vendredi 24 novembre 2023
Fragments d'un sentiment/L'interview
« Fragments d’un sentiment » est votre onzième ouvrage publié. A quelle nécessité d’écriture répond-il ?
Ce livre, comme souvent chez moi, s’inscrit dans la continuité d’un coup de sang. Je sortais d’un petit pamphlet consacré au président burlesque du pays. Je voulais retrouver la veine littéraire pure, me laver d’une médiocrité politique, brève parenthèse ironique dans mes écrits. C’est pourquoi la notion de style m’est apparue comme une bouffée d’oxygène.
« Fragments d’un sentiment » est un travail sur les mots, une sortie par le haut. Le livre ouvre une réflexion sur ce qui vaut la peine d’une admiration. Il s’enracine dans un questionnement. Qu’est-ce qu’un style ? Une manière d’être seul. J’aime éprouver la sensation de l’écriture, ressentir l’émotion d’un style, cette façon de monter dans sa chambre, d’un bond, et de s’enfermer à clé.
Et encore ?
Le style se trouve au terme d’un cheminement. Il s’acquiert au voisinage d’une vérité, il révèle une beauté. Il trouve une sonorité, reconnaît un visage, identifie une façon d’habiter une identité, de se regarder dans une phrase comme une image de soi.Et de cette perception intime du style, d’une manière d’être radicalement vraie, infalsifiable, incomparable, j’en suis venu à la solitude de la condition humaine. Avec le style, l’homme se civilise, échappe à la morose barbarie. Au prix d’une solitude et d’une idiosyncrasie qui définissent dans leurs contours une manière d’être, voire un maniérisme existentiel. L’enfant apprend la rêverie dans la solitude des après-midi. Cette solitude est une plénitude. Elle trace une vie jusqu’à la pourriture d’une chair.De cette solitude que j’assimile à un sentiment, je relate des instants personnels vécus et des moments imaginés que j’entremêle par consonnes et voyelles. Je frotte le sentiment de solitude à la sensation d’étrangeté. D’étrangeté au monde, à la stupéfaction, à l’effarement d’être. Ecrire est une tentative pour essayer des trucs à soi qui subliment une déréliction, un état solitaire d’uniforme abandon. A vrai dire, je ne sais jamais de quoi mes livres sont faits, ni même de quoi ils parlent. Je sais juste, ou j’ai l’illusion, qu’ils sont soigneusement taillés. Nicolas de Staël nous prévient au sujet de la peinture : « Moins on invente, mieux c’est ». Moi je dirais qu’un écrivain c’est quelqu’un de mal élevé : il ne parle que de lui.
Le livre attribue une place majeure, privilégiée, au théâtre. Pourquoi ?
Il y a l’écriture, bien sûr. Ses maléfices, ses sortilèges. Mais le théâtre la surplombe, en quelque sorte. La voix des voyelles en garantit l’éternité orale dans l’éphémère d’un temps insaisissable, dans le vol d’oiseau d’un seul ciel.
« Fragments d’un sentiment » évoque la magie, la sacralité du théâtre, le seul vrai métier d’homme, de l’homme du récit récité qui défie les silences du vain écrivain. Dans le jeu d’acteur, le style saute aux yeux, jaillit à la lumière comme une épiphanie, un éblouissement mémorable, un choc violent, fulgurant, qui s’imprime dans le sang. J’interroge les grands acteurs. Je détaille leur manière. Je me délecte d’un style qui magnifie les textes. J’observe les corps aussi, l’éthologie des silhouettes. J’admire la beauté du geste, le ballet des mouvements, la chorégraphie des postures. Flaubert voulait être un gugusse. La carrière du « Garçon » illustre une première vocation de bouffon. « Le gueuloir » témoigne de la seule et vraie passion de Gustave. Ecrivain n’est qu’un deuxième choix. Avec Pat, personnage du livre, nous avons erré dans ces parages-là. A la recherche d’une majesté. A la recherche d’un style.
La nostalgie colore les pages du livre d’une teinte automnale. Quel rôle lui accordez-vous ?
J’observe que le monde contemporain dénie à la nostalgie sa valeur positive de création. Je n’appartiens pas au cercle des contempteurs de la nostalgie. Au contraire, je me range au jugement d’artistes exemplaires comme Chopin ou Pasolini qui lui affectent une force particulière d’imagination. « La connaissance est dans la nostalgie ». Je me reconnais dans la phrase du poète italien.Il convient d’associer à cette réhabilitation de la nostalgie, sous l’angle d’un charme absolu, les brillantes pages que lui consacre le philosophe Vladimir Jankélévitch.
De quoi traitera votre prochain livre ?
Du paradis. Oui. J’y ai séjourné à plusieurs reprises. J’ai noté mes impressions au fil de secrètes randonnées au bord de la Méditerranée. L’Italie est un paradis solaire, à portée de sensation et de plaisirs exquis. Il court les rues, inonde les ruelles. L’Italie est un paradis unique en son genre. Je ne l’ai jamais perdu. Ce journal de voyage s’intitulera « La soie du soir ». C’est un livre de frivolités. C’est un livre sur la gaieté, la sensualité, l’insouciance de l’été. Souterrainement grave, en vérité. J’aimerais dire « mozartien ».Ce livre ultime ponctuera une vie. Le paradis ne souffre d’aucun rajout, d’aucune retouche. Ce sera l’heure de conclure. « J’ai fait mon rôle », disait Madame de Sévigné.
L’ouvrage est paru le 15 novembre 2023. Il est mis en vente chez l’éditeur, 5 Sens Editions, à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/.../536-fragments-d-un...
Il est disponible sur toutes les plateformes dématérialisés sauf Amazon (Fnac, Decitre) ainsi que sur commande dans toutes les librairies : ISBN 978-2-88949-627-3
Il suffit aux librairies de contacter l’éditeur à l’adresse suivante : servicedistribution@5senseditions.ch
jeudi 16 novembre 2023
Faute de Français
Le monarque ne marche pas. Mauvais godillots. Elle est loin l’euphorie des colporteurs d’effigie à tous les étages, l’ivresse endiablée des bateleurs de porte à porte.
Aujourd’hui le monarque ne marche plus. Il claudique. Il ne marche que s’il y a démarchage. Inutile de se fatiguer pour rien, ou si peu, une poignée de Juifs.
Le monarque est fâché avec ses petites guiboles. Le bidule est détraqué, fonctionne de travers, tout en même temps. Le monarque ne marche plus du tout. Il se sauve, fuit sa fonction, déserte ses devoirs. L’altesse est HS. Tristesse française. Faute de Français.
Fragments d'un sentiment
« La vieillesse tombe d’un coup comme la nuit. Ou le rideau d’un théâtre où s’étouffe un sanglot, l’écho des meilleurs mots. C’est l’heure d’apprivoiser une peur, de compter sur ses doigts, d’envisager l’horreur, de mesurer l’intensité d’une foi…
…Depuis le bleu des origines, je balbutie un dialecte imprécis, je fignole un peu les contours indécis, je bricole un habitat meilleur, un style de vie dure, une parure, une manière d’être seul.
On ne sort de la timidité que par la légitimité. Mais le mieux est de s’y terrer, ne s’en échapper jamais. Un jour, la phrase deviendra de la terre. Ce qui m’a ému, m’émeut, s’unit à l’humus. L’errance d’un style subit un châtiment d’homme. Rien à droite, rien à gauche, entre deux morts, la voie est libre, la vie s’anime, file devant soi.
D’Excelsior en Majestic, la vie, la mort, ne dorment que d’un œil, ouvrent les mêmes persiennes d’hôtels borgnes devant l’Atlantique, l’Adriatique, ses rognes, ses chiennes faméliques…
…De ma fenêtre, je vois la chapelle. Elle est zébrée d’arbres argentés. Elle m’appelle en silence. Elle a été décapitée de son clocher durant la Terreur. Je parle tout seul, à mes heures. Ma vocation se limite à l’observation du portail à peinture écaillée, des stères de bois qui enserrent le cimetière. Ai-je entendu une voix ? J’imagine que je suis roi. J’interroge une porte en bois, ses barreaux de vieil écriteau. »
L’ouvrage est paru le 15 novembre 2023. Il est mis en vente chez l’éditeur, 5 Sens Editions, à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/536-fragments-d-un-sentiment.html
Il est disponible sur toutes les plateformes dématérialisées sauf Amazon (Fnac, Décitre) ainsi que sur commande dans toutes les librairies : ISBN 978-2-88949-627-3
Il suffit aux librairies de contacter l’éditeur à l’adresse suivante : servicedistribution@5senseditions.ch
mardi 31 octobre 2023
La guerre est finie
Raid éclair de nos militaires. La guerre contre les punaises de lit s’est achevée dans une liesse qui rappelle la Libération de Paris. Mais on a eu chaud. Sans la bravoure de la capitaine Panot, haranguant les bancs du Parlement, le pays aurait capitulé devant la barbarie des ignobles insectes.
Notre armée était dispersée aux frontières. La résurgence du terrible covid, le plein essor des points de deal, l’aide à l’Ukraine, les émeutes intempestives sont des fronts récurrents qui la mobilisent en permanence. Bien qu’ écartelée entre ces multiples feux, l’armée a su se replier avec succès et gagner la bataille des punaises intra muros.
La réquisition des draps, couettes et traversins a été ordonnée par Geraldo, exécuté avec brio par les commandos de Beauvau. La poigne française a eu raison des punaises. La stratégie militaire a payé. C’est un démenti cinglant aux traîtres, aux déclinistes, qui se complaisent dans les passions tristes.
Bien sûr, on n’a pas vaincu les Springboks, mais on a terrassé les punaises. Et comment !
mercredi 25 octobre 2023
A côté d’une grande
Mon père, qui tenait à me faire connaître la couleur précise des événements de la vie, m’emmena sur le côté de la barque menuisée du cercueil. Après avoir choisi entre mes cinq doigts de la main dans l’hésitation de savoir lequel élire, je posai l’index sur la paupière de ma mère, la relevai, la fis redescendre puis la relevai à nouveau. A ce moment, mon père me dit : « C’est la mort, plus de regard. »
La neige rallongeait sa chute à la profondeur du trou et me faisait penser que le ciel descendait raviver le souffle.
Avec mon père, nous sommes rentrés boulevard du Montparnasse. Il s’assit sur le bord de mon lit et se mit à pleurer. Les dimensions de la tristesse noyaient tableaux et atelier. L’atelier devenait de plus en plus étroit.
Les lendemains étaient morts, et le passé, qui commençait à tailler son biais dans le présent, mourait. C’est ainsi que se retourne le temps d’un verbe dans la conjugaison si vive du temps qui vous prend par surprise.
Il pleurait à si grandes larmes brûlantes, me gardant auprès de lui, le long de quelques paroles noyées que je relevais, dans ma timidité, presque sans voix. Il s’adressait à moi dans la plus grande tendresse, alors qu’il aurait pu dans un tel moment me dire de le laisser.
La joie de me sentir incluse dans sa tristesse m’incitait à la faire mienne. Je ne pleurais pas de la mort de ma mère – je pleurais parce qu’il pleurait, seulement pour mesurer si une petite larme existait à côté d’une grande.
Anne de Staël, « Du trait à la couleur », pages 80/81, Editions Hazan, 2023
samedi 14 octobre 2023
La bande de Gafa
Dans la bande de Gafa, il y a Hamas Zone qui distribue l’horreur à domicile, répand la terreur à demeure. J’entends les cris, les bombardements d’Orient. Viva la muerte ! Assez ! Woke Google les mouettes ! Gisent les squelettes des muettes. S’y joue un drone de drame.
J’attends l’Apple général d’un 18 juin israëlo-palestinien. J’ai sur moi un book de photos d’hommes déconstruits, des meilleurs visages ensanglantés, épinglés sur Facebook. Dans la bande de Gafa, on fait gaffe à faire bref. Le théâtre des opérations s’apparente à une guerre de décivilisation.
samedi 7 octobre 2023
Dictionnaire des idées reçues
A vous : merci, qu’on s’appelle Pierre ou Paul
Brèches : les colmater
Dossiers : ils sont sur la table
Empathie : nouvelle discipline scolaire, entre deux récrés sanglantes
Explosion : des prix à la pompe, rarement d’une bombe
Hors sol : posture naturelle du ministre
Lead, lied ou lide : le prendre
Marche : blanche, en toute saison
Mr Bricolage : ne se dit jamais Mister. Mystérieusement
Paradigme : en changer dare-dare
Punaise : interjection. Par exemple : « Punaise ! Dolly »
Raquette : destinée à avoir des trous, quoi qu’on fasse
Réchauffement : monopole climatique
Table : la renverser
Terrain: y aller
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