mercredi 13 novembre 2019

Poulidor est mort

« J’abhorre Anquetil et ses rondes victorieuses. Poulidor est battu comme d’habitude. Je lui accorderai, contre vents et marées, toujours la même mansuétude, le salut d’un enfant à l’endroit du poète artisan de la petite reine » (Fred, page 66, 5 Sens Editions, 2019).
Poulidor pédalait sans effort, sans étoffe de leader, sans rage de vaincre ni rictus de terreur. Il aimait la bicyclette, lui avait consacré une vie d’athlète. Il musardait dans le peloton sans autre ambition qu’un bonheur de roue libre. A quarante ans passés, Raymond n’était pas usé comme tant d’autres grimaciers de l’asphalte. Il tenait la dragée haute à l’imbattable Merkx. Il guerroya avec Anquetil, lui donna du fil à retordre. Mais les cérémonials d’étape étaient réglés d’avance. Poulidor s’attribuait le panache, Anquetil se contentait de la figure de stratège.
L’ère pompidolienne s’accorda à merveille à la poésie champêtre d’un champion sans urgence. Raymond, l’homme du Limousin, était une sorte de dieu païen, la coqueluche des clochers. Le peuple des terroirs adora son bon sourire de paysan, ses échecs, ses malchances de coureur. Saint Léonard de Noblat était un lieu de culte.
La nation s’identifiait à Raymond, gilet fluo avant l’heure et la manie des ronds-points. Poulidor n’endossa jamais le mythique, l’élyséen maillot jaune. Poulidor était unique en son genre. Malgré sa rusticité d’origine, Raymond était d’une délicatesse de jeune fille. Antonin Magne, son entraîneur sportif  chez Mercier, vouvoyait Poulidor. C’était le seul du peloton. Question de pudeur. Poulidor est mort. Silence. On se décoiffe devant la dépouille exemplaire.

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