lundi 1 août 2022

Journal d'une droguée

« Accepter, ce n’est pas se résigner ». La phrase voisine avec la ferveur solaire d’une jeune Algérois, devant la mer. « L’espoir, au contraire de ce qu’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner ». Entre quatre murs disciplinaires, Nicole Lombard partage une même altière simplicité. « Un coeur insuffisant » est un ouvrage de première nécessité. Je l’ai lu à voix haute. Il suit une ligne cristalline. Léger comme une plume. Texte d’humeur, moqueur. Les mots témoignent de la ronde des hôpitaux. La déambulation d’ambulance est trouée d’apparitions brèves, sorte d’enluminures de la mémoire : l’énigme de la jolie dame, le mystère du soignant rocker. C’est le journal d’une droguée, d’une toxicomane invétérée, qui dédaigne la dose de télévision prescrite par l’institution. Nicole Lombard souffre d’une dépendance rare au silence, à la lecture muette, à la sainte attention. Elle marche à son pas, en marge du tapage. Elle fait « des longueurs de couloir ». Le bloc est opératoire, pas de papier. Aucun crayon ne figure dans aucun rayon. Une idée d’auteur ne s’exprime que branchée au secteur. Ici on n’obéit qu’aux lois d’une hospitalité illettrée. Nicole Lombard songe à « L’art d’être fragile » d’Alessandro d’Avenia. A Ginevra, le chien. A Milan, le chat. Elle est trimbalée d’un gîte à l’autre : Nasbinals, Mende, Castelnau, Marvejols. André Malraux avait écrit « Lazare » sur du papier Gallimard. Aujourd’hui Nicole Lombard a entrepris pareil récit. « L’art d’être fragile », c’est aussi l’art d’être sauvage, de se sauver. Oui, je l’ai dit, Nicole Lombard pratique la locomotion comme une natation : seule dans son couloir. Nicole Lombard est en manque de stylo, de Pléiade à scarifier. Elle cherche une arme. De l’encre, un stylo qui griffe, de quoi faire régner une terreur, une splendeur sur la page. De quoi tracer des phrases qui se suffisent. A Gallimard, elle garde les chiens de sa chienne. A cause de l’absence d’Henri Bosco au catalogue de sa Pléiade. J’aime le détail du texte, ses personnages secondaires, les figures évasives de l’ouvrage : « Le jeune homme appliqué », « les oiseaux de l’arbre haut », « la gloriette de la maison des Tilleuls ».

Une étoile morte

La saignée d’Ukraine mesure l’étendue des renoncements hexagonaux. La guerre à l’Est nous enseigne que l’Europe ne l’a pas rendue obsolète. La nature humaine gouverne en souveraine le destin des peuples. L’irénisme des chantres d’une paix perpétuelle se heurte au réel qui cogne, à la vieille réalité des temps gaulliens. La technicité du pouvoir n’anticipe rien. Ni les Gilets Jaunes, ni le froid de gueux du prochain automne. Un larbinat d’Etat s’est ingénié à dénaturer l’héritage du général de Gaulle. Malraux considérait de Gaulle comme le fondateur d’un ordre, au sens religieux du terme, d’une sorte de règle établie autour de l’indépendance nationale. Ce général visionnaire nous a légué un formidable outil nucléaire, l’arme décisive d’une incomparable souveraineté énergétique. Or de jeunes chefs à mandat réduit ont dilapidé les précieux acquis du grand homme. Nos centrales sont en panne, faute d’investissements, pétrifiées dans nos paysages comme des éoliennes paralytiques, à grand corps malade. Au début des années 70, Malraux rédigea ses “Anti-Mémoires”, soulignant dès la première page le partenariat stratégique avec l’Inde, via la fourniture clés en main de nos prestigieuses centrales nucléaires. C’est tous les jours la tragédie du Petit-Clamart. Avec mort d’homme cette fois. De Gaulle a été poignarde par une petite bande de délinquants politiques aux gabegies impunies. De Gaulle salua le premier la grandeur immémoriale d’un despotisme oriental sous les couleurs d’une Chine communiste. Nixon et Kissinger lui emboîtèrent le pas, reconnurent le continent paria. Le génie géopolitique du Général n’infléchit guère aujourd’hui notre diplomatie. Nous avions pourtant les cartes en main pour développer un partenariat d’envergure et damer le pion à nos rivaux européens. Au lieu de cela, tous ensemble, nous isolons la Russie pour mieux l’adosser à la Chine. Deuxième attentat réussi du grand Charles. De Gaulle est une étoile morte. L’actuelle république se fourvoie dans ses petits mandats de cinq ans et des majorités toutes relatives qui renvoient aux “délices et poisons” du système funeste des apparentements d’avant 1958. Gracq, l’ami de Pompidou, le plus gaullien de nos grands écrivains, témoigne du paysage littéraire de manière lapidaire: “ Entre le quelconque et l’excellent, la distance est stellaire”. La sentence s’applique au théâtre politique. Nous vivons sous une forme insidieuse de tyrannie, de dictature du quelconque, sous une sorte de suffisance du quelconque. À vrai dire, on n’a jamais tué de Gaulle qu’un demi-siècle après sa mort. Non seulement nous avons gâché un capital de fulgurances, mais nous avons durablement altéré le destin d’une nation. Voici venu le temps long de l’insignifiant. La communication n’est qu’une comédie, une fantaisie, une variété de l’imagination. A mille lieues du réel. Simone Weil parle de “l’imagination, combleuse de vide”. Avec l’âge, je sais que de Gaulle demeure la figure exemplaire d’une jeunesse. Au seuil de la vieillesse, je n’ai identifié que le colonel Beltrame dans le sillage du génial général, pareillement inflexible à tout renoncement. Ezra Pound: “Si légère est l’urgence “.

samedi 2 juillet 2022

Le président content

Macron est tombé de son cheval. Il exhorte ses opposants, braves gueux, à le remettre en selle. Macron, né coiffé, s’impatiente même qu’on hésite à l’aider à rajuster sa couronne. Tout allait bien pourtant. Jupiter trustait tous les prix Nobel de la Terre. Le peuple se sentait presque gêné de ne pas le mériter. Jusqu’à ce que Benhalla casse la gueule d’un promeneur de la rue Mouffetard. Je crois aux signes. Seul Benhalla, pugiliste d’excellence, peut sauver le président content. Il rossera les députés récalcitrants. Il saura composer une majorité musclée. Il rassemblera la nation. Dix ans, mon Dieu ! Le stage à l‘Elysée s’éternise. Macron nous a fourrés dans un drôle de pétrin.

AA, BB, FF

C’est le début d’un alphabet dédoublé, les initiales bégayées de ses films. Anouk Aimée, Brigitte Bardot, Françoise Fabian. A comme Amour, B comme Beauté, F comme Folie. Trintignant est un joli gosse d’Uzes. La lettre T de timidité, il la trace sur une figure de jeune premier, un visage rentré, une moue renfrognée. L’alphabet de l’acteur se poursuit, mais sans lettre miroir qui répète une silhouette, un regard: Romy Schneider, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Emmanuelle Riva, Irène Jacob. Derrière une actrice, il cache une cicatrice. Les actrices de son pays ne seront jamais aussi belles qu’en sa compagnie. Toutes les comédiennes qu’il tient par la taille, qu’il serre dans ses bras expriment au cinéma une sorte de volupté particulière, une manière de se plaire, d’être heureuse. Bardot confesse sa tendresse pour le petit amant du port de Saint-Tropez. Mieux qu’une boudeuse aventure, c’est une passion, une préférence. Trintignant n’est pas Gary Cooper, ni même Delon. Il est joli, fait virevolter les robes Vichy. Sa réserve frise l’orgueil. Il lasse à trop d’audace quand il s’écoute parler. À vrai dire, c’est peut-être la qualité de sa diction, un doux chuchotement des lèvres qui donne à son jeu quelque chose de sentencieux. Trintignant ne réalise qu’un film, un autoportrait raté, la diabolique histoire d’un collectionneur de meurtres, la routine criminelle d’un type ordinaire. Jacques Dufilho est lunaire, sardonique, drolatique, poétique. Quand il se regarde faire l’acteur, Trintignant voit Dufilho dans le viseur. L’homme est démangé par la folie. La timidité ne se décalque pas sur la naïveté. L’innocence lui fait défaut. Aucun écho d‘Idiot, rien de dostoievskien. L’acteur est calculateur. Je le croise sur les Grands Boulevards. Je l’observe avec insistance. Il me fusille des yeux. Méchant comme une teigne. L’homme est démangé par la mort de Marie. De la génération d’après, en beaucoup plus musculaire, je ne vois que Pascal Greggory pour afficher de mêmes visages groggy, tuméfiés, abîmés, cabossés par la violence des coups, des uppercuts d’une intérieure retenue. “ Je voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver…” Trintignant récite le poème de Vian. C’est une somptueuse, magistrale, majestueuse lecture, une affectueuse reconnaissance de la littérature. Les mots. “Ma nuit chez Maud”. Françoise Fabian est un envoûtement, une ferveur dans un ciel d’hiver, l’ennui traînant de Clermont-Ferrand. Elle s’apparente à une impossible, inexorable attente. FF est une beauté de feu, la déesse inégalée du noir et blanc finissant, retardée. Vitez est un seigneurial causeur de Pascal, métallique, ironique. Trintignant joue de son charme comme d’une gourmandise, d’une hésitation narquoise. Tous trois virtuoses d’un métier de pure extase. Quand j’avais six ans, je lisais l’Equipe, j’imaginais les exploits de Maurice Trintignant. “Petoulet”, son sobriquet, était un as de la vitesse, un fêlé des circuits. Il tutoya Jim Clark et Graham Hill. Jean-Louis Trintignant appartient à une même ligne de risque. Il n’est pas l’homme du “Dernier Métro “. Il est l’acteur du dernier Truffaut.

mardi 31 mai 2022

Zéro mort

La finale Cholet/Epinal s’est jouée à guichets fermés au stade Amédée Darmanin, fierté du pays. Le préfet de police Le Boche a supervisé le dispositif de sécurité. Les bandes de Britanniques qui déferlent de Calais ont été neutralisées à l’entrée, empalés dans le tourniquet. Les gredins de gradins n’ont pas profané la sacrosainte enceinte, ni dépouillé les honnêtes familles de nos terroirs. La doctrine de la nation a été appliquée avec bienveillance et tolérance. Sans jamais transiger avec la vertu républicaine d’excellence. Le ministre Géraldo, patron de Beauvau, a salué l’éblouissante performance de Le Boche qui oeuvra sans la moindre anicroche. Zéro mort. La quiétude règne désormais sur les pelouses. Les matches se suivent et se ressemblent. Déjà, dimanche dernier, Blagnac/Laval s’était soldé sur le même score : zéro mort. Le métier de Le Boche et la poigne de Géraldo autorisent ces résultats probants. L’inflation des morts au stade est enrayée, quasiment éradiquée. L’ère du foot rouge, des derbies sanglants, est derrière nous. On parle de Géraldo à Matignon. Le Boche est pressenti à Beauvau.

samedi 21 mai 2022

Lilli, Pap et les autres

Borne. Accent aigu. Entêtée. Bornée. Morne. Accent aigu. Morne-née. Austère par nature. Mère supérieure des Gaulois réfractaires. Bonne sœur de la République laïque. Borne exhorte à la prière, au for intérieur, au sobre labeur. Ecolo, mais pas rigolo. Elisabeth n’est pas une bête des paillettes. Lili Borne est à l’affiche aujourd’hui. Romy Schneider aussi. Lilli, Sissi. Les images se télescopent.L’essentiel est sauf. Une femme à Matignon. La nation sort de Cro-Matignon. Habemus mamam. Habemus papam aussi. L’homme se prénomme Pap. Comme les nœuds au col des toubibs satisfaits, des mandarins des universités. On ne papote que de Pap. Mais on ne chipote pas. Les spécialistes le taxent d’indigéniste. Les mots des élites, je n’y comprends que pouic. La répétitive action du discours d’intronisation du Manu Nouveau a été remâchée des jours et des jours dans l’immobile statu quo d’une attente sans écho. Fini le trou noir du conclave. L’équipe est composée. Prête à jouer. A se frotter au terrain. Il est trop tôt pour siffler des gradins. De Pap, assez suffisant dans son costard cintré, j’aime qu’il nous débarrasse d’un prédécesseur peu exemplaire, brouillé avec l’orthographe. En témoignaient ses posts de fonction, indigents, fautifs, mal relus par ses Nègres de ministère. Pap, lui, est instruit. Le premier bilan est positif.

samedi 7 mai 2022

Moi, je m'appelle Ferdinand

« Guerre » n’est pas un roman de gare. Mais il exhorte à crier gare. S’il sort de sa cachette, c’est pour témoigner que ses câlineries d’écriture ne sont pas de la gnognotte. « Moi, je m’appelle Ferdinand ». Céline se réapproprie le leitmotiv de « Pierrot le Fou », demande à Belmondo de lui restituer les papiers d’identité. S’il vous plaît. L’inaction se passe à Peurdu, patelin paumé, trou d’effroi, bled au bout de la nuit. Le « narratif », comme disent les précieux experts de l’information, c’est le « rendu émotif », l’alphabet stylistique du Professeur Y. Mais le climat de Peurdu leur a donné la berlue. Les héritiers de Gaston balisent la musique du troufion, imposent la loi du lexique. Un bouquin de Destouches exige une retouche, un éclairage, un sous-titrage pour mal-lisants. Céline s’interprète au son d’un petit Gaffiot de version latine. Je convoque à la barre l’autre grand fêlé du dernier siècle littéraire. « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère beaucoup moins pure qu’on ne le croit » (« Contre Sainte-Beuve »). La marmaille de Gaston, qui rata les deux champions, se sent prisonnière d’une prose moldo-valaque. L’outil lexical est une béquille éditoriale. Oui. Ferdinand sait comment il s’appelle. Dans une lettre d’avril 1932 au Gaston réfractaire, l’éclopé de Peurdu-sur-la-Lys écrit, sûr de ses ratures, du manuscrit du Voyage : « C’est du pain pour un siècle entier de littérature ». Niet impoli de l’épicier malappris. Mais chez les juniors de Gaston, depuis lors on ne chôme pas, on trime sur Céline, on actionne le fourneau des mots, on n’arrête pas la cuisson.