jeudi 5 octobre 2017

Les nains de l'Ena

Après Charles de Gaulle, général fabriqué sur le tas, buriné par la guerre, nous héritâmes des nains de l’Ena, formatés à l’école d’Etat. J’exclus Pompidou, dernier grand timonier qui soit authentiquement lettré. Il causait cinéma, rue de Varenne, avec Julien Gracq. Je le retranche. La promotion Elysée est composée de Giscard, Chirac, Hollande, Macron, soit un quarteron d’ambitieux félons. Un nain recalé s’agite sans collier ni blason : c’est Sarkozy. Mitterrand, le Vichyssois, était trop vieux pour fréquenter l’établissement fondé par son rival abhorré. Il confia à l’entourage le soin d’étudier l’économie des livres. Attali et Fabius s’acquittèrent de notes abstraites. Les nains de l’Ena sont des cyclistes de terrain plat. 
Or l’Histoire de France, à l’instar de la Grande Boucle, se forge dans les étapes de montagne. De Gaulle gagne au Ventoux,  à l’Alpe d’Huez et à Luchon. Il franchit la ligne en solitaire. En revanche, les petits présidents d’intérim sprintent à Bordeaux comme de sympathiques Darrigade. Nos capitaines de petit vélo rechignent devant les raidillons.
Aujourd’hui, les nains de l’Ena sont des géants de l’opportunisme d’Etat. Aucune grande querelle n’élève ces apprentis rebelles. Ils ont flanqué dehors les sans-papiers de la scolarité : Fillon, Valls, Hamon. Ils tiennent les manettes avec des pincettes, les menottes bien serrées des récalcitrants patriotes. Ils ne lâcheront pas le pouvoir comme ça. Ils pratiquent la passe à dix, exécutent l’entre-soi incestueux, sur un terrain de jeu à leur mesure. Je les nomme par taux de fréquence des selfies. Macron 1er, sorte de Kouchner, jeune et premier. Il est suivi d’Edouard,  le dégingandé, l’échalas du Havre, Edouard le deuxième, comme le pape Jean-Paul, mais à cause de Balladur. Donc Macron, suivi d’Edouard et Bruno, tandem de haine mutuelle, un classique de la République. Puis vient Wauquiez, le méchant d’Auvergne, ancien gentil des taudis du Caire, et derrière, Philippot, le paroissien de Colombey, Croix de Lorraine au veston de clergyman. J’ajouterai une diablesse. Je boucle avec Pécresse et je diminue l’amende du non-respect paritaire. : cinq gars et une fille de l’Ena. En voilà six qui se prévalent du Général, six énarques qui se rêvent en Jeanne d’Arc. Ils ont raflé la mise. Le désert politique français,  c’est l’Ena et puis rien, sorte de Paris sans la province. Dans quinquennat, il y a « Ena » avec une faute d’orthographe. C’est cela La Révolution. Les nains de l’Ena ont l’Etat bien en main.
Les coups de sang de Mélenchon sont l’outil de communication idéal pour légitimer une douce technocratie, conforter l’experte aristocratie qui quadrille un pays à qui tout sourit, à commencer par les selfies d’un président qui se croit tout permis.
Mais des nains, pourquoi des nains ? Parce que ce sont des serviteurs. Ils appartiennent au larbinat d’Etat. Le mot « ministre », suffixe « mini », le dit suffisamment. Ils sont aux ordres du maître, celui qui exerce un magistère, suffixe « maxi ». La question est donc la suivante, sempiternellement la même depuis les origines de l’Etat : ils servent qui et quoi, ces braves gens ? La réponse est aussi complexe que la prétendue pensée de l’actuel président, chevalier servant du peuple de France.

mercredi 30 août 2017

Mireille manque

J'ai hésité avant de griffonner, d'y voir clair dans ma tristesse. Mireille Darc savait caler sa chevelure, se pelotonner contre une épaule d'homme, poser sa cambrure d'adorable grande bringue.
C'était une amoureuse, doucement orgueilleuse. Soudain, on se réveille sans Mireille et son joli dédain. Elle était simple, joueuse, légère. Elle fredonnait ses fredaines. Elle était la fiancée, libre comme l'air, des meilleurs et pires Lautner. Mireille manque. Sa mort interroge, questionne les hommes sur la splendeur d'une féminité.

mardi 23 mai 2017

L'un porte, l'autre coche

Ouf ! Le projet qu’il « portait » est arrivé à quai. La révolution qu’il porte ne restera pas lettre morte. Macron a soulevé les foules avec un projet porté. Ses épaules sont d’acier comme son regard bleuté. Notre prince martial a des biceps d’haltérophile. Il brandit ses réformes comme de la fonte, bombe le torse et s’éponge le front. Cet athlète gros porteur exhibe un abdomen de lutteur de foire.
Je l’exhorte à surveiller son dos sollicité. Autant que ses mots de communiqués. On peut se tordre la colonne à en faire des tonnes. On rature un mot. Pas grave. On se fracture le dos. Plus grave. Le mal dorsal guette le jeune Emmanuel.
Edouard s’interdit de porter quoi que ce soit. Il est dégingandé d’avoir trop boxé. Assez cogné. Edouard, il coche. A écouter la bonne presse, il coche même toutes les cases. C’est pourquoi il a raflé le premier des ministères comme on valide un questionnaire. On ne peut pas décocher des flèches assassines sur une cible qui coche l’intégralité des cases. Edouard épouse la cause du peuple avec ses maudites cases. Il est intelligent. Il ne lui en manque aucune. Une seule lui ferait défaut, on le traiterait d’idiot.
Je traverse la rue et j’achète mon recueil de sudokus, niveau « Makiavélic ». Machiavel m’instruit la cervelle à défaut de conseiller Emmanuel. J’éparpille mes chiffres sur les grilles. Je coche sans tricher. Je sais le bonheur de remplir toutes les cases au crayon noir. Quand je rate, j’envie Edouard qui coche sans que rien ne cloche. Il m’épate, Edouard. Lui et son n plus un se démènent comme de beaux diables : l’un porte, l’autre coche.

jeudi 18 mai 2017

L'audace, les burettes et les traîtres

Il y a de tout dans ce gouvernement, même Bayrou. Chaque danseur de ministère hérite d’une cavalière paritaire. Le jeune despote est très entouré, ceinturé du cordon de sécurité des oncles de proximité : Collomb, Le Drian, Ferrand. S’ils sont socialistes, c’est parce qu’ils sont vieux. Il faut respecter les pedigrees du passé. Le maire de Lyon ne sanglote plus comme une madeleine. Il trotte comme un lapin, visite les commissariats avec une caméra, serre les mains qui pendent sur son chemin. Bref, il joue à fond la carte de la révolution.
Hulot est là. On s’étonne que Noah n’y soit pas. Son patrimoine n’est sans doute pas celui d’un moine. La société des vrais gens sans entregent est illustrée par les profs et les pédégères du CAC 40. On sait que les PME ne sont pas au mieux sous nos cieux brouillardeux. Nos petits patrons sont bannis de la représentation du pays. Ils sentent le soufre, le populisme à plein nez.
Autrement dit, il manque - non pas Minc, il est partout -, il manque à la belle alliance d’Edouard un garagiste de Loudun, à doigts cerclés de cambouis, un Monory lourdingue, rugueux, madré, à trogne de Galabru bourru. Séduire l’opinion avec de mignons sourires est le schéma de communication, directeur, marcheur, jusqu’aux élections de Palais Bourbon. Le gouvernement d’Edouard coalise les amateurs de traîtrise, installe à leur aise ses squatters de ministères. L'audace de l'épure est de nommer une éditrice à la Culture.
Jadis, de Gaulle évoquait les centristes, les élus du marais, en des termes colorés : « Ce sont des enfants de chœur qui auraient bu les burettes ». Dieu et l’Europe, les totems des bonnes âmes, disposent de solides portefeuilles: Blanquer, Goulard, Le Drian. Un toubib à la santé n’affranchit pas des nababs des laboratoires, de la prison des lobbies. Un prof à la Recherche ne préserve pas des corporatismes d’usage. L’homme de l’art ne garantit pas de l’indifférence aux intérêts des pairs et confrères.
Il faut que le buste de Macron s’incruste dans l’opinion. Je me décoiffe devant sa posture martiale, gravée en image d’Epinal. Son tour des Champs-Elysées, en véhicule de combat, encadrés d’un quarteron de généraux galonnés, est désormais l’acte fondateur du despote patriote.

mardi 16 mai 2017

Griffe d'escogriffe

Il ruse avec le hasard. L’escogriffe brouille les pistes, consent au poste honorifique. Il boxe des deux poings. Sa droite flanche. Il esquive du gauche. Il craint l’uppercut d’un peuple souverain.
Au jeu des visages, il ressemble à Darroussin, l’excellent comédien. On savait que Berling avait prêté sa tête de beau quartier au locataire de l’Elysée. Les premiers noms du casting ont été testés par un institut de marketing. Le film est tourné en cinq semaines sur les lieux des vrais gens, en décor naturel. Titre provisoire : « Législatives pour l’histoire ».
Dans la cour de Matignon, le double mètre d’Edouard Philippe serre les mains de la famille, disposée en rang d’oignons. L’échalas d’apparat s’acquitte de sa besogne, piaffe d’impatience d’en finir de sourire à la dernière trogne. La feinte empathie n’a pas de prix. Il enjambe les marches du perron, débarrassé de sa pesante bonne action.
Les dieux tutélaires de la République sont convoqués dare-dare. Ils légitiment la grenadine des discours protocolaires. L’escogriffe chipe Blum et Mendès, ajoute de Gaulle et Clémenceau, martèle Juppé.
Or l’escogriffe commet sa première gaffe. Il a suffi d’un oubli pour qu’il se disqualifie. Chirac ne figure pas parmi ses mentors historiques. Il rature, biffe l’action d’un visionnaire grandeur nature. Chirac est grand par son refus téméraire des malheurs de la guerre. A l’obligatoire JT du soir, l’escogriffe réitère son coup de griffe, tacle nommément Chirac.
Me choque l’entêtement du débutant à dézinguer Chirac. Moi j’aime bien le grand Corrézien. Chirac va mourir, est mort, nous évitant le pire. Cet homme, fêlé de l’intérieur, - qui ne s’aime pas -, livre à notre mémoire un sens énigmatique, saturé d’interrogations millénaires.

lundi 15 mai 2017

Les papouilles de palais

Macron dispose désormais de la légitimité de tapoter la joue de ses aînés. Il se venge sans délai des suspectes privautés du dernier locataire de l’Elysée. La caresse de nuque du 8 Mai a ranimé sa niaque. Dès lors, Macron se libère d’une réserve de gentil junior. Il passe en revue le cercle d’une vieille garde chenue. Il dégrade du regard. Bayrou est giflé sur l’oreille décollée ; Collomb est empoigné aux épaules, secoué comme un prunier ; Ferrand fait l’objet d’une bourrade sur l’omoplate. Macron leur pince le menton avec un aplomb de chef divisionnaire. Cette forme de majesté est un pied de nez.
L’observation des papouilles de palais instruit sur le déroulement de la bataille électorale. Le décryptage des attouchements de primates républicains nécessite une scrupuleuse attention de politologue averti.
La gourmandise de Macron à palper la joue de son quarteron de vieux tromblons signale une réactivité de guerrier revanchard. Il se souvient des petites humiliations de stagiaire de gouvernement. Il inverse le rapport de forces, se saisit de l’autorité mordante d’ordonnance, s’octroie le droit d’affectueuse fessée.

jeudi 11 mai 2017

Les bougainvillées de Chouiter

Nos dirhams datent. Le despote n’a pas la bouille adéquate. On n’a pas le bon roi sur nos billets de papier froissé. Maria rit du vieux souverain de parchemin. Personne n’en veut. 
Maria est la reine du palais, la maîtresse de l’Atlas. Elle nous traite aux petits oignons, dresse une nappe devant l’horizon. La ronde Andalouse sert une soupe au poivron vert face au soleil du désert. La journée claudique. C’est la soie du soir qui se pose sur la peau.
Maria s’applique à sa besogne, chasse les miettes et les mouches, nous interroge d’un mauvais œil. La cuisinière est cachottière. Son sourcil noir délimite une frondeuse bouderie. Elle mord sa lèvre, faute d’extraire le mot qui colle à sa colère. Maria met les pieds dans le plat. 
« Il n’a pas beaucoup de charisme, votre petit caudillo. Ses yeux sont trop bleus. Des pommes ici, sur les marchés, on dit qu’elles sont trop vertes ». 
La soupe de Maria me rappelle celle de Nicolas de Staël, le type d’Antibes, les derniers soirs, comme une prière, un bénédicité, une fixité. Maria, sous le grand ciel de Chouiter, nous révèle un mystère, confie sa joie, fait du gazpacho le choix de notre écuelle. Maria s’est retranchée dans ses quartiers.
Elle dit ce qu’elle pense, je pense à ce qu’elle dit. Je me résume. J’ai voté Lance Armstrong, un champion cycliste à sourire métallique. M’emballe moyennement le symbole pyramidal, dans le dos du jeune homme qui pédale. Je songe au mensonge. Maria est revenue, sert une deuxième louche, ne parle plus. Je récite dans ma tête : tomate en forme de poire, carotte, poivron, concombre, mie de pain, huile, vinaigre et basilic. C’est sa profession de foi. C’est son code du travail.
Les bougainvillées, ocre, mauve, rose, se sauvent au-delà des murets délabrés. Je ne sais si j’ai vieilli comme un vin ou un mauvais écrivain. Dans cette banlieue de Marrakech, aucun homme ne se fâche ni ne se dépêche. Le muezzin communique à l’abîme sa rumeur de moteur. La lumière dégouline sur la prière.
Je ne déchiffre pas l’écriture hiéroglyphique des hauts palmiers entaillés. Mes réminiscences ont des points de tangence. J’étale ma peau au soleil comme je dispose, pareils, mes mots sur la feuille. Et j’attends. J’attends le moment meurtrier. Le moment de tuer, de griffer l’éternité.
J’aime voir la tourterelle s’abreuver à l’eau frivole du bassin. J’ai tout le temps que je veux vers la mort. J’ai ajusté mes besoins à mon destin. Je suis loin de vouloir parler après le signal sonore. Le cuicui d’oiseau me suffit.
Azzedine, le mari, me serre la paume. Il me tient la main en propriétaire terrien. Le verger des orangers, citronniers et figuiers a nécessité quatre années d’opiniâtreté. Il me raconte ses jours de petit valet. La Mamounia a été esquintée. La vieille clientèle a pris la poudre d’escampette. A Noredine, l’arpète, il tend une cigarette.
Un blé sauvage, irrégulier, encercle les oliviers concassés. Le regard noir de Maria ne me dit rien qui vaille. « Pas beaucoup de charisme ». La grosse Espagnole ne renie pas sa parole. Ses yeux sont impérieux. J’ai voté pour un pastiche de Jean Moulin, un mauvais comédien, une sorte de Charles Berling, de Charles de Gaulle de pacotille.