mardi 26 novembre 2019

Bardot suffit

Godard a l’âge du Christ. Il filme la lumière, le récit d’Homère, le dos, le joli derrière de Bardot, l’enturbanne comme s’il était Vermeer.
Quand je regarde Bacon, c’est l’orange la couleur des hommes. Quand je vois Godard, c’est le rouge d’Italie qui fait le prix du Mépris. On va de l’appart à la maison de Malaparte. Le corps de Bardot exige l’éternité, un coloris d’été, la sainteté d’un coquelicot. L’Alfa de Cinecitta est du même rouge farouche que la robe de la sublime ragazza, que l’incarnat des meubles Ikéa. Le rouge lipstick indique le retour à Ithaque. La Méditerranée est un sourire innombrable, l’Odyssée un désir d’en finir.
A l’époque, Piccoli était potable. Bardot fait la moue quand elle se tait, la mouette quand elle s’entête. Godard lui consacre un art. « Ecoutez-moi, ce con ! », chantonne la femme vermillon.
Frederic Prokosch était un poète du Wisconsin, établi sur les hauteurs de Cannes. Godard lui fauche son nom parce qu’il aime le tennis et les papillons, lui chipe l’histoire (« Ulysse brûlé par le soleil »), fourgue les deux à l’affreux Jack Palance qui nasillarde la bande-son d’un bout à l’autre de la toile.
Bref, Godard se fiche de Moravia, d’Ulysse et de Pénélope. Il fait gaffe à Bardot. Il l’habille de somptueux oripeaux. Ses yeux s’écarquillent quand il pense à Camille. Il la vêt d’un peignoir jaune, l’accorde à l’ocre des pierres. Fait d’une blonde une brune, alterne les heures, varie la lumière. C’est un film sur elle.
On s’émeut d’une machine à écrire, l’Olivetti à capot gris. Le même vert drape l’épaule de Bardot, colore le cinéma où se joue Viaggio in Italia.
Godard ne s’est pas remis du manuscrit refusé. Gallimard est un malappris. Depuis il s’amuse avec la lumière, se contente des yeux, faute de mieux. Bardot est la plus belle pour aller danser, dégringoler les escaliers de Capri. La mer dans sa splendeur. Le Mépris s’achève comme Pierrot le Fou. Pas besoin de Rimbaud, Bardot suffit.

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