mardi 5 mars 2019

Jamais avec les alliés

Macron nous parle d’union plus que d’Europe. Nous sommes des enfants turbulents qu’il convient de rassembler d’un seul tenant. Ce bout de continent est un assemblage de raison. Il lui manque l’acquiescement d’un sentiment. On ne s’entiche pas comme ça du petit cap asiatique, défini  sans poésie par Valéry.
Notre chef tricolore, d’emblée, clame haut et fort que « l’Europe, c’est la paix ». Jacques Chardonne, l’élégant styliste, nous ordonne la prudence : « On peut faire la paix avec l’ennemi ; jamais avec les alliés » (Lettre à Paul Morand, 1er mars 1963). La discorde prévaut au cœur d’ententes de bric et de broc. La jalousie se nourrit des proximités. La querelle est un secret de famille.
Non, l’Europe n’est pas la paix, mais une guerre atténuée, un conflit édulcoré, domestique, cantonné à l’économie.
Réconciliation est un mot qui rate l’horizon. Au-delà d’une languissante embrassade, rien n’étaie en substance le projet d’Europe. C’est un songe-creux.
Macron fustige « un marché sans âme ». J’en déduis le contour du projet épistolaire: c’est l’âme,  notion quasi mystique. Le grand dessein gaullien sonnait plus républicain.
L’apôtre d’une spiritualité européenne précise sa ferveur animiste : c’est « la nécessité de frontières qui protègent et de valeurs qui unissent ».  Mais la notion de frontière est un reliquat du Vieux-Monde. On n’aura plus jamais les deux pieds sur le même territoire. Le « et en même temps », le « et de gauche et de droite » ont tordu le coup à cette géométrie surannée.
A lire le mail jusqu’au bout, je me réjouis d’un bonheur d’écriture. Macron préconise « une juste concurrence ». Notre mentor adore les oxymores. Il feint d’ignorer que la compétition ne s’embarrasse pas d’équité. Dans le final, le rédacteur est à son meilleur. L’expression « salaire minimum adapté à chaque pays » m’enchante. La création d’un smicard à la carte, c’est du grand art. L’harmonisation européenne est remise aux calendes grecques.

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