Il mâchouillait quelque chose. Il avait plié en quatre les feuilles du journal, croisé ses jambes nues, crayonné les cases des mots. Le sable du jardin était mouillé. Nous étions retranchés au Wigwam.
Adossé à l'oreiller chiffonné du canapé, il taillait un grain de raisin entre ses dents, n'en conservait que le pépin, jouait de cette pastille de fruit comme d'un chapelet égrené.
Son pied balançait. Il était veiné d'un sang violet, s'échappait d'une sandale entoilée. Un sourire figeait ses lèvres minces. Les lendemains étaient faits de meubles en rotin. Papa se taisait en sa solitude intérieure. Il n'éventait ses secrets qu'entre les lignes de Bob Morane ou Nick Carter.
Il passait l'été avec ses illustrés. Il absorbait les magazines comme une dose de vitamines. Avec la frivolité, il pactisait avec la sainte beauté. J'aimais Oumpapah, l'Indien bigarré en habits d'apparat.
lundi 10 juin 2013
dimanche 9 juin 2013
Pierrot du Nord
Avec sa petite moustache neigeuse et son pyjama écossais, calé dans un fauteuil d'hospice, le vieux Mauroy fixait des yeux le bleu des cieux. Il était grand, rond, jovial et débonnaire, fabriqué à l'ancienne, d'une longue lignée de bûcherons. Sa cognée avait la conviction d'une épée. Son coup de hache ne manquait pas de panache.
Avec ses épaules de déménageur, sa carrure d'armoire à glace, il n'ambitionna jamais d'emménager à l'Elysée, d'accéder à la première place. L'homme à initiales de Premier Ministre ne brigua pas le piédestal. A Matignon, il s'installa au comptoir, paya à boire d'entrée de jeu. Il rasa gratis, vite honora sa promesse.
Au bar/tabac du septennat, Pierrot du Nord anticipa le temps des gueules de bois. Après banquets et confettis, il consentit aux sacrifices d'une maudite économie. Dans un monde de brutes, Mauroy était une bête d'humanité. Dans un téléfilm bien de chez nous, il aura joué les rôles d'un Victor Lanoux. Mauroy n'avait pas peur de grand chose. Il feignait de croire à une réalité tapissée de roses. Son vrai talent d'homme du Nord était d'être heureux, courageusement heureux, généreux dans l'effort, dédaigneux de la mort. Tout son corps rayonnait d'une ferveur, brûlait d'une fureur, était animé d'un soleil intérieur.
Jaurès était sa tasse de thé, l'emblématique rayon de fraternité d'une destinée. Il fut ce socialiste génétique qui s'abstint de mettre de l'eau dans son vin, qui refusa de rayer l'ouvrier de son coeur de métier. Il fut un socialiste municipal dont l'idéal était enraciné dans les terrils. Il fut la rougeaude figure de Lille, l'apôtre modèle de "plus belle la ville".
Mauroy était le bon soldat, le missionnaire exemplaire d'un socialisme trop souvent d'apparat. Pas gauche plein aux as pour un sou. Il se tenait loin des cupidités ordinaires et des masques de vertu sous couvert d'égalité.
Avec ses épaules de déménageur, sa carrure d'armoire à glace, il n'ambitionna jamais d'emménager à l'Elysée, d'accéder à la première place. L'homme à initiales de Premier Ministre ne brigua pas le piédestal. A Matignon, il s'installa au comptoir, paya à boire d'entrée de jeu. Il rasa gratis, vite honora sa promesse.
Au bar/tabac du septennat, Pierrot du Nord anticipa le temps des gueules de bois. Après banquets et confettis, il consentit aux sacrifices d'une maudite économie. Dans un monde de brutes, Mauroy était une bête d'humanité. Dans un téléfilm bien de chez nous, il aura joué les rôles d'un Victor Lanoux. Mauroy n'avait pas peur de grand chose. Il feignait de croire à une réalité tapissée de roses. Son vrai talent d'homme du Nord était d'être heureux, courageusement heureux, généreux dans l'effort, dédaigneux de la mort. Tout son corps rayonnait d'une ferveur, brûlait d'une fureur, était animé d'un soleil intérieur.
Jaurès était sa tasse de thé, l'emblématique rayon de fraternité d'une destinée. Il fut ce socialiste génétique qui s'abstint de mettre de l'eau dans son vin, qui refusa de rayer l'ouvrier de son coeur de métier. Il fut un socialiste municipal dont l'idéal était enraciné dans les terrils. Il fut la rougeaude figure de Lille, l'apôtre modèle de "plus belle la ville".
Mauroy était le bon soldat, le missionnaire exemplaire d'un socialisme trop souvent d'apparat. Pas gauche plein aux as pour un sou. Il se tenait loin des cupidités ordinaires et des masques de vertu sous couvert d'égalité.
mercredi 5 juin 2013
Le tennis
La cérémonie du tennis exige une couleur de sang séché. Les officiants se dédoublent dans un miroir déformant. Dans la diagonale de terre battue, s'organise une bataille de rue. S'y dessine un calice haut dans l'espace. S'y dévoile l'arme brandie. Elle impose sa pause d'un mouvement de paume.
Dans la diagonale de terre battue se courbe une nuque. Elle confesse un consentement au sacrifice.
Se libère la sphère, la balle meurtrière qui jette sa colère. Les danseurs se font peur. Federer a perdu sa fureur. Le roi est une proie. Le tennis est tapissé de milliers de corps lapidés. L'ocre restitue la douleur d'ogre.
Dans la diagonale de terre battue se courbe une nuque. Elle confesse un consentement au sacrifice.
Se libère la sphère, la balle meurtrière qui jette sa colère. Les danseurs se font peur. Federer a perdu sa fureur. Le roi est une proie. Le tennis est tapissé de milliers de corps lapidés. L'ocre restitue la douleur d'ogre.
Maléficiée
Montaigne, dans sa langue, est quasi illisible. J'ai refermé le bouquin d'une main robuste comme on poignarde un rêve. J'entasse des Pléiade qu'aujourd'hui je laisse en rade. Je lirai Les Essais dans un patois rénové.
La virée orientale de Flaubert s'éternise dans des lettres inégales. J'ai besoin d'espacer leur lecture, de me divertir au petit bonheur. Ici et là, j'ai grignoté des mots de Gracq comme des cerises sur l'arbre. Je dévore un vieil entretien sur Jules Verne. En bon élève, j'ai griffonné deux adjectifs sur un bout de papier: "maléficiée", "entretoisé".
Le magique géographe définit les Balkans comme "une région maléficiée". La malice n'est jamais loin du maléfice. Gracq cite ainsi Giraudoux à l'enterrement de je ne sais plus qui: "Allons nous-en, il n'est pas venu".
La virée orientale de Flaubert s'éternise dans des lettres inégales. J'ai besoin d'espacer leur lecture, de me divertir au petit bonheur. Ici et là, j'ai grignoté des mots de Gracq comme des cerises sur l'arbre. Je dévore un vieil entretien sur Jules Verne. En bon élève, j'ai griffonné deux adjectifs sur un bout de papier: "maléficiée", "entretoisé".
Le magique géographe définit les Balkans comme "une région maléficiée". La malice n'est jamais loin du maléfice. Gracq cite ainsi Giraudoux à l'enterrement de je ne sais plus qui: "Allons nous-en, il n'est pas venu".
lundi 3 juin 2013
L'aurore
Dès midi, j'ai la nostalgie du matin. L'aurore décide de mon sort. J'aime l'aube intacte. A la naissance du jour, je me gorge de pleins pouvoirs, j'absorbe élixirs et nectars, je tends mon torse aux grands espaces.
Je m'accoutume à l'aurore. Mon corps s'intoxique de sa félicité. Je me lève d'un bond en manque d'horizon. Je boxe à voix basse. Je suis invincible.
Avec les heures qui se comptent commence la grimace du labeur. Tous les soirs, je songe à revoir une jeunesse, à jouir encore d'une matinée d'empire. Or tous les soirs, il se fait tard.
Je m'accoutume à l'aurore. Mon corps s'intoxique de sa félicité. Je me lève d'un bond en manque d'horizon. Je boxe à voix basse. Je suis invincible.
Avec les heures qui se comptent commence la grimace du labeur. Tous les soirs, je songe à revoir une jeunesse, à jouir encore d'une matinée d'empire. Or tous les soirs, il se fait tard.
samedi 1 juin 2013
Le petit Alain
Je me souviens de ses funérailles, d'un prélat qui parla de Bach, des poignées de mains par saccades, de la couleur d'un vitrail.
L'oncle rongeait ses ongles. Avant de mourir, il remua ses lèvres sur sa captivité. Il jeta le silence comme un drap sur le blabla, une main suffoquée sur l'aboiement des roquets.
Il fixa ses démons dans une nuit peuplée des mêmes sons. Je songeais à son visage téméraire. C'était le sosie, corps et regards, de Charles Denner. A Trouville, nous formions un duo de balles, faisions contrat de génération, glissions sur la terre rouge du bord de plage. Les gamines à bonne mine rêvaient des speakerines. Les yeux des solitaires s'attardaient sur Jacqueline Joubert. Les pêcheurs à parler cru bridgeaient dru, déconnaient avec sa mère, la Baronne.
Le petit Alain dansait seul. Avec ses tourments de chiennerie. De la grande baie du Monoprix, je l'observais distribuer ses cajoleries. Il secourait les délaissés des pavés, passage d'un drôle de Havre.
L'homélie du gai curé m'instruisit de sa dernière volonté. Il pressait la main d'un ami, d'une musique de compagnie. Il est mort dans les bras du divin musicien.
L'oncle rongeait ses ongles. Avant de mourir, il remua ses lèvres sur sa captivité. Il jeta le silence comme un drap sur le blabla, une main suffoquée sur l'aboiement des roquets.
Il fixa ses démons dans une nuit peuplée des mêmes sons. Je songeais à son visage téméraire. C'était le sosie, corps et regards, de Charles Denner. A Trouville, nous formions un duo de balles, faisions contrat de génération, glissions sur la terre rouge du bord de plage. Les gamines à bonne mine rêvaient des speakerines. Les yeux des solitaires s'attardaient sur Jacqueline Joubert. Les pêcheurs à parler cru bridgeaient dru, déconnaient avec sa mère, la Baronne.
Le petit Alain dansait seul. Avec ses tourments de chiennerie. De la grande baie du Monoprix, je l'observais distribuer ses cajoleries. Il secourait les délaissés des pavés, passage d'un drôle de Havre.
L'homélie du gai curé m'instruisit de sa dernière volonté. Il pressait la main d'un ami, d'une musique de compagnie. Il est mort dans les bras du divin musicien.
Boomerang
Les jours se désignent à l'attention, en rang d'oignons, naissent coiffés dénués de volonté. Dans la boîte à courrier, j'isole une lettre expédiée joliment dessinée.
C'est une lettre diagonale dont les mots commencent à l'épaule et s'achèvent à la taille. C'est un corps de texte. Il est beau dans son papier d'intact écho.
Je me nourris de sa graphie. Les derniers signes frôlent la balustrade. Je me penche à la fenêtre écrite.
J'ai trouvé l'heure, exprimé ma stupeur. Je pense à Gracq, à la magie du boomerang.
C'est une lettre diagonale dont les mots commencent à l'épaule et s'achèvent à la taille. C'est un corps de texte. Il est beau dans son papier d'intact écho.
Je me nourris de sa graphie. Les derniers signes frôlent la balustrade. Je me penche à la fenêtre écrite.
J'ai trouvé l'heure, exprimé ma stupeur. Je pense à Gracq, à la magie du boomerang.
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