samedi 6 mai 2023

Une fausse joie

C’était à la fin des années quatre-vingt. Je ne connaissais personne. J’avais lu « Femmes ». J’aimais bien qu’il considérât le quotidien des grands écrivains comme la vie des saints. Je remis le manuscrit de « C’est encore loin de Gaulle ? » à l’hôtesse d’accueil de Gallimard. Mon petit livre cherchait un toit, un gîte, une considération. Sollers me téléphona le lendemain. Il m’enjoignit de lui apporter l’intégralité de mes petites écritures. Je me souviens très bien du plus beau jour de ma vie. Nous nous dévisageâmes dans un café de la rue Jacob. J’étais un jeune chef d’entreprise, prêt à s’encanailler, saisi depuis sa première dictée par la débauche littéraire. Dans mon habit de travail obligatoire, je me sentais décalé, exilé des mœurs du sérail. Sollers exposait ses joues rebondies, affichait une mine réjouie. Des volutes de cigarettes brouillaient la vision de sa tête. J’identifiais l’homme à l’image d’un « dircom ». Il imita le grand Charles d’une manière qui me contraria. Je mimais moins mal ce grand fêlé de général. Je reçus les épreuves. Je courus chez l’éditeur déposer le petit paquet corrigé. J’attendis un signe, une sonnerie, un fax gentil. Mes appels ne trouvèrent pas d’écho. Un jour, Marcellin Pleynet décrocha par inadvertance, bredouilla son ignorance du sujet. J’attends, j’attendrai encore. Avec la mort de Philippe Sollers, je suis ému, je ressens ma propre douleur, la sauvage intensité d’une fausse joie.

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