lundi 6 janvier 2025

Il y a quinze ans, mourait Philippe Séguin

Il est mort du cœur. Loin de la gloire de l’été, des lumières de l’enfance, dans la grisaille d’un hiver comme les autres, sous un ciel au front bas. Chirac ne craint personne sauf Séguin, un diable d’homme. Sur les photos des journaux, c’est Séguin qui impose le respect, sa légitimité, qui pose en majesté sa nature de président. La souveraineté est un mot qui d’abord sied à sa personne. À ses basques, Chirac candidat lui serre la main en valet de pied, au mieux en lieutenant. La relation Séguin/Chirac n’est pourtant médiocre, ni pour l’un, ni pour l’autre. Criblé de mille fêlures, Chirac se tasse auprès du volcanique et trop humain mangeur de pizzas. Séguin, bardé de tous ses doutes, use avec coquetterie de sa chatoyante intelligence, admire l’énergie militaire, la persévérance laborieuse du soldat Chirac. Ils se sentaient, l’un et l’autre, à demeure au milieu du peuple. On ne sait pourquoi ils se sont choisis, peut-être pour une commune réserve à l’endroit de l’arrivisme bourgeois. Le peuple était touché par la pudeur, le secret, le panache des deux. Séguin n’avait besoin ni de droiture revendiquée, ni de bottes pour arpenter le terrain politique. C’était un chêne, d’essence méditerranéenne, né dans la probité, en pleine tragédie. Il était enraciné dans l’Histoire de France. Séguin a exercé un charme fou plutôt qu’un vrai pouvoir sur les foules. Chirac lui doit une fière chandelle, celle d’avoir décroché la timbale élyséenne. Car Séguin a donné de l’épaisseur intellectuelle, de l’éloquence enfiévrée, de la gravité sémantique aux pâles idées d’une droite boutiquière. Mais Séguin a commis l’irréparable. Séguin est mort à son destin le jour où il a rendu son tablier du parti post-gaulliste. Il a envoyé valdinguer dans les décors les ors de la République. Les mots de sa démission n’étaient pas les bons. Il signifiait son congé au sacrifice de ses jours à la vie politique, qu’elle soit grandiose ou mesquine, au nom de la préservation intime de ses jardins secrets. Ce jour-là, il a trahi Churchill, il a renié de Gaulle. Il ne s’est pas donné tout entier à la France. Il a privilégié une sorte de pacte avec lui-même qui ne pouvait le satisfaire. La République perdait un talent d’exception. Ce grand professionnel, si sourcilleux du travail bien fait, a bâclé sa sortie. Séguin a fini ses jours parmi les grands esprits aux dons inaboutis. Avec lui disparaît une vraie rareté sur l’échiquier politique. La mort de Séguin n’efface pas seulement « une certaine idée de la France », revue et corrigée pour les temps modernes, mais élimine un style, un caractère, un tempérament apte à dessiner le chemin d’une grandeur à réinventer. Avec un orgueil sans mesure et une simplicité bénédictine, il sut se conduire en seigneur d’une République d’Epinal. Durant l’une de ces festivités obligatoires, dans les fastes de l’hôtel de Lassay, je me souviens de sa noble stature, de sa digne rondeur, postée dans l’embrasure de la porte d’entrée, saluant un à un, jusqu’au dernier des convives, à l’issue du raout. Le style, s’il répugne assez souvent à embellir l’action des puissants, définit ici à coup sûr l’homme dans sa vérité. Séguin possédait pleinement la manière d’être maître de son art. C’est pourquoi sa désertion de la présidence de parti reste une faute impardonnable, se ressent comme un chagrin qui fait bifurquer un destin. Elle laisse une profonde estafilade, une large cicatrice sur le front de la nation. Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleur. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères noires, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d’un homme embarrassé par sa timidité. Il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018, pages 46/48). L’ouvrage peut être commandé chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

mercredi 1 janvier 2025

Un rictus enfantin de requin

Il a sa part dans la débâcle. Moi j’en ai ma claque du loustic. L’éternel stagiaire de l’Elysée nous admoneste, fait les gros yeux, nous regarde en face, nous associe au ratage de Bibi, partage en seigneur un loupé grandiose, offre aux gueux l’insuccès d’un bon vouloir : donner la parole au peuple infantile, telle une reine jetant des brioches aux manants. A l’école, l’insolent élève objecterait au maître qui le chapitre pour son zéro à la dictée : « J’ai ma part ». Mais avec un regard circulaire sur la classe entière. Le garnement du Nouvel An collectivise ses insuffisances d’orthographe et d’orthodoxe gouvernance en désignant du menton ses voisins de pupitre. J’ai horreur des ses frôlements d’épiderme, de son obsession tactile qui va de la caresse d’une pommette à la bourrade dans le dos. On n’a pas fait la guerre ensemble. Pas encore. Dans un naufrage, dans le canot de sauvetage, je l’imagine forcer sur les papouilles qui mouillent, s’égarer à des privautés, des gestes déplacés, et basculer un compagnon d’infortune dans l’eau d’une vague avec un rictus enfantin de requin. Il nous embringue durablement dans la connerie, se défausse de ses lubies et gamineries, jouit d’un nombril de petit dandy, de petit marquis de Picardie. Bref, il pousse un peuple, une nation, à la flotte, saute à pieds joints sur le radeau, droit dans ses petites bottes, et sans destination. Nous sommes floués par l’homme flou. Il se fiche comme d’une guigne de nos sous, les disperse aux quatre vents, s’assied sur le tas de dettes qu’il appelle l’Etat, l’évacue même du petit boniment de la Saint Sylvestre. Il soigne une fantaisie, un bon plaisir de joueur de pipo, invite les gueux à « trancher », non pas sa tête mais sur du papier à en-tête, comme dans un grand débat, à renouer avec le temps béni de la parole décomplexée, inutile et bien rangée des cahiers de doléances sans enjeu ni consistance. Inutile d’essayer de patoiser le béarnais. Rien ne nous interdit en cette nouvelle année, s’il est vrai que 2025 est le carré de 45, de passer d’un à deux présidents et de quatre à cinq premiers ministres en douze mois. « Impossible n’est pas français ! » claironne l’excellente altesse franchouillarde.