dimanche 12 mars 2017

EM versus FF

EM. Et moi, émoi. Aime-moi. Double EM donne même. Du pareil au même. Emmanuel m’aime. « Farouchement ». Non : double EM n’est pas le même. Il est Révolution. Il tourne sur lui-même. Il est beau comme un astre. Pas sot pour un sou. Frère Sourire nous chante une cantilène de chic type, à la veillée, au bras de sa blonde cougar. Macron, patron. Pardon ! Ma langue a fourché. Macron, patron. A une consonne près, c’est le patronyme rêvé des hommes de progrès, des capitalistes optimistes sur leur état de santé.  
Fillon est un fils endeuillé, sans doute empêché. Il n’est pas sanguin comme Séguin, au verbe jupitérien. Fillon est dans le besoin. Il lui faut Séguin. Une belle voix grave à ses côtés qui galvanise les foules tétanisées. François Baroin mime la voix de son maître en gaullisme et fracture sociale. C’est son Bourdin, doté d’un timbre de radio à séduire la ménagère du matin. La voix de Baroin est sa bouée de secours d’orphelin. FF. Feu, feu. Il y a le feu ! François Fillon fonce vers le prochain scrutin, tous feux éteints.

mercredi 8 mars 2017

Interview écrite

Présentez votre ouvrage, La cicatrice du brave ?
C’est un autoportrait, plusieurs croquis de visage, ratés, peut-être réussis, repris, refaits. C’est un visage qui fuit sa reproduction littéraire, qui va courir les rues à la recherche d’un autre visage. Le livre est composé d’épiphanies, d’illuminations – au sens de Rimbaud -, qui sont autant de tentatives d’y voir clair sur une tête, un visage, une trogne d’homme. Giacometti a vécu cela dans l’exercice de son art. Il a très bien parlé de ces échecs répétés qui sont au cœur de son métier, de sa recherche de la beauté. Je me sens ragaillardi en évoquant sa compagnie.
Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
Je ne suis pas facteur. Je ne délivre pas des messages. Je n’écris pas vite. Je tâche d’écrire faste. La beauté de la phrase est le seul enjeu d’envergure de ce raid aventurier qu’on appelle la littérature.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Elle vient de la lecture, d’une écoute attentive, d’une fréquentation respectueuse des sonorités des maîtres de la littérature. C’est la langue de ma mère – la langue française – qui me donne cette envie de chair. C’est elle qui me jette dans l’expérience sacramentelle du style. L’écriture sur la page est ma manière d’apprivoiser les paysages et les visages. Je les côtoie comme une joie qui se donne à moi.
Quel est votre personnage préféré ?
Braque disait: “Les preuves fatiguent la vérité”. C’est pour cela que je n’aime pas les histoires. Je n’ai pas d’imagination, mais des impulsions. Simone Weil raillait “l’imagination, combleuse de vide”. Il faut se satisfaire du vide, le regarder dans les yeux. On s’hypnotise du vide. Le vide est un chemin de vie. Et la vie invente davantage que l’imagination n’imagine. Car il s’agit de vérité, d’être vrai. Or il n’y a pas d’autre vérité que celle de l’émotion. Je suis traversé d’émotions éphémères, transpercé de flèches littéraires. Les émotions sont aussi des mensonges, mais des mensonges qui ont le souci de la vérité.
A quels lecteurs s’adresse votre ouvrage ?
Mon petit livre s’adresse aux admirateurs fervents de la langue française, aux intoxiqués de la seule grandeur du style. Il est dédié à tous les inconsolables de la beauté du monde, aux amoureux transis des choses de la géographie, aux amis inconditionnels d’une écriture artisanale taillée dans les couleurs du ciel.
Quels sont vos auteurs/es fétiches ?
J’attribue l’épithète “admirable” à un seul auteur, esthète suprême, rois des rois: Marcel Proust. Je crois que Mauriac parle à son endroit de “prince oriental”. Proust tue le match. Mais j’adore Cruchard, c’est-à-dire Flaubert pour sa nièce Caroline. Je me délecte du Céline de Mort à Crédit, livre grandiose. Je révère la somptueuse prose  d’André Pieyre de Mandiargues. J’aime Jacques Chardonne et Bernard Frank.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
L’ambition première est d’avoir follement envie d’écrire. Il s’agit d’aiguiser cette démangeaison de la passion d’écrire. Il faut  savoir se retenir. N’écrire qu’à bon escient, au bon moment, en guetteur de gibier devant la beauté. Je projette de poursuivre ma série d’autoportraits. Je voudrais réussir un visage avant de mourir, bien que je sache que cette quête est impossible. L’ouvrage que j’ai presque fini s’intitule: “L’amitié de mes genoux”. Le titre est un vers de Saint John Perse.
Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Jean Paulhan disait qu’ “Il y a deux sortes de livres: les bons qui ne se vendent pas en général et les autres qui se vengent comme ils peuvent”. J’ajouterai ceci qui tient à ma philosophie. Je sais que la fantaisie de l’écrit se situe hors du cercle de la tricherie.


Paru sur le site de l'éditeur 5 Sens Editions, à l'occasion de la parution de La cicatrice du bravehttp://www.5senseditions.ch/interview-eacutecrite.html
Le livre est mis en vente à l'adresse suivante: https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html

mardi 7 mars 2017

La médaille de bronze

Il descend les marches de son palais, lentement, comme un condamné obéit à l’injonction de ses geôliers. Il est droit, grave et digne. L’arrogance qu’on lui attribue n’est qu’une forme d’excellence. Il n’est pas dans sa nature de jouer la doublure. Il n’a pas l’échine courbée d’un plan B. Il ne brigue pas la médaille de bronze. Il est agacé d’avoir à le préciser.
Il ne jettera pas une bouée, ni même un regard, au candidat naufragé. Il siège dans le fauteuil de Montaigne. Il maîtrise une colère en son for intérieur. Il renvoie l’obstiné et futur tricard à son « boulevard ».
C’est la dernière fois que Juppé descend de son cheval, sacré bonsoir ! Il dégaine l’épée, un dernier texte ciselé, fait valoir de beaux restes. Mais « une bonne fois pour toutes », il n’a pas le goût de la défaite. Il en recrache le noyau dur du Trocadéro. A vrai dire, il ressent « cette forme durable de la fatigue qu’on appelle le mépris » (Roger Nimier, in Histoire d’un amour).

dimanche 5 mars 2017

Un artificier de la beauté

La mort de Jean-Christophe Averty est une blague des claviers Azerty. C’était un imagier incendiaire, un artificier de la beauté convulsive. La télévision de jadis était exécutée par de vrais artistes. C'était le temps de l'ORTF. La direction appartenait à ses chefs gaullistes, la création était confiée à ses réalisateurs communistes. Pas d'autre choix qu'une seule chaîne d'Etat, certes, mais avec de grands soldats superbes. La télévision de papa était filmée sous la dictée d’hommes de vision. Beckett, Adamov ou Ionesco figuraient au programme de prime time.
J’étais en culottes courtes. Je me souviens des Raisins Verts, l’émission de variétés déjantée qui déclarait la guerre à l’ennui des chaumières. L’art fêlé d’Averty visait le fou rire des familles. Un bébé de couleur violette était débitée à la moulinette. Averty était un dandy, un esthète du sacrifice aztèque revisité. Un zézaiement délicieux commentait le délictueux spectacle. Ce strabisme de la diction exerçait une ravageuse séduction. Averty était un coloriste du noir et blanc, un aventurier de l’image truquée, le poète inspiré d’une 3D pas encore née. Sa photographie était nourrie de textes de fantaisie, des facéties d’Alfred Jarry.
A vrai dire, l’image numérique vient du Collège de Pataphysique. Averty était un pyromane de l’image. Il travaillait les pixels de manière insurrectionnelle. Il illustra Roussel et Cocteau, Gracq et Shakespeare, Apollinaire et Prévert, Picasso et Richaud. Averty a diverti le bourgeois, travesti, perverti le bon goût, sa routine et sa mélancolie. Trop grande gueule pour faire école, il meurt aujourd’hui pour notre malheur. J’avais de la chance d’avoir dix ans dans les années soixante.

Vient de paraître


Si la littérature est votre genre de beauté, si vous aimez Flaubert, Venise et les premières couleurs de l’aurore, alors « La cicatrice du brave » est un ouvrage qui vous est secrètement destiné.

Il est en vente sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes-13/90-la-cicatrice-du-brave.html


Il est également disponible à la librairie L’Autre Livre à Paris (13 rue de l’Ecole Polytechnique 75005 Paris).

jeudi 2 mars 2017

Etre chez soi

Des foules de meeting s’époumonent, revendiquent en cadence l’appartenance à une terre de naissance. « On est chez nous ». « On naît chez nous ». C’est le cri des gens d’ici. Ils braillent comme des supporters de Paris, porte d’Auteuil.
Je confesse une même paresse à ressentir une joie d’autochtone. J’ai longtemps résisté à la tentation de me frotter à trois gros bouquins, à la somme de Sartre sur Flaubert. J’avais peur de me perdre, de changer de domicile, de me fourvoyer dans L’idiot de la famille. Je craignais un luxe d’analyses au détriment d’un gai savoir, d’un plaisant style.
Or un soir d’été, j’ai succombé au péché. J’ai pris mes aises dans une somptueuse langue française. Je savais bien que j’étais chez moi à Croisset, que j’aimais l’hospitalité de Flaubert. J’ignorais en revanche que je n’étais pas mal du tout chez Sartre. 
Qu’il ait consacré les dix dernières années de sa vie à « Cruchard » aurait dû m’instruire sur le sérieux de son art. Bref, je me suis délecté des deux corps mêlés. J’ai tourné les pages d’un grand métissage d’artistes. 
J’ouvre aujourd’hui Cantique de l’infinistère (Desclée de Brouwer, 2016). J’ouvre les yeux sur les brûlures de Dieu. C’est l’ouvrage sauvage d’un autre ermite, d’un vrai moine marcheur, mi-français, mi-italien, tout à fait normalien : François Cassingena-Trévedy. Je me suis calé dans son sillage, docile gregario dans les cols, derrière les mots du campionissimo. Le docte bénédictin mène grand train sur les chemins d’Auvergne. Dès les premiers lacets, le premier tome d’Etincelles, il a créé en moi une joie d’homme, un besoin essentiel, une assuétude qui fait loi. C’est une lecture “à l’arrêt”, de guetteur de gibier.
« Où s’en aller prend source ». Les premiers mots éventent un secret, dévoilent une féerie : la magie de la randonnée auvergnate de l’oblat. « C’est du côté de chez soi que l’on retourne».
Frère François ne définit pas autrement son voyage de roi. Il suggère que le départ est un nécessaire retour, un aller chez soi, sans autre loi. Je saisis bien la sorte d’extase du marcheur d’horizon, du randonneur sans leçon. Ce sentiment de complétude, j’en devine la nostalgie cristalline dans un peuple de meeting. Il vocifère des horreurs. Je comprends ce désir d’être chez soi, loin de rien, à demeure et s’y plaire. Quand je lis Flaubert, il éteint ma colère.

mercredi 1 mars 2017

La figure de la terre

J’étudie la pédologie. Je considère le sol, je gratte pour voir derrière, la figure de la terre. Je m’intéresse à l’humus comme à un numéro de rue : j’y finirai mes jours. J’y songe comme Woody Allen s’inquiète de l’avenir : « C’est là que je compte terminer ma vie ». J’y suis venu par l’arbre dont les racines nourricières sont comme l’envers d’une tapisserie forestière. Ce sol d’espoir est notre matière noire.
On cache nos sales gueules dans la terre. Le premier acte de culture sur sol d’agriculture est une pierre de sépulture. On jette l’homme mort comme un corps. La végétation masque une vieille agitation. De dessous la terre, l’homme ne sait rien faire. Il se décompose, se mêle à la matière végétale. De dessous la terre, l’arbre construit sa fixité millénaire. Il trône là où l’homme traîne. Il est sculpté dans de la grume d’éternité. L’humus est un terminus, une destination d’extrême humilité. C’est le bivouac exact des hommes, par définition.