mardi 13 décembre 2022
DécemBRRR...
Quand on veut, on peut. La planète refroidit. On respire mieux. On tousse. Il fait un froid de gueux. On est heureux. Désormais, le réchauffement des pôles est une vieille lune, une tracasserie d’antan. La brave éolienne a terrassé le dragon torride. La fin du diésel a eu raison de la moiteur tropicale.
On a bien travaillé, les gars. Les présumés gars, pour parler comme il faut, comme le font les danseurs de tango de science-po. On se rapproche de sa cavalière, on oublie les gestes barrière. Pardon.
On est bien à se geler les doigts de pied. On se tricote des chandails en laine de Ségolène. C’est elle, la reine de la cop 21 qui nous a sauvés du désert et des étés incendiaires. La niaque du Giec a payé. La nouvelle ère glaciaire est une victoire humanitaire, le triomphe fracassant des stratégies volontaires. DécemBRR… Quand on veut, on peut.
lundi 12 décembre 2022
Flaubert
Deux siècles, même un peu plus, que Flaubert est né, qu’il est sorti du néant pour écrire sur rien, pour hisser la littérature à sa grandeur nature : la force d’un style.
« J’ai l’âge de Flaubert quand il erre loin de l’estuaire, s’assied dans le sable, fourre ses yeux dans la mer. Le Havre est sur ses lèvres. Flaubert va s’endormir là où Céline voudra finir. Culottes courtes et carottes cuites. Flaubert se ranime. Une silhouette l’éveille comme un éclat d’album. Elle ravage le paysage, piétine une vie d’enfant sage. Flaubert est beau. Tard, il songe encore à sa distinction de figure. La vie de Gustave va brûler d’un sang brutal. Elle est trouée, éborgnée par un alcool qui cogne.
La baigneuse de Trouville s’approprie la mémoire d’un gosse débile. Elle flèche sa chair sur l’idiot de la famille. Flaubert s’absente de ses genoux. Il re-garde. Il garde deux fois. Il regarde, roi dans ses yeux. Une lumière de grand août interroge le rouge écarlate d’une étoffe à stries noires. Le garçon a l’âge de raison, deux fois dans ses os. La double raison donne une fraîcheur à sa déraison. Flaubert est fou. Il voit flou. Il est halluciné par un surcroît d’images. Gustave écrira ses Mémoires, gravera son désespoir comme on trace ses initiales sur une pierre tombale.
Flaubert saisit le fétiche comme une algue sèche. Il traîne la soie sur le sable comme une robe d’épousailles. Il la gare des mouillures de la mer. Ses doigts ont senti le corps sans peau du manteau vide. Il froisse la pelisse. Il s’entiche d’une revenante. Flaubert se terre à l’auberge de l’agneau d’or. Il bouquine Byron, se remémore Cervantès. Il confie au papier l’éblouissement d’une épiphanie. Le collégien de quatrième a croisé le chemin d’une reine. »
Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, pages 31/32).
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/90-la-cicatrice-du-brave.html
samedi 10 décembre 2022
La fin des haricots
L‘ouvrage porte le dossard 10. Il est le dixième marmot de la famille de mes mots. Il jette un œil distancié, un regard amusé sur la tragi-comédie du pouvoir. « La fin des haricots » brûle la politesse à Noël. Il paraît le 20 décembre.
lundi 7 novembre 2022
C'était hier
« C’était hier. A la table du conseil des ministres, on dénombre quatre présidents. De Gaulle est entouré de Pompidou, Giscard, Chirac. A sa droite, « l’ami génial », Malraux.
La témérité de De Gaulle a fatigué d’avance les générations ultérieures. Après, bien après de Gaulle, elles gouvernèrent avec l’énarchie du désespoir.
Dans le « refaire la France » de De Gaulle, ce n’est pas la France - comme aujourd’hui – qui gênait. C’était « faire », l’introuvable « faire ». Au sens des petits gars de l’île de Sein. »
Ces phrases sont extraites de « C’est encore loin de Gaulle ? » (Editions du Bon Albert, 2002) et de « La fin des haricots » (5 Sens Editions, à paraître).
vendredi 4 novembre 2022
L'homme au sourire violet
« De Vincennes, Serres a marché le long de la Seine jusqu’à la Madeleine. Abdelwahed, le disciple d’Itzer, l’accompagne, écoute Michel disserter sur l’opéra, évoquer Garnier, l’architecte, successeur de Baltard à l’académie des Beaux-Arts.
Serres apprécie Deleuze, le désigne comme « un ami de vieillesse ». Tous deux ont musardé par les mêmes sentiers vicinaux, les chemins de terre accidentés, voire à travers champs, au détriment des lancinantes autoroutes de la pensée. L’un et l’autre considèrent que les concepts sont des personnages vivants, des figures de chair.
Serres s’assied par terre, s’adosse à l’armoire blanche. Nous sommes allongés sur le lit de la chambre. J’actionne la télévision. Deleuze parle de « l’acte de création ». Le philosophe au shetland mauve a enregistré une conférence éblouissante à l’école de cinéma du Trocadéro. Il inaugure une collection de vidéos prestigieuses. Je propose à Michel de prendre le relais, dans le sillage du penseur spinoziste. Serres se relève : pacte conclu.
Sept ans plus tard, Gilles Deleuze quittait ses amis, pas ses lecteurs - pour aller acheter des cigarettes, aller voir ailleurs s’il fait bon mourir.
A Saint Léonard de Noblat, l’homme aux semelles rebelles pensait à la petite reine, l’autre, pas celle de Fausto Coppi, la jolie Sophie qu’il aimait sans mesure. Deleuze ressemblait à l’homme de terre, pas à l’homme de tête, qu’il s’était faite, qu’il avait si merveilleusement faite.
Deleuze donne de quoi vivre pour l’hiver, se vêtir la peau et les os quand il fait froid sur les idées, de quoi penser jusqu’à l’été.
Sans philosophie fixe, il se meut dans les saisons, il émeut par les mots, il est mort d’un claquement d’aile. Shetland de jeune homme, visage brave, Gilles Deleuze tend une main de prince, une poigne d’Idiot, confie au temps sa noblesse et ses lettres.
« Le peuple manque » disait-il à propos de l’artiste, après Paul Klee. Il lève sa plume d’oiseau urgent. L’homme au sourire violet s’en est allé. Loin des veules, près du peuple à venir.
Les deux amis de vieillesse sont désormais enterrés entre Garonne et Haute-Vienne. »
Ce texte est extrait de « Les fées de Serres » (5 Sens Editions, 2021, pages 35/36)
jeudi 3 novembre 2022
Gracq
« J'exhume Gracq de la brume. J'hume le volume. On a déterré des liasses de phrases, des cahiers d'écolier, de la taille d'une boîte de cartouches.
C'est un livre sur le chemin de ronde, autrement dit sur le monde. Louis Poirier règle ses arriérés à la postérité. Gracq et son gang - Hal, Lero, Bertold vaquent à leurs besognes vagabondes. Ils veillent aux embuscades barbares.
"Elle s'appelle Aega" nous confie l'un des gars. Gracq s'enrubanne d'illuminations guerrières. Sa dépense littéraire est somptuaire.
Dans la splendeur d'une géographie, Gracq risque sa peau, frotte ses mots à la terreur de la terre, cogne le heurtoir d'Aega. J'ai fini la fine bouteille d'alcool gris, d'étiquette Corti. Les Terres du Couchant nécessitent une cuillerée en se levant.
Page cent neuf, Gracq croque un profil de lecteurs : "Lero reposait exsangue et paisible, avec cette espèce de sourire qu'il avait et que Bertold appelait en riant son sourire privé - un étrange sourire de consentement et de connivence, pareil à celui qui vous reste parfois sur les lèvres en refermant un livre."
Plus loin :
« Gracq publia un récit absolu. J'en exhume deux majestueuses séquences. Grange voit l'horizon comme une étrange illumination. Il règle son regard sur une démarche enjouée, la liberté à cloche-pied, la frivolité d'une petite fille isolée, sur la laie des bois de Moriarmé. Le soldat trouve une proie à portée.
Gracq, chemin faisant, dans une nature où l'homme exerce une filature, métamorphose une gamine en femme endeuillée. Mona accepte le duel comme une douceur, consent au rêve comme à une trêve, tend sa joue comme on s'amuse à la balle.
Mona nomme une solitude, un isolat, l'anonymat d'un monde. A hauteur d'elle, le soldat identifie le paysage de son exil. "Je ne déteste pas faire la guerre avec des gens qui ont choisi leur façon de déserter".
L'attente, avec un trou, désigne un attentat. La guerre a perforé les chairs. Le blockhaus est réduit à un tas d'os. Grange se hisse jusqu'à la maison de Mona. Gourcuff l'a lâché. Il est blessé. Il traîne sa jambe endommagée par le layon qui mène à la maison abandonnée. "Tout une saison" pensait-il. Il se demandait s'il l'avait aimée. C'était moins et mieux: il n'y avait eu de place que pour elle".
Plus loin encore :
« Des carnets de Gracq, on grappille des miettes comme l'étourneau fait du cerisier un banquet, on se satisfait au hasard des plis d'accordéon du volume, de ses pages sonores, d'une ou deux phrases, comme d'amicaux saluts, sur l'art de se taire, d'écrire, de saisir l'éphémère.
"J'ai retrouvé dans un bref récit de Patrick Modiano, qui s'intitule Villa Triste, ce climat recueilli et paisible de deuil blanc - ces mails frais ratissés chaque matin de leurs feuilles mortes, ces tilleuls, ces hôtels en crème fouettée... ces bourgades thermales fantômes de l'automne où les passants semblent à la fois plus légers et moins bruyants qu'ailleurs. Et c'est un beau livre" (En lisant en écrivant, Librairie José Corti, page 279, 1980).
Liberté Grande et Villa Triste sont des titres magiques. A feuilleter les livres dont ils sont les sourires d'hospitalité, on bouscule une amitié, on trahit une blessure. »
Et enfin :
« Introuvable dans Le Littré, ce mot de Gracq, « requimpette » qu'il affecte à Steinitz, génie bouffi des échecs, et qui veut dire "petit manteau".
La même voix enchanteresse asticote ma paresse. Gracq la réveille des ses Carnets magiques. "Quand je lis Nabokov critique, passe jusqu'à moi chaque fois le bienheureux désespoir qu'il ressent de ne pouvoir transmettre à l'auditeur ou au lecteur le bonheur de langue, la félicité littéraire native propre à Gogol ou à Pouchkine, le sentiment que de tels écrivains sont terrés dans leur langue, et aussi puissamment crochés en elle, des dents et des ongles, que le blaireau dans son réduit" (Page 235).
On fait une croix d'un désarroi. Il me manque de cette terre dans la bouche pour lire en frère une littérature de souche à jamais étrangère. »
Ces textes sont extraits de « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, 2020)
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/322-dancing-de-la-marquise.html
mardi 1 novembre 2022
Questions pour un champion
Que devient un homme déconstruit dans une famille recomposée ?
49.3 ? Un seul 9.3, ce n’est pas assez ? Pourquoi pas 50, 100, 1 000, pendant que vous y êtes ?
Aux hommes politiques qui ne rangent jamais leurs affaires, je rafraîchis la mémoire : « Les dossiers sont sur la table ».
La Grande Muette est coquette. Les généraux de plateau sourient à l’animatrice du jury. Qui va gagner le concours de la plus belle pochette assortie, qui va gagner le concours de la plus jolie tache de rouge au revers de la veste ?
Quand les radars des routes sont en panne, peut-on parler de « trous dans le racket « ?
Faut-il cocher la case « haltérophile » pour « porter un projet politique » ? Voire toutes les cases ?
Dans la rue, une dame m’interroge, me demande quel est mon « narratif » ? Je fais répéter. Le style émotif de Céline ?
Mais je reviens à la question du départ. Obsédante à souhait. Que devient un homme déconstruit dans une famille recomposée ?
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