mercredi 10 décembre 2014

Les deux vicaires

Les notaires bariolent des banderoles, dépavent les boulevards, s'agrègent en cortège. Les enragés du droit coutumier se costument en déshérités de la société. Le mouvement ouvrier est relayé par un front notarié. Le métier ne doit s'exercer qu'en petit comité. C'est une action spontanée des rentiers du cadastre.
Hier, à l'heure des préparatifs de manif, j'ai coudoyé deux leaders notoires de la grogne. Ils jouissaient de la sécurité du papier. Ils dénombraient leurs feuillets comme des liasses de billets. Ils lisaient le poème du bien cédé comme l'abbé récite un bénédicité.
J'ai interrompu la prière des deux vicaires. A cause des manquements récurrents à l'orthographe élémentaire. Ils ont désigné l'arpète du texte en bout de table. Rien n'entache la légitimité du prélat. On se pardonne l'offense sans pénitence. Un sourire d'homme de droit suffit au contentement bourgeois.

lundi 8 décembre 2014

Le chemin de ronde

Rue de Castellane, rue de l'Arcade, rue des Mathurins. Je longe le carré des façades anthracite, arpente l'asphalte en fuite. La mort a tailladé le trottoir, scarifié la mémoire. Elle rôde en renard, maraude bande à part.
Sur un banc d'oubli, vert bouteille écaillé, le gros homme est vautré dans l'ivresse, hurle au vent sa détresse. Je frôle un corps qui dégringole. Un cri rauque égratigne la rue comme un genou. Sa panse éclate d'une écarlate violence.
A l'angle asiatique, la table où j'écoutais Django, loin des échos frénétiques. Je mordille mes lentilles. J'achève un chemin de ronde. Je me propulse aux basques du kiosque. Il est grillagé comme un danger.
Richard de dos s'était refusé aux mots. Le kiosquier périssait sous le poids du papier. Il rassemblait ses effets, déguerpissait du quartier. La mort l'a cueilli comme un éphémère pissenlit. J'ai fini le jogging du souvenir. Ma paume solitaire ne serre plus qu'une clé de propriétaire.

vendredi 5 décembre 2014

Bernard, chef de nef

De derrière, je vois ses cheveux lissés, argentés sur la nuque. Bernard rebondit de poitrine en poitrine, d'une joue mastic à l'autre, comme une balle de vertige.
Il pleure comme un veau d'abattoir, à visage découvert, tuméfié comme un lutteur déganté, tatoué de douleur. Hubert le boulanger a bravé les failles du rail, quitté sa masure de Chambois à l'heure noire du brouillard. La ronde des trognes s'ébroue lentement devant le catafalque.
Bernard, chef de nef, est secoué de sanglots par saccades. Bernard est mitraillé de l'intérieur. Sa tête pend sur son buste. Il est prostré sur un portrait. Pourquoi est-ce que vous êtes venus ?
Bernard tord sa mâchoire pour tenir le crachoir. Faut boire un coup. Les pèlerins du chagrin s'égrènent sur l'asphalte. On se serre au bistrot comme sur un banc de touche. Bernard officie au crématoire. Un homme procède à l'autodafé d'une femme. C'est le dernier match quand la chair devient cendre et la vie confettis.
Vous êtes toujours là ? Bernard commande à boire. On fait cercle à côté du serrurier, du bidasse et sa fiancée. Bernard le bistrotier n'est pas classé au patrimoine de l'humanité. Il est blanc comme un clown, d'une espèce menacée. Bernard remue notre peau, triture nos remords d'hommes falots. Bernard squatte un coin de square de nos misérables mémoires.

mercredi 3 décembre 2014

Diagonale de table

Je considère l'assiette, la meule de spaghettis rougis, la tiède odeur de tomate. Dans la diagonale de table, l'homme taillade une pizza. La bouteille de Valpolicella imprime une sémillante force, une gaieté factice à l'exercice croisé d'une conversation.
Je rate les gaudrioles de la rumeur de hall. Je manque la marche des mots. Je songe à la comtesse Greffulhe, alias Oriane de Guermantes. La rue se défausse, patiente sans promesse, la peau sur les os. L'horizon est une porte de prison. Je regarde par la vitre la couleur chauve des choses.

La boulangerie

Dans une nuit mauve où le passant se sauve, le bout de rue s'anime de lueurs brusques. La boulangerie réveille ses confiseries, au clairon d'un pain de tradition. L'échoppe se colorie de loupiotes qui hésitent.
Les solitaires, de bonne heure au plein air, s'orientent à la lumière des blés. Ils s'engouffrent dans la grotte étoilée comme dans une baraque à gaufres.
Le patron sans tablier gesticule dans sa propriété. Une jeune fille fardée obéit au débit saccadé. Ses grands yeux interrogent la hâte, pareils aux flammes qui crépitent.

mardi 2 décembre 2014

Le bonheur

Sarkozy s'égosille ces jours-ci. Il est chef de parti, pas à moitié. Il rame à rassembler les égarés, à contre-courant d'un mouvement dispersé. Il rameute les loups d'émeute. La chasse en bande prévaut sur les prébendes.
Il est fébrile du nombril. Il nous rappelle qu'il est pareil. Changer de nom. Paul Bismuth gesticule tous azimuts. Sarkozy souffre d'un handicap: il ferraille sans masque.
Le Maire est instruit comme un haut fonctionnaire. Il n'est pas bavard sur l'hectare. Il est mièvre et sans fièvre. "Je suis heureux". L'électeur lui cause du bonheur. Je songe au Général: "L'illusion du bonheur, d'Astier, c'est fait pour les crétins" (André Malraux, Les chênes qu'on abat..., page 121, Gallimard, 1971).
Le Maire ignore la passion comme un major de promotion. Il a mouillé sa chemise blanche de premier communiant. Il passera à la teinturerie, fils de Giscard, Juppé, Balladur réunis.
Juppé rime avec constipé. Il ne tirera ni son épée, ni les marrons du feu. Il est frileux comme un vieux. Avec génie, Chirac racontait des craques, a dit beaucoup de conneries.
Fillon est le bon à rien de la compétition. Séguin lui confiait son porte-documents. Villepin l'a oublié dans son calepin. Fillon ignore qu'il est médiocre.


lundi 1 décembre 2014

Le roi Cophetua

Quand la nuit noire enfante un gris d'échec, qu'une pluie de lugubre intériorité cisaille un fiasco, je colmate une panique à l'aide d'une musique.
Sans la couleur au chevet d'une humeur, sans un rouge au secours d'un caprice, tel quel au jeu des voyelles, je manque d'alcool.
Je sonne La Callas en personne. La cantatrice interroge une cicatrice. Sa voix est l'émoi d'une foi. Elle guérit le défaut d'un coloris.
Je repeins les matins mastic d'une couche rouge de musique. Je frotte une phrase, les mots du Roi Cophetua, à l'écho domestiqué du bel canto.