J'ai pour gîte EasyJet, deux heures bleues à la fenêtre, de Naples à Orly. J'ajoute une épithète, une touche violette à la bougresse. Je maîtrise peu mes dettes, je noircis un carnet de précieuses défaites ou d'ennuyeuses redites. Napoli est un pluriel de voyelles, terre et ciel pêle-mêle. La cité des saletés est un bouquet de vitalités édentées. Le rouge éclate comme une flamme incarnate.
L'empathie du pamplemousse me dissuade d'être complice. J'y mets du gin, de l'entrain, du campari, de la fantaisie. J'entends l'accent effervescent des gens. Je trinque avec l'oiseau couineur, candide et perché, sur les parapets de l'Excelsior.
La ville est pavoisée de draps qui rutilent. Le chiffon délimite l'horizon. L'art des ruelles est fait de graffitis textiles. Via Toledo, nul besoin des mots d'Il Mattino. On fait les poches comme la gueule ou son âge. Je mêle mes doigts comme les pinceaux délavés d'un moine abbé. Sentir m'interdit de mentir. De quelque chose, avoir envie.
Céline me souffle un bout de son bénédicité: "J'ai le respect des somptuosités." Je songe à la sambuca, au vin morveux, à la luisante beauté bleue. Je remue la glace, les lèvres du calice. Entre algarade et pétarade, visages et coloris, je bois des limonades à l'anis. On s'en tape d'Alep, pas leur type, pas de malaise ici en mauvaise Campanie.
samedi 17 décembre 2016
vendredi 2 décembre 2016
Nafissatou, c'est fini
Nafissatou a lâché
son candidat chouchou. La dame de Manhattan abandonne son bonhomme de président
en rase campagne. Elle l’avait précipité à l’Elysée, chef d’une nation amie,
sous le coup d’une grosse émotion, d’une odieuse brutalité d’oreiller. Nafissatou
s’en mord les doigts. Elle a défait son roi. L’effet Nafissatou, c’est fini.
La gouvernante
new-yorkaise a voulu qu’il se taise et retourne en Corrèze. Elle a destitué
l’homme de Tulle, épaulé d’un coup de pouce, aidé des bons offices du serial killer François le Sarthois qui a
estourbi l’utile Sarkozy, rassembleur idéal d’électeurs socialistes.
Nafissatou a fait
son temps, Hollande son mandat. Fillon a fait d’une pierre deux coups. On
tourne la page de deux présidents assez quelconques qui ont échoué à requinquer
la grande nation. Le roman s’écrit avec d’autres protagonistes, d’autres
lieutenants à mentors morts : Rocard pour Valls, Séguin pour Fillon, et
même Hollande pour Macron. Au cœur du récit, sous la plume de l’auteur, on identifie
une reine de la dynastie Le Pen, Marine la croquemitaine. A la gauche de toutes
ces droites, figure le bouillant Mélenchon, joyeux castriste et méchant
compagnon.
A voir notre rubicond « pépère » devenir blême, se justifier à l’antenne des déboires de sa fonction, on songeait à un boxeur groggy, baladé dans les cordes, les yeux baissés, en difficulté sur ses appuis. Car ledit pépère n’était plus unitaire. Il redoutait les discours, les misères de Montebourg à l’embarrassante primaire. Les vaincus qui reculent, les battus d’avance qui renoncent provoquent une suspecte indulgence. D’aucuns parlent d’un courage certain à fuir la défaite comme une certitude du destin. Or il n’y a rien de magnanime à jeter l’éponge avant le gong. La lucidité est une vertu d’homme du marais, d’un partisan tiède des justes milieux.
Ma seule gentillesse à l’adresse du petit président en détresse sera de me remémorer la belle parole de l’auteur de La Pesanteur et la Grâce : « On ne possède que ce à quoi on renonce. » Le préretraité de l’Elysée, le non-candidat, est désormais propriétaire de cette liberté-là. On retiendra de lui que le plus beau jour de sa vie s’est situé au soleil du Mali. Il m’aura échappé qu’il avait « réenchanté le rêve français », cette sorte d’identité heureuse à la Juppé.
A voir notre rubicond « pépère » devenir blême, se justifier à l’antenne des déboires de sa fonction, on songeait à un boxeur groggy, baladé dans les cordes, les yeux baissés, en difficulté sur ses appuis. Car ledit pépère n’était plus unitaire. Il redoutait les discours, les misères de Montebourg à l’embarrassante primaire. Les vaincus qui reculent, les battus d’avance qui renoncent provoquent une suspecte indulgence. D’aucuns parlent d’un courage certain à fuir la défaite comme une certitude du destin. Or il n’y a rien de magnanime à jeter l’éponge avant le gong. La lucidité est une vertu d’homme du marais, d’un partisan tiède des justes milieux.
Ma seule gentillesse à l’adresse du petit président en détresse sera de me remémorer la belle parole de l’auteur de La Pesanteur et la Grâce : « On ne possède que ce à quoi on renonce. » Le préretraité de l’Elysée, le non-candidat, est désormais propriétaire de cette liberté-là. On retiendra de lui que le plus beau jour de sa vie s’est situé au soleil du Mali. Il m’aura échappé qu’il avait « réenchanté le rêve français », cette sorte d’identité heureuse à la Juppé.
lundi 28 novembre 2016
François le troisième
La gauche gâche, la
droite rate. Chronique des échecs, litanie des dernières décennies. La gauche
distribue les subsides, s’enivre de pieuses paroles, remue ses lèvres
menteuses. La droite éjecte un brouillon lutin, une grande gueule sans
boussole, rejette un pâle « homme d’Etat » girondin qui serre mal les
mains. La droite vote en creux. Elle a choisi François le troisième car la
République privilégie pareil prénom pour emblème. Il a les yeux foncés car nul
n’a les yeux clairs s’il veut gouverner sous la Cinquième. Le regard bleu de
Lemaire était disgracieux, peu conforme aux critères marron de la maison, en
vigueur de De Gaulle à Hollande.
François III n’a
pas le format d’une grosse cylindrée. Le lieutenant tient lieu de candidat
président, faute de mieux. L’homme à sourire pingre promet la table rase comme
un communiste de jadis de raser gratis. Son masque de notaire économe n’imprime
guère dans les cœurs populaires. Manque au fiston Fillon le timbre jupitérien
du sanguin Séguin. Un curriculum vitae de planqué a suffi à son brutal succès
droitier. La mièvrerie ne l’a pas desservi. Fillon croit au ciel, au changement
de logiciel, aux compliments circonstanciels.
Je risque un délit de faciès. L’édile de Sablé n’a pas la bouille à tout chambouler, la trogne à déplacer les montagnes. Trop droit, le preux taiseux du mieux-disant libéral flotte dans les bottes du génial Général. La gauche se frotte les doigts, se sent des ailes à multiplier les querelles, se retape vite fait une identité de bouleversante humanité. La gauche a retrouvé ses clés, sa maison, sans doute pas ses esprits. Elle est l’anti-Fillon par excellence, par défaut d’autre consistance. Elle part en guerre, tonne contre l’austère Buster Keaton des primaires, mécanicien politicien détonateur de torpeurs. A gauche, la meute de prétendants frise l’émeute. La timbale élyséenne se rapproche de François le troisième. Un, deux, roi : soleil ! Fillon sans état d’âme, roi sans ramdam, fait sa gueule de grognon, se calque sur Jospin pour dérider l’opinion.
Je risque un délit de faciès. L’édile de Sablé n’a pas la bouille à tout chambouler, la trogne à déplacer les montagnes. Trop droit, le preux taiseux du mieux-disant libéral flotte dans les bottes du génial Général. La gauche se frotte les doigts, se sent des ailes à multiplier les querelles, se retape vite fait une identité de bouleversante humanité. La gauche a retrouvé ses clés, sa maison, sans doute pas ses esprits. Elle est l’anti-Fillon par excellence, par défaut d’autre consistance. Elle part en guerre, tonne contre l’austère Buster Keaton des primaires, mécanicien politicien détonateur de torpeurs. A gauche, la meute de prétendants frise l’émeute. La timbale élyséenne se rapproche de François le troisième. Un, deux, roi : soleil ! Fillon sans état d’âme, roi sans ramdam, fait sa gueule de grognon, se calque sur Jospin pour dérider l’opinion.
mercredi 9 novembre 2016
Le milliardaire rougeaud
C’est la victoire
d’un chef, le triomphe d’une figure charismatique, le succès d’une posture
d’autorité. Trump vainqueur n’est plus raillé pour sa vulgarité d’ouvrier
illettré. Il n’est plus moqué par les commentateurs pour ses mauvaises manières
d’amateur. Trump président cloue le bec des bien-pensants. Un peuple sans
diplôme, une sorte de populace disgracieuse, a choisi son homme. C’est un
colosse à tignasse jaunasse, qui parle direct, impose en hérétique sa force
d’acte.
Hillary C. trône
parmi les dieux de l’Olympe, festoie au banquet céleste qui surplombe le monde
rampant des simples mortels. Ces icônes intouchables, à sourire radieux de
marketing, choquent leur verre d’ambroisie à la santé des miséreux. Trump
grimace, éructe, invective, à hauteur des mimiques mal policées des déclassés
d’Amérique. Le milliardaire rougeaud s’interdit la joie obligatoire. Il dit des
gros mots délétères.
L’artiste Trump, avant-gardiste
godardien, a fait sécession avec « les professionnels de la profession ».
Il ironise sur l’expertise - « l’art de se tromper dans les règles »
selon Valéry. Il se rit des braves sondeurs, de leur savoir de fantaisie, de
leur science d’imposteurs. Il vient
d’accomplir un prodige, d’exécuter un coup d’éclat. En ce même jour où se
commémore la mort de Charles de Gaulle, Donald Trump, au seuil de la
vieillesse, donne une nouvelle jeunesse aux intérêts d’une grande nation.
mardi 8 novembre 2016
La femme de journée
Je me suis fait
un sang d’encre. J’ai voulu sauver mes soldats, mes volumes d’étagères, d’une
fureur ménagère. J’ai désiré les préserver de l’assaut des gros doigts, de
l’offensive de lessive de la femme de journée. J’ai garé mes vieux albums des
premières escarmouches. J’ai dégarni le front haut d’un rayon. J’ai évacué mes
meilleurs bataillons.
Quand dans mon dos, l’armoire des mots a crié sous la
hache, a chuté sur la table en verre qu’elle a fracassée, à mille éclats. J’étais
pris à revers par un cogneur de bois vert. L’imaginaire bûcheron saccageait ma
maison, une quiétude ordinaire.
Mes livres se
sont dispersés comme de mauvais fuyards. J’ai pansé les blessés, soigné les
écornés. La peur de la femme de journée m’a dicté un repli défensif, une retraite
insensée. J’ai fait courir à mes hommes, à mes plus beaux albums, des risques
inutiles.
J’ai péché par amitié pour le plaisir de bouquiner. Je suis fléché de
culpabilité, mortifié d’avoir tuméfié le visage intouché de ma quotidienneté.
Ce huitième jour de novembre, veille d’agonie de Charles de Gaulle, nuit à ma
liberté d’esprit, comme une Sainte Julie, à même numéro de calendrier, du
détestable avril.
Je suis penaud au milieu de quatre murs, d’une songerie sans
écho. Je laisse la nuit bondir sur moi, m’envelopper de sa noire pèlerine. Je
suis baladé sur le ring. Je suis triste et commotionné comme un pugiliste
déganté.
vendredi 21 octobre 2016
Les faits de Serres
On quitte un livre,
du bout des lèvres, comme un ami, sans hâte. On éprouve une solitude, un
sentiment d’élan coupé.
Mauriac disait jadis
un pareil choc, se remémorait l’envie de Chardonne, la compagnie littéraire
d’un homme, d’un texte clair qui désaltère. « J’ai lu ce livre d’un trait
comme un enfant qui a couru et qui a soif » (Lettre à Jean-Louis Bory, 8
novembre 1954).
Je parle d’un philosophe
qui n’a rien d’un chef ni même d’un sage. Il se recommande d’une maîtrise
exquise, d’une savante exécution de figures libres, d’une vive pensée
patiemment tissée. Michel Serres a confectionné l’artisanal bouquin, cloué au
lit d’hôpital Cochin. Il n’est pas vieux mais facétieux, affectueux, plein
d’une vie de Grand Récit.
Joue contre joue
sur l’étagère, les volumes d’hier témoignent d’une œuvre téméraire. Serres se
terre dans un coin de bibliothèque solitaire. J’y stocke les écritures d’un
scribe de plein air.
Il tient une
promesse de jeunesse, dessine une philosophie de l’histoire. Il travaille hors
des rails, appareille au vent de l’éventuel, s’émerveille de la danse des
circonstances. Il ouvre en grand les portes de l’histoire, en élargit l’empan à
tous les vivants, le belvédère aux univers inertes, en recueille le sens comme
la confidence émue d’un paysage, la mémoire bariolée d’un territoire.
Michel Serres signe
un ouvrage au nom du père, puis du fils, puis du saint esprit. Il retrace la
terrifiante histoire du sparadrap de la violence. L’âge du père est subordonné
à la nécessité de la cruauté. Le temps du fils révèle l’absurdité du sacrifice.
Le troisième moment décrit l’avènement de l’esprit, l’utopie réalisée d’un
monde sans dureté.
Plus que de
concepts, Serres use de personnages pour raconter l’intrépide aventure : Darwin, Bonaparte et le Samaritain. Les
trois bonshommes totalisent un bout d’histoire, un fragment du récit
délinéarisé. Le temps se chiffonne comme une boule de papier froissé. Il renvoie
à une topologie mathématique, sans outils métriques, où deux points d’abîme se
voisinent. Le Juste de Samarie se situe à l’avant de l’histoire. Bonaparte est
un tueur saisonnier dont l’avenir est compté. Darwin aide à saisir les
Métamorphoses d’Ovide.
Michel Serres
interroge l’anthropologie, Alain Testart après René Girard, évoque la fabrique
des « morts d’accompagnement », le décor d’ambiance du mausolée des
monarques. Car la terreur d’Etat pratique un carnage de compagnonnage, un rapt
des vies domestiques. Un larbinat d’Etat est jeté dans la fosse du despote. Les
statues de sang des enterrés vivant embellissent l’ossuaire royal. Cette
violence funéraire, originaire d’Etat, dite légitime par Max Weber, marque
l’âge autoritaire des pères. La guerre, déclarée de l’arrière, éclate à la
figure des fils, soldats du sacrifice d’Etat. La tuerie des patries est une
litanie de national récit. Les boucs émissaires sont le matériel nécessaire
d’une boucherie ordinaire.
Or il est un fils
qui stoppe le fil hémophile des sacrifices. Aux foudres du ciel, aux colères de
Jupiter, le fils oppose une douceur logicielle, une sainteté hors sacré. La
flore, le pain et le vin, pacifie la faune, le corps et le sang. Le symbole se
substitue à la mort, humaine ou animale.
« Les animaux
courent » dit Serres. Ils fuient les prédateurs. Leurs enjambées sont de
première nécessité. Ils se sauvent des hommes. Ce sont des bêtes sauvages. Domestiquer,
c’est arrêter la course. Sédentariser, c’est réduire l’horizon à la maison. Le
nomadisme traduit l’errance du prédateur. La sédentarité exprime la fixité du
parasite. Mixte d’Abel et Caïn, l’homme est un prédateur parasite. Il vit au
crochet de proies sauvages et domestiques.
Le sang du fils
apure la dette du père, figure du devoir. La Passion règle un passif. Le rachat
des péchés nous libère du père usuraire. Le fils nous affranchit d’une dette
infinie, qui comme aujourd’hui, réclame d’être saigné, exige du débiteur le don
d’une vie.
Pardon, par-delà le
don. Ce que le droit nomme en son patois : prescription. Le mot désigne les
commencements de l’écrit, les fondements de l’histoire, les premières traces ou
taches de mémoire. La première écriture prescrit les crimes des millénaires
antérieurs. Cette première pierre du droit colmate l’immémoriale vendetta des
primates. « L’histoire est notre grand pardon ».
Serres s’est délesté
d’une cargaison de concepts. Du tas d’os analytique, il ne garde que bios et
thanatos. L’alliage de vie et de mort suffit à décrire les âges du Grand Récit. Il élargit le tempo
évolutif de Darwin, les ordres et désordres des mutations et sélections. Il
convoque la littérature qui illustre l’aventure. Homère superpose à l’Iliade l’immortelle Odyssée. Michelet complète sa martiale histoire nationale d’une
série naturaliste irénique : La Mer,
l’Insecte, L’Oiseau, La Montagne.
La vie et la mort s’étreignent
jusqu’à ce que se départagent un ciel et une terre : la pesanteur et la grâce.
Dans son œuvre universelle, Michel Serres masque un nom, une figure, qui décida
de sa conversion intellectuelle. Simone Weil est l’ombre cachée, l’invitée des
interstices, un signe invisible entre les lignes. Elle est raturée dans le faux
mouvement d’une pudeur.
La philosophe
d’Ashford se dissimule dans les volumes, couleur de Nègre, se camoufle comme
une peau noire dans la nuit. Michel Serres risque l’hypothèse. Le premier homme
d’Afrique est une proie foncée qui se préserve de la violence, de manière
épidermique.
Temps mort de la mort.
Le signe de Croix est exécuté. Père, fils, esprit. Le temps des assassins est
désormais mal venu. Les dos se courbent pour panser les maux. L’esprit toubib
prévaut. La mort est mal en point aux mains des médecins. Il s’agit de guérir
plutôt que d’aguerrir. La thérapie se pratique sur place, au chevet du faible. Le
corps médical mime la flore qui échappe à l’agression sans locomotion. L’acte
médical contrecarre la sélection naturelle. Le temps de la pitié ravive la
trajectoire d’humanité.
La courbure de Pieta au pied de la Croix est un écart à
l’équilibre, le clinamen lucrétien qui décide d’un destin. Il se définit, se
reconnaît à ses actes précis : « secourir, soigner, partager,
négocier, dialoguer ».
Après la santé, la
vie se rafistole par la paix. Louis XIV décima les hommes, ravagea les nations
comme une tornade dévaste un champ de colza. Mais il est des officiers de paix
qui préconisèrent la cessation des hostilités. François de Callières,
conseiller du roi, établit le primat de la diplomatie sur la guerre à tout
prix. Il ne publia son traité visionnaire De
la manière de négocier avec les souverains, qu’après la mort du despote
ensoleillé. L’espace est source de violence. Il faut s’en débarrasser. D’où
l’utopie, le non-lieu. La paix est déracinée d’une géographie. Elle est
affranchie d’un territoire. Théoriquement, on ne se casse pas la gueule sur
Google. Internet ou l’idée d’Europe sont des utopies, des non-lieux de paix.
Michel Serres
s’exalte à l’évocation des socialistes français, Proudhon, Fourier,
Considérant. Moqué des marxistes, au nom d’une improbable scientificité, le
courant utopiste s’intéresse aux lieux et aux individus au détriment des
classes et des foules.
Or l’âge numérique
libère les voix discordantes, disparates, singulières, inventives. L’histoire
résulte des menues vies des individus, des « vies minuscules » (Pierre
Michon). Le théâtre de la représentation fait croire à la grandeur de glorieux
histrions qui tiennent le haut du pavé. Il est éclatant d’ignorance, gonflé de
suffisance.
Après le toubib, le
diplomate, voici le troisième personnage de l’album, héros positif, Petite Poucette, créature des temps
virtuels, figure d’une nouvelle ère spirituelle.
Aujourd’hui, la
main invisible du marché supplante les bras ballants de l’Etat. Mais la main du
portable construit la société « sitoyenne ». Les utopistes du 19ème
siècle privilégiaient les associations de circonstances.
La science
expérimentale règne sur la connaissance du monde, plus que la haute
mathématique ou la physique théorique. « Penser, c’est essayer au sens des
peseurs d’or ». La science moderne se détourne de l’avenir, néglige les
fins dernières. Elle interroge les commencements. Les disciplines datent
désormais leur naissance dans l’histoire. La même science ne protège pas de la
violence. Elle doute de ses schémas depuis Hiroshima. Elle freine des quatre
fers devant l’avenir industriel pestilentiel. Dès lors, elle s’approprie la
fonction critique de la société jadis exercée par la philosophie. Il s’agit de
sur-vie, de mieux que la vie, disons d’esprit.
La science enseigne
que le monde est codé. Il est écrit. En déceler le sens signifie trouver le
dosage d’ordre et de désordre, de hasard et de nécessité, qui le compose. Le
temps procède d’un même codage, fait d’aléa - le temps qu’il fait – et de
routine de chronomètre - le temps qui passe. «Nous écrivons, lisons et
inventons comme toutes choses du monde lisent, écrivent et se font ». Le
monde nous fait à son image. Tout est code, manière de dire avec Pythagore que
« tout est nombre ».
La science guette
son passé. Le fait historique ne valide un sens qu’à rebours de son
accomplissement. C’est une circonstance à mille sens et orientations possibles.
Elle n’est stable – le stance de circonstance – que le temps du fait
historique. Le sens passe par le filtre des circonstances. Dans la phrase d’écrivain,
les prépositions sont les ronds-points de changement de sens en chemin. L’histoire
ressemble au tissage d’une tapisserie dont les circonstances feraient un
paysage de corps mêlés. Mieux : l’histoire humaine, à l’image du monde,
court de paysage en paysage. Elle se métamorphose. Elle visite, plus qu’elle ne
voit, traverse des yeux un espace
et des lieux.
L'histoire relève d'un art premier paysager. Elle évoque un savoir morcelé, s'apparente à une mosaïque, peut-être à une musique. Elle lie ses gerbes de vie aux "choses-mémoires" de la géographie.
L'histoire relève d'un art premier paysager. Elle évoque un savoir morcelé, s'apparente à une mosaïque, peut-être à une musique. Elle lie ses gerbes de vie aux "choses-mémoires" de la géographie.
jeudi 6 octobre 2016
L'homme qui marchait
Une sauvage
végétation camoufle l’institution. J’ai gravi le raidillon d’accès, tapissé du
miroitement d’un fleuve de signes. Le ressac des traces mène à Chirac.
C’est un vaste
musée, habité d’une poignée d’enthousiastes. L’exposition finissante ne
passionne guère la population. Chirac achève une longue traque, un itinéraire
sur la terre, à La Pitié-Salpêtrière.
Chirac est embaumé
vivant, à son soleil couchant. Il s’est décanté, dépiauté d’une chair, s’est
dépouillé, dépositaire de ses mystères. Le grand os du squelette s’effile
jusqu’à la tête, modelée, burinée, balafrée d’estafilades. L’échassier sculpté,
voûté, courbé sous les intempéries, c’est l’homme
qui marche de Giacometti. Chirac en sa Corrèze ultime, la planète, ressemble
à Beckett, esquissé dans la glaise.
C’est un gosse de
onze ans, un chef de bande turbulent, qui des lumières du Rayol, barbouille une
lettre d’amour à Marette - un sac avec son père pour son anniversaire -,
scarifiée d’une bande de dessins de guerre: beurre, fromage, bifteck, vin,
cigarettes.
Le grand Jacques
rêve de victuailles, annonce la couleur de son légendaire coup de fourchette. Chirac
a de l’appétit, de la sympathie pour les péripéties de la vie. Il sait sa
finitude dans la connaissance des vieilles civilisations, dégringolées d’une
splendeur vers la décrépitude.
Chirac est conservateur.
Il est le gardien de la maison. Il garde le secret sur ses tuteurs d’aventure :
Vadime Elisseeff, son chef d’école buissonnière, au Musée Guimet, et Vladimir Belanovitch,
son instructeur de russe. Car Chirac apprécie le souffle des grandes largeurs, le
vertige des dimensions continentales, la beauté des horizons planétaires : la Russie, l’Afrique, la Chine. Il cause à Poutine, trinque
avec Eltsine dans la langue de Pouchkine. L’inculte Chirac, Facho-Chirac,
Supermenteur, sait la vérité des œuvres d’art, connaît Kandinsky comme peu
d’érudits.
J’aime revoir
Chirac, impatient, volcanique, nuque sous le capot, le nez dans sa quatre
cent-trois Peugeot, trifouiller dans le cambouis anonyme d’un moteur
réfractaire.
Je découvre ici, en
son mausolée désolé, abandonnés à de rares regards, deux figures Vili,
d’artistes congolais, qui m’agrippent par les yeux et me cognent d’une bourrade
dans le dos : une statuette magique, un chien d’errance tragique.
De Pompidou, il a appris qu’on ne se couche qu’une fois. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Chirac est grand par son refus téméraire des « malheurs de la guerre ». Le veto de Chirac au simplisme de Bush est sublime de panache. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.
De Pompidou, il a appris qu’on ne se couche qu’une fois. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Chirac est grand par son refus téméraire des « malheurs de la guerre ». Le veto de Chirac au simplisme de Bush est sublime de panache. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.
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