vendredi 22 août 2025

Demos, l'interview

De quoi s’agit-il ? Les unes cherchent un vertige, d’autres une couleur, les troisièmes une sorte de néant, un vide suspendu au fil d’un style. Les écritures cherchent une sainteté au coin de la page, une aventure avec du rouge qui requinque une santé. Demos est un récit cousu des regards et des silhouettes heureuses de petites amoureuses. J’évoque leurs apparitions, le clignotement fugitif d’une séduction qui s’imprime à même une peau, en scarifie la mémoire avec les mots d’une vie. Je passe de l’une à l’autre dans le désordre des impasses. Je me rapproche des us et coutumes du terminus et d’une fin d’album. Le temps s’échappe de ma tête comme un dernier épithète. Ce récit composite, à l’image d’une vie, est un alliage de vrai et de faux. Demos est un nom de récréation, le mot grec qui me désigne à mes camarades de pain sec. Je m’assimile à la petite foule piaillarde du préau, celle des premiers mots, et dont j’oublie le grand et costaud Moreiro. Nul autre peuple que celui des tabliers gris ne m’a convaincu de sa prière. Il invente ici un sobriquet que je déterre de son secret. J’ai l’impression que Demos est une autobiographie en zigzags. J’y vois une vie qui se récapitule, comme un défilé d’hallucinations avant l’extrême-onction, avant le dernier sacrement du mourant. « Mes petites amoureuses », l’expression rimbaldienne, reprise par Eustache, j’aime en dessiner le visage, en fignoler les contours, en saisir l’intense vibration, l’exacte lumière d’une chair, la luciole qui éclaire une solitude, une chétive idiosyncrasie. J’ai voulu ce livre, écrit de manière suffoquée, écrit d’un jet de première nécessité, car il m’a guéri des hivers insatisfaits et de leur longue mélancolie. Il a soigné à la racine mes démangeaisons de rimes, dissuadé par la page mes grattages d’épiderme. J’ai su quoi faire de ma peau. Je vois bien que Demos ne répond à aucune question. Surtout pas. Disons qu’il vise à en découdre avec le point virgule, à taquiner l’italique comme on manie un gri-gri et que finalement il m’a ragaillardi. Juste ça. Demos est un rêve de havre, une écriture qui s’abandonne, « un moment parfait » qui me rappelle un transat au soleil, une mère qui guette un dernier sourire d’été. Et qui chante, de manière si poignante, dans sa gaieté mozartienne, une ritournelle, l’antienne qu’elle me destine et qui s’adresse au ciel : « Vous devriez venir. Vous savez, c’est le paradis ». Oui. Je persiste et renouvelle l’interrogation. Mais de quoi s’agit-il, au juste ? Demos est du temps volé au ressentiment. Il est fait d’instantanés, des visages et des paysages saisis sur le vif, que je chaparde au ressentiment. J’aime citer Flaubert, qui en patron des artistes met les points sur les i : « Ils sont mouchards faute de pouvoir être soldats ». Car ce livre-là, je l’ai écrit en troufion qui se coltine au front des émotions, en bidasse des tranchées de phrases. Avant la dernière pelletée, je voulais revoir des figures, des yeux bien au milieu, un regard de transit, celui de ces compagnes d’une nuit ou d’une vie qui ont échangé leur énigme avec la mienne. J’ai esquissé la trogne de vieux braves croisés en route, des bouilles impromptues qui se sont détruites, ou qui persévérèrent, perdues de vue, hors champ, sans que j’en sois instruit. Leur crânerie m’épargne le fracas ambiant des crétineries. Bref, avec Demos, je suis tombé sur un os. Qu’est ce qu’un livre ? Celui-ci, en l’occurrence. Le livre se dit l’ivresse, au féminin. Je sais que je l’ai écrit, qu’il m’a guéri, mais je ne sais plus très bien ce que j’ai écrit. J’ai la mémoire qui flanche. J’ai besoin de le relire. J'invente au besoin, mais je ne mens pas.

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