vendredi 9 mai 2014

Admirable

J'ai l'impression que j'ai besoin de relire indéfiniment Proust et Flaubert jusqu'à l'impossible achèvement  de mes éblouissements. Mais Marcel est l'aîné, Gustave le cadet.
Admirable est le seul mot qui convienne pour définir l'art de Proust. Il désigne autant sa vie d'incarcéré que son genre de beauté. Dans le recueil de souvenirs de la gracile Céleste, Proust ne trouve pas d'autres syllabes pour évoquer une mère pleine de grâce.
Je sors de Flaubert comme des Baumettes. Je cherche un toit, un métier, un repère dans la société. Je saigne et je songe à Montaigne. Mais le gentilhomme m'effraie comme n'importe quel inconnu dans la rue.
Je me fourre dans Proust. J'empoigne sa phrase comme la texture d'une jupe. Il apprivoise ma liberté. Il civilise ma sauvagerie. Je suis prisonnier d'un paradis où les pommiers sont des alphabets.

jeudi 8 mai 2014

Un laboureur

Morand se lit dans l'ennui car il agite sa phrase plus qu'il ne fouette une braise. L'Helvétie lui dicte un souci de superficie.
En revanche, j'aime quand il cingle l'écrivain du dimanche. Gifle Malraux d'un mot, rosse Green et Mauriac. Il hausse le ton, le menton. Il cause de bonnes choses. Ose Bernanos, mendie Mandiargues, se toque de Frank.

Céleste ne quitte pas Monsieur des yeux. Madame, il l'appelle comme ça, parce que "Céleste, il ne pourrait pas". Proust n'a pas choisi sa route. Il est suiviste, fataliste, artiste.
Il est difficile comme un fils. Il écoute son corps mais il ignore l'aurore. Il se réveille au crépuscule. Il consulte un docte comme ses notes. Bize en bon toubib se risque au diagnostic d'un prince paysan. "Vous travaillez de force comme un laboureur !".

mercredi 7 mai 2014

L'InContinent

Le Vieux Continent se mue en vieil incontinent. Il ne peut se retenir d'élargir son empire élastique. L'Europe dégringole sur un modèle d'auberge espagnole.
L'Europe est née des horreurs d'un Führer et de la terreur d'un rêve partageur. On se rabiboche avec le Boche. On enterre la hache de guerre, on ouvre les frontières.
Plus jamais la saignée des tranchées. Plus jamais la fureur d'un Kaiser. Sur la table rase de la dernière grande ratonnade mondiale, les esprits déliés inventèrent une fraternité des nationalités. Ne plus faire qu'un en territoire européen. S'interdire la guerre par ambition d'être prospère.
Primat de la Ceca. On resta dans la mentalité canon à vouloir construire l'amitié par l'acier. Nous autres grognards, vieux du Continent, désarmèrent nos arrière-pensées de livres d'histoire. Même si paisiblement, sous pavillon Otan, nous bombardâmes Belgrade, il y a quinze ans.
On ne se querellera pas pour une frontière ou un bornage de terre. On guerroie pour des marchés. Nous heurtons nos nations pour des picaillons. Nous sommes ennemis par l'économie.
Nos nations exercent une guerre de positions sur le champ de bataille d'une mondialisation. L'ego prévaut en zone euro. L'économisme dérive en nationalisme. On ne mitraille plus la bleusaille. Les travailleurs licenciés se substituent aux gueules cassées. Ils tombent sous les balles de la concurrence.
La compétitivité allemande détruit nos emplois comme hier la grosse Bertha nos plus fiers soldats.
L'Amérique et le Qatar s'octroient nos patrimoines ringards. On taxe l'audace. La jeunesse fuit vers l'Asie ou la Californie. L'Europe coince, fait province. Hollande, notre débonnaire pépère, cache un déficit visionnaire derrière ses pactes de petit chef de bande.
La vieille Europe fait son âge, s'agrège par manque de courage. Pas de capitaine, pas de cap pour l'incontinente Europe, faubourg d'Amérique et périphérie de l'Asie. La crise ukrainienne révèle l'impéritie européenne. L'Europe barbote dans une mer morte comme un canard sans tête qui bat des ailes de manière mécanique.
De Gaulle privilégiait un vigilant pragmatisme au détriment du bêlant européisme. A Londres, il parlait d'avenir, d'hier et d'aujourd'hui: "La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts".


mardi 6 mai 2014

Marcel et Gustave

Début de printemps 1922. Ses doigts exécutent une dernière danse. Dans la nuit, s'achève une frénésie de scribe. Marcel trace trois lettres: consonne, voyelle, consonne. Il a fini sa vie. A Céleste, il confie un sourire: "Maintenant, je peux mourir". Il traînera jusqu'en novembre.
Mai 1880. A Du Camp, son compagnon d'Orient, Gustave griffonne un soulagement: "J'ai à peu près terminé mon livre; ce qui me reste est peu de chose". Il périt le huit dans le travail accompli d'un dernier manuscrit.
L'un et l'autre, à la peine, se cramponnaient à la beauté comme à un ballon d'oxygène.

lundi 5 mai 2014

La parole intérieure

Avenue Rapp, le soleil ruse, séditieux comme un pape, parmi les promeneurs d'Emmaüs. On s'attable, pose les coudes sur la nappe. On se requinque au champagne orangé.
J'observe la parole intérieure d'une liqueur. L'été est d'éternité brève. J'aime mai pour cause d'incivil avril. Une flaque de poivre encercle l'insulaire barbaque.
L'ombre s'allonge comme le linceul d'une tombe. Dieu change de lieu."Reste avec nous; le soir approche". Luc évangélise à pic.

samedi 3 mai 2014

Elisa Schlesinger

J'approche du rivage. Je fais la planche. Je ralentis la cadence. J'ai peur de toucher le plot du dernier mot. Si d'aventure la possibilité m'en était donnée, je rebrousserais chemin volontiers.
Je dérive à une poignée de pages de l'accostage. J'ai parcouru cinq tomes de Pléiade sans jamais violenter la majesté d'une allure gourmande.
J'ai lu l'oeuvre complète en parallèle des miraculeuses lettres. J'ai situé ma connaissance dans l'ordre des naissances. La beauté Flaubert m'est révélée dans sa nécessaire continuité.
Des sublimes écrits de jeunesse à l'ultime bouquin sur la bêtise. Je reviendrai sur Novembre et Mémoires d'un fou. A cause d'un souvenir tabou. Par amour d'Elisa Schlesinger.
Ses manuscrits sont des cadavres, au style planté dans le mille, des proies maculées de traces de doigts. Madame Bovary, Salammbô, L'Education Sentimentale, La Légende de Saint Antoine, Un Coeur Simple, Saint Julien l'Hospitalier, Hérodias, Bouvard et Pécuchet. Marmaille d'un même sang.
Flaubert guerroie contre le bourgeois. Se lasse de sa lancinante bassesse. Il souffre, il souffle. Appareille dare-dare pour les fureurs de l'Antiquité barbare. Flaubert alterne roman de son temps et peplum de dépaysement. Question d'hygiène.
Ce drôle de zèbre écrit dans le marbre. La phrase de Flaubert diffracte une beauté d'apparat qui n'a pas bougé d'un iota.






jeudi 1 mai 2014

Les joues rouges

Inspecteur honoraire des chemins de fer. J'examine la calligraphie de l'enveloppe jaunie. Paul s'adresse à Maurice, mon grand-père. J'ai son âge et la guerre fait rage.
Je le vois, treize ans plus tard, dans son lit d'agonie, rue de Logelbach. Le drap découvre la diagonale de son corps. J'observe les fesses rouges. La lumière colle aux yeux comme l'ardeur d'un feu.
Je revois Maman, chambre trois cent vingt-cinq, les joues empourprées, colorées d'une même fièvre coquelicot. Ma vie s'insère entre deux figures d'enfer.