vendredi 19 août 2022

De la platitude

Le meneur de jeu galvanise les egos. Quand vient son nom, la caméra cadre au mieux un sourire niais, le contentement de l’invité. Le sujet est d’actualité : « Pourquoi Zelenski n’a t-il qu’un seul vieux ticheurte sur le dos, toujours le même ? » On va le savoir assez vite. Sont réunis un général, une universitaire, une journaliste, une toubib. La bourdivine sociologie est respectée. Un cinquième commensal s’affiche à l’écran. On lui demande s’il entend. Lui aussi sourit, très poli. Il est assis chez lui devant des rangées de livres à l’infini. Il apprécie qu’on le photographie comme s’il habitait une librairie. Il révèle ainsi qu’il sait lire. Sur le plateau, les experts forment un quatuor d’auteurs. L’image associe leur dernier ouvrage à leur actuel visage. Un livre par tête, en revanche. La bibliothèque entière n’est autorisée qu’à l’expert télétravailleur. Satisfaction générale. Platitude à son sommet d’audience. A la fin, l’animateur remercie tout le monde. Y compris la mercière de Périgueux. Les jolis sourires se raniment.

jeudi 11 août 2022

Lumière d'août

Service Littéraire ne suffit pas. Je complète, j’enrichis mes lectures. Je feuillette Voilà et Gaçi. Pas seulement sur la plage. Je m’informe grave. Dans l’eau, Macron fait des ronds. Il canote, il pétarade, c’est selon l’angle du photographe. Il travaille quand il pagaie. Il exhibe un poitrail car c’est l’été. La griffe Manu du décolleté supplante même le vieux modèle Bernard-Henri, déprécié dans les médias. Madame Manu se distrait avec sa smalah, qui squatte le fort, barbote dans la pataugeoire. On dirait Abdallah à Moulinsart. Entre deux pizzas, Manu réfléchit au mandat. Le premier était conforme à son génial bouquin castriste de futur académicien : « Révolution ». Mais Manu, l’extrême centriste, sait qu’il est taxé de suffisance. « Révolution, saison 2 » ne devrait pas tarder à paraître, à rétablir la vérité d’un homme. Manu se ressource, se réinvente à chaque instant. Il se soucie des incendies, se tourmente du Beluga, du pouvoir d’achat, du sort d’Odessa. C’est un chic type. Il a relu Faulkner malgré les Canadairs. « Lumière d’août » est un titre qu’il apprécie, qu’il ne cantonne pas au seul Mississipi. Il lui va bien. Le service de presse de l’Elysée n’a pas démenti.

dimanche 7 août 2022

"Majestuosité"

Je guette la beauté du monde derrière l’ordinaire écran d’ordinateur. Je regarde les images de mer, de soleils éphémères, de villégiatures balnéaires. Je visite le site d’un grand groupe hôtelier dont l’honorable président séjourna jadis à l’année au palais de l’Elysée. A son style, je remarque le rédacteur des notices inspirées qui instruisent des délices des rêveuses destinations. Il ne signe pas ses textes, ses trouvailles d’artiste. Pas besoin. Il se dévoile : un rien l’habille. Car « majestuosité », c’est fort, c’est du Paul Bismuth craché. Au four et au moulin, le président déploie une activité d’enthousiaste stagiaire, rédige à tire-larigots, comme une discrète Pénélope de province. L’essentiel ne lui a pas échappé : « la majestuosité » du palace de San Remo.

lundi 1 août 2022

Journal d'une droguée

« Accepter, ce n’est pas se résigner ». La phrase voisine avec la ferveur solaire d’une jeune Algérois, devant la mer. « L’espoir, au contraire de ce qu’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner ». Entre quatre murs disciplinaires, Nicole Lombard partage une même altière simplicité. « Un coeur insuffisant » est un ouvrage de première nécessité. Je l’ai lu à voix haute. Il suit une ligne cristalline. Léger comme une plume. Texte d’humeur, moqueur. Les mots témoignent de la ronde des hôpitaux. La déambulation d’ambulance est trouée d’apparitions brèves, sorte d’enluminures de la mémoire : l’énigme de la jolie dame, le mystère du soignant rocker. C’est le journal d’une droguée, d’une toxicomane invétérée, qui dédaigne la dose de télévision prescrite par l’institution. Nicole Lombard souffre d’une dépendance rare au silence, à la lecture muette, à la sainte attention. Elle marche à son pas, en marge du tapage. Elle fait « des longueurs de couloir ». Le bloc est opératoire, pas de papier. Aucun crayon ne figure dans aucun rayon. Une idée d’auteur ne s’exprime que branchée au secteur. Ici on n’obéit qu’aux lois d’une hospitalité illettrée. Nicole Lombard songe à « L’art d’être fragile » d’Alessandro d’Avenia. A Ginevra, le chien. A Milan, le chat. Elle est trimbalée d’un gîte à l’autre : Nasbinals, Mende, Castelnau, Marvejols. André Malraux avait écrit « Lazare » sur du papier Gallimard. Aujourd’hui Nicole Lombard a entrepris pareil récit. « L’art d’être fragile », c’est aussi l’art d’être sauvage, de se sauver. Oui, je l’ai dit, Nicole Lombard pratique la locomotion comme une natation : seule dans son couloir. Nicole Lombard est en manque de stylo, de Pléiade à scarifier. Elle cherche une arme. De l’encre, un stylo qui griffe, de quoi faire régner une terreur, une splendeur sur la page. De quoi tracer des phrases qui se suffisent. A Gallimard, elle garde les chiens de sa chienne. A cause de l’absence d’Henri Bosco au catalogue de sa Pléiade. J’aime le détail du texte, ses personnages secondaires, les figures évasives de l’ouvrage : « Le jeune homme appliqué », « les oiseaux de l’arbre haut », « la gloriette de la maison des Tilleuls ».

Une étoile morte

La saignée d’Ukraine mesure l’étendue des renoncements hexagonaux. La guerre à l’Est nous enseigne que l’Europe ne l’a pas rendue obsolète. La nature humaine gouverne en souveraine le destin des peuples. L’irénisme des chantres d’une paix perpétuelle se heurte au réel qui cogne, à la vieille réalité des temps gaulliens. La technicité du pouvoir n’anticipe rien. Ni les Gilets Jaunes, ni le froid de gueux du prochain automne. Un larbinat d’Etat s’est ingénié à dénaturer l’héritage du général de Gaulle. Malraux considérait de Gaulle comme le fondateur d’un ordre, au sens religieux du terme, d’une sorte de règle établie autour de l’indépendance nationale. Ce général visionnaire nous a légué un formidable outil nucléaire, l’arme décisive d’une incomparable souveraineté énergétique. Or de jeunes chefs à mandat réduit ont dilapidé les précieux acquis du grand homme. Nos centrales sont en panne, faute d’investissements, pétrifiées dans nos paysages comme des éoliennes paralytiques, à grand corps malade. Au début des années 70, Malraux rédigea ses “Anti-Mémoires”, soulignant dès la première page le partenariat stratégique avec l’Inde, via la fourniture clés en main de nos prestigieuses centrales nucléaires. C’est tous les jours la tragédie du Petit-Clamart. Avec mort d’homme cette fois. De Gaulle a été poignarde par une petite bande de délinquants politiques aux gabegies impunies. De Gaulle salua le premier la grandeur immémoriale d’un despotisme oriental sous les couleurs d’une Chine communiste. Nixon et Kissinger lui emboîtèrent le pas, reconnurent le continent paria. Le génie géopolitique du Général n’infléchit guère aujourd’hui notre diplomatie. Nous avions pourtant les cartes en main pour développer un partenariat d’envergure et damer le pion à nos rivaux européens. Au lieu de cela, tous ensemble, nous isolons la Russie pour mieux l’adosser à la Chine. Deuxième attentat réussi du grand Charles. De Gaulle est une étoile morte. L’actuelle république se fourvoie dans ses petits mandats de cinq ans et des majorités toutes relatives qui renvoient aux “délices et poisons” du système funeste des apparentements d’avant 1958. Gracq, l’ami de Pompidou, le plus gaullien de nos grands écrivains, témoigne du paysage littéraire de manière lapidaire: “ Entre le quelconque et l’excellent, la distance est stellaire”. La sentence s’applique au théâtre politique. Nous vivons sous une forme insidieuse de tyrannie, de dictature du quelconque, sous une sorte de suffisance du quelconque. À vrai dire, on n’a jamais tué de Gaulle qu’un demi-siècle après sa mort. Non seulement nous avons gâché un capital de fulgurances, mais nous avons durablement altéré le destin d’une nation. Voici venu le temps long de l’insignifiant. La communication n’est qu’une comédie, une fantaisie, une variété de l’imagination. A mille lieues du réel. Simone Weil parle de “l’imagination, combleuse de vide”. Avec l’âge, je sais que de Gaulle demeure la figure exemplaire d’une jeunesse. Au seuil de la vieillesse, je n’ai identifié que le colonel Beltrame dans le sillage du génial général, pareillement inflexible à tout renoncement. Ezra Pound: “Si légère est l’urgence “.

samedi 2 juillet 2022

Le président content

Macron est tombé de son cheval. Il exhorte ses opposants, braves gueux, à le remettre en selle. Macron, né coiffé, s’impatiente même qu’on hésite à l’aider à rajuster sa couronne. Tout allait bien pourtant. Jupiter trustait tous les prix Nobel de la Terre. Le peuple se sentait presque gêné de ne pas le mériter. Jusqu’à ce que Benhalla casse la gueule d’un promeneur de la rue Mouffetard. Je crois aux signes. Seul Benhalla, pugiliste d’excellence, peut sauver le président content. Il rossera les députés récalcitrants. Il saura composer une majorité musclée. Il rassemblera la nation. Dix ans, mon Dieu ! Le stage à l‘Elysée s’éternise. Macron nous a fourrés dans un drôle de pétrin.

AA, BB, FF

C’est le début d’un alphabet dédoublé, les initiales bégayées de ses films. Anouk Aimée, Brigitte Bardot, Françoise Fabian. A comme Amour, B comme Beauté, F comme Folie. Trintignant est un joli gosse d’Uzes. La lettre T de timidité, il la trace sur une figure de jeune premier, un visage rentré, une moue renfrognée. L’alphabet de l’acteur se poursuit, mais sans lettre miroir qui répète une silhouette, un regard: Romy Schneider, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Emmanuelle Riva, Irène Jacob. Derrière une actrice, il cache une cicatrice. Les actrices de son pays ne seront jamais aussi belles qu’en sa compagnie. Toutes les comédiennes qu’il tient par la taille, qu’il serre dans ses bras expriment au cinéma une sorte de volupté particulière, une manière de se plaire, d’être heureuse. Bardot confesse sa tendresse pour le petit amant du port de Saint-Tropez. Mieux qu’une boudeuse aventure, c’est une passion, une préférence. Trintignant n’est pas Gary Cooper, ni même Delon. Il est joli, fait virevolter les robes Vichy. Sa réserve frise l’orgueil. Il lasse à trop d’audace quand il s’écoute parler. À vrai dire, c’est peut-être la qualité de sa diction, un doux chuchotement des lèvres qui donne à son jeu quelque chose de sentencieux. Trintignant ne réalise qu’un film, un autoportrait raté, la diabolique histoire d’un collectionneur de meurtres, la routine criminelle d’un type ordinaire. Jacques Dufilho est lunaire, sardonique, drolatique, poétique. Quand il se regarde faire l’acteur, Trintignant voit Dufilho dans le viseur. L’homme est démangé par la folie. La timidité ne se décalque pas sur la naïveté. L’innocence lui fait défaut. Aucun écho d‘Idiot, rien de dostoievskien. L’acteur est calculateur. Je le croise sur les Grands Boulevards. Je l’observe avec insistance. Il me fusille des yeux. Méchant comme une teigne. L’homme est démangé par la mort de Marie. De la génération d’après, en beaucoup plus musculaire, je ne vois que Pascal Greggory pour afficher de mêmes visages groggy, tuméfiés, abîmés, cabossés par la violence des coups, des uppercuts d’une intérieure retenue. “ Je voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver…” Trintignant récite le poème de Vian. C’est une somptueuse, magistrale, majestueuse lecture, une affectueuse reconnaissance de la littérature. Les mots. “Ma nuit chez Maud”. Françoise Fabian est un envoûtement, une ferveur dans un ciel d’hiver, l’ennui traînant de Clermont-Ferrand. Elle s’apparente à une impossible, inexorable attente. FF est une beauté de feu, la déesse inégalée du noir et blanc finissant, retardée. Vitez est un seigneurial causeur de Pascal, métallique, ironique. Trintignant joue de son charme comme d’une gourmandise, d’une hésitation narquoise. Tous trois virtuoses d’un métier de pure extase. Quand j’avais six ans, je lisais l’Equipe, j’imaginais les exploits de Maurice Trintignant. “Petoulet”, son sobriquet, était un as de la vitesse, un fêlé des circuits. Il tutoya Jim Clark et Graham Hill. Jean-Louis Trintignant appartient à une même ligne de risque. Il n’est pas l’homme du “Dernier Métro “. Il est l’acteur du dernier Truffaut.