lundi 12 janvier 2009

Villeret

Jacques Villeret s'en est allé sur la pointe des pieds. Dimanche soir, il est passé en voisin sur la télévision publique. Il s'est rappelé à notre bon souvenir. On lui demande pardon pour pareil oubli. Jacques Villeret est un comédien de génie. Ses grands yeux purs se posent sur l'image comme sur un ciel d'azur. Ils contemplent la beauté muette des bêtes. Jacques Villeret nous émeut comme seul un homme taiseux, un homme de peu sait faire. Sa trogne rougie évoque l'infini au premier regard. Ses doigts manient la délicate dentelure des timbres poste d'Ifni. Jacques Villeret n'a jamais accompli que des one man shows. Il n'est entouré que de comparses. Ses amis acteurs ne sont pas à la hauteur. Impossible. Dans Villeret, il y a vérité, plus deux ailes. A la fin du film, cette homme sorti d'un portrait paysan à la Depardon s'est retranché dans un mutisme de pierre. Pour le voir, le revoir, rire et pleurer à la fois, il faut sonner au paradis.

jeudi 8 janvier 2009

Près de chez vous

La crise justifie les moyens. C'est pourquoi l'Etat prête main forte aux banquiers. On n'épargne pas les épargnants. Ils font crédit aux établissements financiers. Cet argent est confisqué puis revendu à ses propriétaires, si jamais la lubie d'emprunter leur traverse l'esprit. Ils renflouent les caisses des banques, deux fois. D'abord, par générosité d'Etat. Ensuite, par nécessité de se refaire. Agricole ou pas, le crédit vous dépouille comme au coin d'un bois. L'escroquerie se pratique au guichet, près de chez vous. Pas loin à aller. 

Les mains

La photo est prise à l'intérieur d'une grande maison. Ils sont alignés comme un choeur de chanteurs. Ils arborent le même sourire, dévoilent l'émail éclatant d'une dentition parfaite. Ils sont vêtus à l'identique d'un costume de ville. Ils partagent une taille assez voisine, au-dessus des cent quatre vingt centimètres. Ils ont conservé des cheveux sur la tête. Ces cinq présidents ne diffèrent que sur un point: la position des mains. Carter et Bush junior ont les mains qui pendent, Clinton les dissimule dans son dos, Bush senior les camoufle dans ses poches, Obama croise les doigts. L'homme de la Maison-Blanche exorcise le mauvais oeil.

mercredi 7 janvier 2009

Les soldats des soldes

L'heure de la ruée des rabais a sonné. Au clairon de la Saint Raymond, les soldats des soldes sont tombés du lit, ont foncé dans la nuit vers la griserie des petits prix. Les foules obéissantes se pressent aux caisses. On se regarde en chiens de faïence. La concurrence s'exporte du travail quotidien au shopping frénétique. Les gens courent, un oeil de côté sur le rival d'emplettes. Pas question de se laisser marcher sur les pieds, de rater l'affaire du siècle. Dans un embouteillage de piétons, on ne cède pas la priorité. La cérémonie des soldes établit une lutte impitoyable entre acheteurs, une farouche compétition au royaume des prix sacrifiés. On joue des coudes comme au bureau.

mardi 6 janvier 2009

La Rochefoucauld

"Quand la vanité ne fait point parler, on n'a pas envie de dire grand-chose". La Rochefoucauld nous enseigne la sobriété des mots. L'écrivain se sait prisonnier de la dernière syllabe. Il dit, écrit, sous la dictée du nombril. L'élégante maxime fouette le sang. A l'heure des grandes bouffes langagières, le fin moraliste nous abreuve d'eau fraîche. 

lundi 5 janvier 2009

L'autodafé des autos

A chaque Nouvel An, les casseurs de chrome s'en donnent à coeur joie. La cérémonie des automobiles incendiées tient du rituel festif. Des bandes de gosses sacrifient les voitures que leurs parents ne veulent plus acheter. Dans le même temps, l'auto figure au premier rang des victimes de la récession économique. Déjà singulièrement chahutée par les chantres du développement durable, la bagnole ne roule plus très rond. A se demander si le braillard Paris/Dakar ne constitue pas une survivance anachronique, une arriération ringarde. Au-delà de l'autodafé annuel des autos, on assiste à la noyade emblématique d'une industrie, à l'obsolescence inexorable d'un mode de vie.

vendredi 2 janvier 2009

Le vaneau huppé

A l'angle des labours, j'épingle des yeux l'oiseau de mon enfance, le vaneau huppé qui fuit les rigueurs polaires. Je longe le champ, j'observe l'éparpillement du vol migrateur embourbé dans la terre. Je dois au vaneau mon meilleur souvenir de chasse. A l'époque, j'empoignais mon fusil favori comme on se confie à un ami. A ce même endroit, baptisé La Papillonnière, dans le soleil jaune d'octobre, je m'approchais à pas lents. Sur ces étendues de terre rase, l'homme est vu de loin. Dans un fracas vertical de plumes, les oiseaux se propulsèrent vers le ciel, à la vitesse du vertige. J'épaulais au réflexe. Les vaneaux, aveuglés par la lumière oblique, s'étaient sauvés juste à temps. L'un d'entre eux, isolé de la bande, chuta de manière rectiligne. La huppe de l'oiseau se dessina sur la terre comme un point d'interrogation. Je me souviens de la boîte de cartouches orange. C'était une joie sauvage, plus dure qu'un bonheur d'écriture.