il admire le styliste d’une haine de faux artiste. Le médiocre Rastignac jalouse les seigneurs du cognac. Il est aigre à cause d’une lignée de vinaigriers. Il baisse les yeux, fixe ses sabots. Boutelleau, il l’appelle monsieur. Comme un petit commis parle au marquis du château. Le ciel de Charente est zébré d’arrière-pensées déplaisantes. L’homme d’envie vénère l’ami de Blum. Il abhorre leur désinvolte complicité d’écrivains. Il ne pardonne rien à Chardonne. Il se sent provincial, prisonnier de grosses semelles, sans mépris pour l’idéal de Rotary. Bref, il me faut en disconvenir, me défaire d’un détestable imaginaire, revenir à l’auteur de Demi-Jour. Léon Blum, l’esthète rouge, encense Jacques Chardonne à la parution de L’Epithalame : « Je place très haut, pour ma part, l’écrivain qui a su débuter par cette œuvre d’élite. » « La littérature, ce n’est pas un métier, c’est un secret ». Jacques Chardonne n’ébruite pas une confidence, n’évente pas l’évidence, la tient des lèvres d’un père écrivain, qui joue avec les mots, Georges Boutelleau. Pour s’en persuader, il suffit de lire trois lignes, l’incipit de « Claire », le merveilleux petit roman de Jacques Chardonne, du début des années trente, du temps de Paul Doumer. « La beauté de Claire, c’est elle-même. Claire est toute entière sur son visage et dans la forme de ses bras. Ce qui me plaît dans son esprit est visible sur ses lèvres. Je l’ai connue en la regardant. » Vrai génie de la simplicité. D’emblée, Chardonne impose une ligne brève, une phrase de cristal. Edmond Jaloux est un préfacier stylé. Il préface « Chimériques », détaille l’admirable travail, au plus près de sa belle manière : « C’est une joie que de lire cette prose limpide et comme argentée, d’une cadence si subtile et que traverse une fine lumière spirituelle. » Jacques Chardonne est un écrivain qui marche devant, seul avec le sentiment du présent. Il vise un cap lointain, une reconnaissance de vraie grandeur, un peuple littéraire, téméraires happy few, qu’il situe, tout au bout de l’écritoire, dans le futur. De son vivant, les plus artistes se décoiffèrent. De Gaulle, de sa main, lui écrivit, à la parution de son dernier récit, deux ans avant sa mort : « Mon cher Maître, Vos propos comme ça m’enchante. J’admire l’ampleur et la désinvolture de votre pensée. Je goûte votre style pur et sans accessoires… ». Il n’est pas rancunier, le général à son bureau de l’Elysée, à sa table de Colombey. Il sait que le talentueux écrivain s’est fourvoyé pendant la guerre, s’est entiché de national-socialisme, presque par étourderie nous révèle un biographe. Mais à la différence de Morand, son épistolier préféré, Chardonne n’est pas soupçonnable de la moindre virgule antisémite. Chardonne est né dans l’anonymat d’un 2 janvier. Il meurt dans une quasi clandestinité, en plein barouf émeutier de Mai 68. Chardonne, les dates tombales en témoignent, fuyaient comme la peste la visibilité, l’obscénité d’une publicité. « Les écrivains ne lisent pas, ils goûtent ». (Propos comme ça, 1966). Chardonne hume une phrase comme un dernier cognac. Chardonne se lit mieux, vieilli, à l’heure du goûter, avec la gourmandise du scrogneugneu. Dix ans auparavant dans Matinales, il évoquait une même sensibilité au charme indicible que Vladimir Jankélévitch, une parenté en friche : « Ce presque rien qui porte en lui la mort ou la vie, c’est le style ». A propos de « Demi-Jour » (1964), Alexandre Vialatte lâcha tout à trac : « C’est la fleur d’un art et même d’une civilisation ». Question ?

lundi 22 décembre 2025

Gracq, le patron

« Les livres à pensées dispersées de Julien Gracq – une demi-douzaine – consentent à cette politesse de vous laisser errer parmi l’éventail des pages. On ouvre le volume au petit bonheur. La main sent le grain cartonné comme l’écho lointain d’une paume. L’auteur nous invite au libre désordre de la lecture, nous convie au délicieux plaisir du vagabondage littéraire. Chaque phrase est vêtue d’une parure absolue, d’un habit définitif. Elle est une œuvre sculptée, en plein présent, sans avant ni lendemain. La phrase qui suit est un autre roman. Le livre entier est un chapelet égrené, phrase après phrase, où se récite l’artisanale prière. On range les précieux opuscules par couleur d’arc-en-ciel. On saisit l’ouvrage par la tranche ocre, entre l’olive et l’azur. On touche du doigt la jolie facture de la maison Corti. Je suis gracquien, livre deuxième. Car l’histoire d’Allan et de Christel est écrite juste après Au Château d’Argol, l’œuvre inaugurale, saluée d’entrée de jeu par Breton, le maître de Gracq. À toute fiancée d’alors, j’abandonnais le précieux livre, le récit intouché d’une arrière-saison balnéaire, d’une attente et d’un secret, troués par la magie d’Allan, scandés par l’altier désœuvrement de jeunes gens hors du temps. Gracq exécuta cette luxueuse nouvelle, ce petit roman à couverture d’azur, dans l’inconfort de la guerre et la promiscuité de chambrée. C’est un livre, venu de Silésie, qui ne lâche plus son lecteur, immobilise un cri. Il faut le lire haut, extraire les mots du silence, risquer l’aventure de la voix, donner aux voyelles leur couleur originelle. J’ai récité le texte de Gracq dans ma retraite à Highgate, en pleine lumière de Méditerranée, sous les toits de Paris, dans un grenier de Normandie. Je confiais à la phrase de Gracq le soin de réveiller le monde, d’imprimer sa marque sur les saisons, d’établir son style sur les choses de la géographie. L’homme impose à l’époque sa stature d’artiste. Il a cent ans, mille ans, tout le temps devant lui. À l’heure où les regards se perdent, comme tant de métiers d’artisanat, où l’écriture n’est plus qu’un rictus de convention, une gênante réminiscence de la jouissance des sens, Julien Gracq est planté devant les eaux étroites du fleuve, simple et loin, dans la splendeur du travail fait. L’écrivain Poirier domine la littérature du dernier demi-siècle, de la tête et des épaules. Il s’est tu, s’est retranché dans un silence fracassant, s’est consacré seulement à ses impérieux tourments. Bref, il s’est appliqué à polir sa manière de dire. S’il a parlé, c’est pour refuser net le trophée des lettrés. Il était dans ses livres comme l’ermite dans ses psaumes. Vers le grand âge, la ronde des admirateurs a raccourci ses cercles, a réduit ses manœuvres d’approche. Le déjeuner littéraire au bistrot du coin est devenu matière à publication rapide. Mais Gracq ne décernait pas de bons points à la cohorte des compagnons de l’hypothétique tour de France. Il remuait des souvenirs sans importance devant la Loire de son enfance. Julien Gracq est le Charles de Gaulle de notre littérature. Les deux hommes ne s’accommodaient pas d’imprécision. Ils n’ont pas cédé sur l’essentiel : la grande querelle d’une France et de sa langue. Ils ont donc joui d’une infinie liberté dans leur discipline. De Gaulle appelle. Gracq attend. De Gaulle appelle de Londres. Gracq attend Irmgard à la gare de Brévenay. Le général provoque l’événement. L’écrivain guette l’instant plein. De Gaulle a d’emblée recherché « un normalien qui sache écrire ». L’oiseau rare se dénomma Pompidou, camarade de Poirier. Julien le Gaullien, voisina dans les parages, voyagea dans les songes de « la princesse des contes », femme fatale des Mémoires de Guerre. Il n’appartenait à aucune académie. À personne. Aux seules voyelles et consonnes. La mort du vieil écrivain est une plaie vive sans cicatrice possible. Un homme au long règne nous abandonne en rase campagne. Je me recueille à l’écoute des premiers accents de Parsifal. Je prie le dieu majestueux des beautés inexorables. Sans défense, nous sommes tirés comme des lapins, jetés dans l’errance d’une lointaine enfance. Tout va vite sous la dictée du souvenir. Escalier, rue de Grenelle. Destination Louis Poirier. Sonnerie timide et doux toc, toc. Personne. Je me sauve car j’ai peur. Je me réchauffe d’un rugueux florentin au chocolatier du coin. Ma jeunesse faiblissait. Je projetais un « Cinématogracq », festival imaginaire des films muets cités dans ses carnets non massicotés. Reste l’attente, le risque d’attentat, le désir et l’amour, les trois mots du Christ : « Noli me tangere ». J’ai aimé sans mesure le rituel somptueux d’Un Beau Ténébreux. L’irréalité d’Allan s’est plantée dans ma chair à pleines canines. Morsure d’une vie. J’étais peiné que Gracq répudie ce livre de jeunesse. Il avait bouleversé la mienne et fléché sa sortie. Le marcheur d’après-guerre, professeur au lycée Malherbe de Caen, arpente la route qui chemine vers Villedieu-les-Bailleul. Au loin, à main gauche, Gracq désigne les bois ébouriffés. C’est la forêt de Gouffern : j’y suis né. Je suis né, pour la deuxième fois, d’une page des Lettrines. C’est un signe de la main, un bonjour de pèlerin. Nuit noire de décembre deux mille sept, nuit d’ardoise sur la splendeur des phrases. Rien de nouveau sous le soleil des voyelles. À ceci près, que la beauté est en péril. C’était de petits livres ouvragés, à peine cartonnés, de la taille d’une boîte de cartouches, qu’on s’échangeait comme des talismans. C’était une certaine idée de la dignité d’ouvrier. » Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018, pages 49/51). L’ouvrage est en vente sur le site de l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

dimanche 21 décembre 2025

Paul Meurisse

« Fred dispose d’un lieutenant occasionnel, d’un garde forestier en patrouille, sentinelle des bois. Le vieux Denis est fiché d’un béret à la Montgomery, mollement affaissé sur la tempe droite. Il acquiesce aux paroles sans gloriole comme il consent à la messe, communie sous les deux espèces. Bien, monsieur le comte. Denis délire dans sa fantaisie. La béatitude l’a délivré d’une solitude. Il veille à la croissance des grandis, à la splendeur des hêtres pourpres. L’ivresse des bois favorise l’idiotie native, entretient la félicité d’ivrogne, identifie l’absence à la rosée du matin. Fred et Denis composent un duo de virtuoses. Ils sont emmanchés l’un à l’autre comme le sont Dromard et Poussin dans « L’Œil du Monocle ». Fred adore Théobald, ce commandant d’opérette, Paul Meurisse, meilleur histrion de sa génération, à phrasé sentencieux et rictus de détresse. L’acteur comique est économe de ses zygomatiques. Il traîne un flegme, trimbale une lassitude, débarde une insoucieuse nonchalance à longueur d’historiette. Il est flanqué du génial Dalban, comédien d’instinct à la gouaille gourmande, buriné à coups de verres dans le nez, champion de la dévotion, docteur honoris causa de l’entourloupe de malfrat. Poussin est un royal larbin. Fred a coulissé ses binocles sur un crâne d’époque. Il est hilare quand il regarde l’inénarrable Dromard, loustic goguenard de dimanche soir. Son côté voyou, ganache, vieille France fait mouche. Fred est accoudé à son fauteuil attitré. Il a lâché ses mots croisés sur le velours jaune. Il s’est installé dans la diagonale de télé. Il s’octroie la joie, deux heures sans rancœur. Mais j’y songe maintenant. J’ai distordu la vérité. L’histoire est destinée à faire croire. J’invente à mesure que je gravis la pente. J’écris au mépris du respect du récit. Le livre est dans ma peau. C’est un texte d’épiderme avec les mots sur les os. Je reprends le fil du film. Il était une fois. Il était une fois un roi. Fred se voit dans l’amant d’Edith Piaf. Meurisse est drapé d’un imper mastic, coiffé d’un galurin rustique. Il tient son pistolet comme une chandelle d’aubergiste. Il trotte sur l’asphalte. Il maîtrise son geste dans une langue précise. Il cite Shakespeare quand la situation empire. Rien ne l’étonne, sauf une beauté d’espionne. Rien ne l’émeut, sauf une beauté de feu. Gaia Germani est une fille d’Italie, une brunette exquise qui défie la cinématographie d’académie. Après Carné ou Renoir, Melville avait senti la fêlure du merveilleux acteur, superstitieux au point de refuser de mourir sur scène. L’improbable clerc de notaire, natif de Dunkerque, mange de la vache enragée, croise Pierre Dac qui l’embringue en virée. Il sera pensionnaire de la maison de Molière. J’ai l’âge de Meurisse quand il meurt du cœur. Fred lui a survécu trente ans. Flaubert ne voulait pas écrire mais faire rire. Il se crée une identité burlesque, endosse l’habit du clown de maison, ne s’appartient qu’en la personne du « Garçon », morveux rigolard, fruste et grossier. Le chirurgien de Rouen intervient sur-le-champ. L’idiot de la famille ne sera pas saltimbanque. Flaubert se vengera de son père sur le front littéraire. Fred ne s’est pas endormi devant les images de la nuit. Toutes ces facéties le divertissent. Meurisse le préserve de l’ennui. Il ignore que Robert Dalban est l’amant de Madeleine Robinson. Moi pas. Fred saisit l’album d’Oumpah-Pah, se lève d’un bond, éteint la lumière du salon, traverse l’entrée, bifurque à gauche, verrouille la porte des chiottes. C’est un lieu d’aisance qu’il accommode en cagibi de plaisance. Là il lit. Hubert de la Pâte Feuilletée continue, à pas feutrés, l’aventure du commandant Dromard et du sous-fifre Poussin. Il est seul avec sa gueule. Il oublie ce qu’il lit. Il rit des tueries. Fred imagine un paradis. Il est sensible au style. » Ce texte est extrait de « Fred » (5 Sens Editions, octobre 2019, pages 23/25). L’ouvrage est commercialisé chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/295-fred.html

vendredi 19 décembre 2025

Pognon de dingue et sales connes

La première dame est une curiosité, une escort girl républicaine qui s’interdit les fredaines et le ramdam. La première dame vit théoriquement à l’ombre de son damoiseau. Le tandem qui s’aime, au faîte de l’Etat, s’autorise parfois des privautés qui contreviennent à la bienséance du règne. Je serai tenté de désigner l’actuel couple des perrons et passerelles d’aéronef : « Pognon de dingue et sales connes ». C’est une étiquette comme une autre. Au commencement était « Le grand Charles et Tante Yvonne », le verbe incarné dans une grandeur de nostalgie. Leur succédèrent « Pompidou et Bibiche ». Nous bâillâmes au coin du feu devant « Anémone et Valy ». Nous endurâmes « Tonton Vichy et Tatie Danielle », « Connard ? Moi c’est Chirac et Bernadette (elle est très chouette) », « Casse-toi et Carlita », « Sans dents et sans dame ». A vrai dire, j’ai une dilection particulière pour « Pognon de dingue et sales connes ». Ils ont marqué par leur franc-parler de bistrotiers la morne vulgarité de l’Elysée.