dimanche 20 avril 2025
L'horizon du plat
Ventre plat. Ecran plat. Encéphalogramme plat de la publicité, ici et là. Nous habitons le plat pays de la réclame. Le geste d’aplatir. Je me souviens du temps des châteaux de sable. Avec la petite pelle, j’aplatissais les tas. Je nivelais. Je rabotais. On ne veut plus voir que du plat. Comme si le Tour de France supprimait la montagne et ses escalades de légende pour ne conserver que les soporifiques étapes de plat. L’horizon du plat ne me plaît pas. La platitude se situe toujours au niveau de l’amer, de l’ennui, du ressentiment. Elle endort comme le babillage des plateaux de télévision. L’injonction du plat exhorte à la désobéissance du soldat.
samedi 19 avril 2025
Marie-Madeleine de la Ville l'Evêque
Quand je franchis aujourd’hui le seuil d’une église, je me sens emprunté, inexpert à déchiffrer les signes d’hospitalité, infoutu de retrouver mes marques, inapte à m’agenouiller sur les prie-Dieu disparus. J’appartiens à la paroisse Sainte Marie-Madeleine de la Ville l’Evêque. La nef est une zone de transit, un hall des cent pas, le lobby saturé de l’auberge de Dieu. Sur les tourniquets, la piété est encasernée dans de la bande dessinée. Les cartes postales ont chassé les ouvrages de théologie. En revanche, on hèle l’historien d’art, le fidèle universitaire, à chaque recoin de pierre. On lui fourgue maints placards érudits à la gloire de l’édifice reconstruit. On explique pourquoi et comment sur les lieux d’une foi. Dieu est dans l’escalier. Il revient de suite. Je ne me sens plus très bien dans la communion des saints. Je sors. Au loin, j’aperçois la garnison des parlementaires, le cantonnement des zélotes de la parlote, le palais du blabla et des lois scélérates.
dimanche 13 avril 2025
Il y a trois ans
Avant de mourir à dix-sept ans, on est venu courir la gueuse, consentir au reniement, applaudir un style, une manière habile. On voit Mauclair, l’élève de Jouvet, l’Athénée. On voit Bouquet, Bérenger, et tous les dangers.
Bouquet. Je l’ai croisé, par effraction, sans le vouloir. Un physique de vicaire créait une distance, masquait un silence calculateur, laissait pressentir une vipère, une langue de vipère.
Le métier de Bouquet, son phrasé, sa diction sentencieuse, monochrome et gourmande à l’occasion, d’une préciosité d’orfèvre, sautait aux yeux, agrippait l’oreille des habitués des grands textes.
Une folie d’archevêque étincelait dans l’œil, mais douceâtre, attentivement démoniaque, proche du malaise, d’une ironie narquoise. Bouquet compose avec une petite figure modeste, chafouine, qui ambitionne le pire, inspire un notable, notarial respect.
Bouquet, Serrault. Leur folie ecclésiastique voisine sans pour autant se décalquer. Celle de Bouquet s’arrête au sourire. Au sourire amusé, à ses plissures de méchanceté. La démence de Serrault, en revanche, se fait plus insistante, moins stagnante, met les points sur les i, déclenche l’hilarité, s’autorise de conclure. Bouquet restait dans les pointillés. Bouquet était un grand acteur. Il faisait peur. Des deux côtés de la scène. Il figure au générique des meilleurs films de Chabrol.
Je le revois dans Ionesco. Il est chez lui dans l’absurde, à demeure dans une interminable agonie. Bérenger 1er. Bouquet est le premier et dernier de cordée d’une génération. Bouquet final du feu d’artifices, du jeu d’un grand artiste. Le roi se meurt.
Ce texte est extrait de « Fragments d’un sentiment » (5 Sens Editions, novembre 2023, pages 54/55). L’ouvrage est mis en vente à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/536-fragments-d-un-sentiment.html
samedi 12 avril 2025
Revue de presse
Trump est un animal à griffes. Il montre ses tarifs au tableau, puis les plante dans la peau des rivaux comme des banderilles de taureaux. La Chine résiste, l’Europe se plie.
Bayrou n’en finit pas de terminer sa phrase, comme Larcher son assiette. Sa méthode du conclave confirme un souci de la suave cachotterie et ses doucereuses roueries d’archevêque. Laïcité, juste limite.
Le petit maître de Beauvau fait la classe à tire-larigot, avec pédagogie, sincérité et rien de bien concret. Déjà maigre comme un clou, il mincit à vue d’œil à mouliner ses poignets. Retaillau va y laisser sa peau à se battre contre le Château qui le laisse ronger son os.
Wauquiez croit marquer des buts sur coups de pieds arrêtés. Il est simplement hors jeu depuis le début du match.
Mélenchon n’aime ni les juifs, ni les journalistes. Il prêche le libre-échange et le grand remplacement. Marine Le Pen est disqualifiée à son premier faux départ.
Macron est le premier roi fainéant « qui travaille comme un fou » (sic). En même temps. Le président applique sa doctrine à la lettre, l’illustre jusqu’au bout des ongles, avec trois ans d’un mandat futile, immobile, inutile. Pour se distraire, il endosse sa panoplie de petit chef de guerre, part à l’assaut du Hamas ou de la Russie, comme un gosse velléitaire. Poutine ne patine plus en Ukraine. Zelinsky est rayé de la carte des médias. Le coup de boule de Trump chamboule la planète
mercredi 2 avril 2025
Les quarterons de la raison
Ils considèrent la raison comme un titre de propriété. Ils appartiennent au cercle du même nom qu’ils tracent au tableau, dos au peuple, dans des cours magistraux.
Ils usent d’un phrasé docte, abstrait, distancié. Ils parlent du terrain comme d’un pays lointain. On sait où se trouvent leurs dossiers : sur la table. Ils squattent les bureaux des palais lambrissés, bien au chaud, isolés du chaos par les mots.
Jadis ils ont excellé dans l’art de collectionner les trophées d’excellence, de truster les premiers accessits des palmarès d’école.
D’une génération à l’autre, ils se succèdent et renaissent comme dans une ronde de travailleurs saisonniers. Les noms importent peu. On les confond. Ils sont fabriqués à la même usine délocalisée. La même que Macron. Ils sont nés légitimes, coiffés au même atelier.
Fabius, Juppé. Présidents à vie, sans être élu mais l’ayant fort voulu. Messier, Pigasse. Corsaires de la finance, patrons mégalos qui se sont rêvés présidents jupitériens, à vie. Philippe, Wauquiez, Le Maire, Pécresse. Candidats de droit d’aujourd’hui, ou d’un hier proche. Même mépris pour le pays.
Ces neuf-là ne doutent de rien. Ces deux quarterons de la raison, plus Macron, à trop se ressembler, se détestent comme des rivaux mimétiques girardiens. Tous ces perroquets du tourniquet haïssent encore davantage le paltoquet du Touquet. Car lui seul à ce jour, sorti du même cercle, a décroché la timbale. Deux fois. Double inimitié.
Inscription à :
Articles (Atom)