Budapest a de beaux restes,
souriante et maussade, grise et indécise, derrière ses façades raides. Sa
mémoire est d'Orient mais ses souvenirs sont allemands.
Nem ertem. J'aime à m'égarer dans la sonorité hongroise. Ferenc,
Arpad et Joszef étanchent leur soif d'un vieux vin jaune. Szecessio est
le mot qu'il faut. Il désigne l'art de rue d'une fin de siècle architecte.
Szecessio chante un matériau métis, mixte la géométrie, rythme les
coloris de rotondes décaties. Les bulbes du Danube sont des baobabs de brique.
La place Czervita est un débarras de marbre, un grand drap de pierres, une
musique d'apparat. Ses vastes murs d'architecture sont impurs par nature.
Budapest la nuit brille dans
l'écartèlement du fleuve. Du Danube, le peintre sort du tube un bleu de Prusse.
Il braque la couleur brique.
Le palota Gresham mime les
coulures molles catalanes, dégouline comme un suaire de Dali, un sanctuaire de
Gaudi. On mâche un texte à vouloir marcher dans Budapest.
La librairie Latitudes a
quitté le quartier juif, la rue Wesselényi, dérangé mes habitudes. A Buda, elle
s'est agrégée à l'Institut Français, l'ignoble bidule des bords du Danube.
J'inspecte ses rayonnages dépareillés.
La blonde Hongroise s'invite en ma
solitude. Elle me désigne un gros bouquin noir, au papier bible des missels de
jadis. Elle me convainc par la magie du mot "proustien". C'est Histoires
Parallèles, l'oeuvre de vingt ans de Peter Nadas. Je tranche le volume
comme une pomme. Manière d'en avoir le coeur net.
Je suis ébloui par la soudaine
blancheur des deux pages. Mes yeux se règlent à la lumière du texte. Je talonne
une poignée de mots, à première vue, comme une inconnue dans la rue. Je ressens
la fraîcheur d'une chair. J'interromps
mon désir de plaisir. L'imagination m'ordonne d'en différer la satisfaction. Je
claque le bottin, dégrafe ma liasse de forints.
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