mercredi 26 août 2009

Rentrée joyeuse

Le soleil est prié d'aller se coucher derrière les rochers. L'été est en liberté surveillée. La fin de la récré a sonné. On remise la chemisette, l'apéro et le paréo. Les bronzages se voilent d'un tissu strict. Les rêves se repeignent aux couleurs de la réalité, dans les tons sages de la rentrée.
Le président admoneste les banquiers. A première vue, il ne souffre d'aucune séquelle de son petit vertige de juillet. Dans la rue, les gens ont toujours des colliers dans les oreilles, et non pas des os dans les narines comme certaines peuplades amérindiennes. Ces fils qui pendouillent communiquent avec l'urgence urbaine. Le président emprunte à l'Histoire de France deux de ses anciens premiers ministres. Il leur confie le soin de réfléchir à la manière la moins bête d'accroître la dette. Les automobiles foncent toujours allègrement sur les piétons des bandes passantes. Le parti socialiste ne se lasse jamais de parler, d'écrire et de s'invectiver. Il multiplie ses identités comme ses universités d'été. Il est passé du côté du virtuel. Il est bien tard pour enrayer l'épidémie d'avatars.
Les traders sont considérés comme des tueurs de lien social. Ils sont désignés à la vindicte populaire. La finance entre dans l'ère punitive. Il est pourtant prématuré de parler de glaciation. Beigbeder bégaie un nouvel opus autofictif. Obama s'abîme les mains à vouloir réformer le système de santé américain. Obama n'a pas de Cap Nègre pour passer ses vacances.
La grippe A n'en est qu'à ses débuts. Nul besoin de plan B pour la juguler. On est bien préparé. Reste à guérir tous les maux de l'alphabet qui endeuillent la planète. Le fils d'Audiard parle de son film comme s'il avait passé son bac.
A nouveau, on fait la queue à la poste en quête d'un recommandé. L'ascenseur de l'immeuble est en panne. Les poubelles sont pleines à craquer. Les uns et les autres, on se souhaite "joyeuse rentrée". C'est juste un petit coup de pouce aux voeux de bonne année qui depuis janvier traînent un peu pour se réaliser.

mardi 25 août 2009

Saut de l'ange

L'athlétisme à la télévision se résume à un bavardage nationaliste sur fond d'images sublimes. La ZDF focalise son attention sur les champions germaniques. La RAI célèbre les héros
transalpins. France Télévisions privilégie les perchistes tricolores. La seule médaille d'argent glanée à Berlin nous vient d'un grand type au front dégarni enveloppé dans le drapeau bleu blanc rouge. Lâché par un sponsor qui ne croyait pas à l'or, Romain Mesnil a fait parler son corps. Romain Mesnil a un faux air de Guy Marchand. L'athlète use d'une perche là où l'acteur improvise à la clarinette. Les sportifs de haut niveau - c'est l'expression consacrée - sont d'une rare fragilité musculaire. Ils sont blessés à longueur d'année. Les dieux du stade exigent trop de leur corps impeccable. Autrement dit, on a beau être un as, il arrive que la carcasse casse. Steven Hooker a gagné haut la main. Sans forcer son talent. Il n'a réussi qu'un saut: le bon. Dix centimètres sous les six mètres. Touché aux adducteurs, le champion australien a joué au plus fin, il s'est économisé, il a raflé la mise. A la manière élégante d'une démonstration mathématique en une seule équation.
Perchiste de poche, Renaud Lavillenie appartient au genre teigneux. Sa volonté de vaincre n'a pas suffi. Pourtant, il piaffait d'impatience de gagner. C'est un jeunot qui voit haut. Sous sa fausse décontraction, Romain Mesnil est galvanisé par la compétition et son odeur de poudre. Il a plafonné juste au-dessus de son petit collègue de sautoir.
Reste l'ange blanc du stade. Hooker a laissé luire son insolence dans la lumière allemande. Il a dominé la barre de la tête et des épaules. Tous les ingrédients du théâtre étaient réunis: le drame s'est joué entre un gamin affamé, un vétéran de talent et un météore du sport. Hooker a commencé son récital par la fin. Il s'est affranchi des nécessaires galops d'essai. Son audace insensée a été récompensée. Justement ou injustement: allez savoir.
Ce geste fulgurant a été ressenti comme un dernier mot esthétique. Dos au mur, Hooker a accompli un prodige que seuls les grands manitous charismatiques savent exécuter. Au spectacle de pareil exploit, le chauvinisme des speakers s'est volatilisé comme par enchantement.

vendredi 31 juillet 2009

Sheila ou la classe moyenne

Même en crise, la publicité fonctionne à plein régime. Les images nous enjoignent de consommer corrects, de faire marcher droit l'économie. La société est modelée comme une pâte visqueuse de classe moyenne. La grosse classe moyenne est insérée, massée dans l'ascenseur social en panne de mobilité. Elle possède les mêmes biens de supermarché. Elle aspire aux mêmes désirs de prochaines marchandises exquises. Elle se jalouse comme jamais à cause de son uniformisation égalitariste. Cette société nivelée, querelleuse et contentieuse est faite de frères ennemis indifférenciés. Elle reproduit le schéma de conformité publicitaire. Elle obéit sans broncher à la police des marques et aux prescriptions des médias.
Aux extrémités, les nantis et les démunis pèsent peu. Ils amusent la galerie, pour ainsi dire. Atypiques de l'écart-type. Quantités négligeables. Virgules de sociologie. Sauf, bien sûr, coup de projecteur événementiel: Nicolas et Carla au Cap Nègre, les détenus traités en sous-hommes dans les prisons françaises. Mais rien à voir avec l'obésité croissante de la classe moyenne qui fait le gros du corps social et les embouteillages de périphérie urbaine. La classe moyenne est un peuple écouté. Le publicitaire lui adresse ses communiqués privilégiés. La ménagère pré-quinquagénaire fait figure de maîtresse d'école, d'enseignante-chef de classe moyenne. Elle arpente en profondeur les grandes surfaces. Difficile de rater sa cible: ce gros animal de classe moyenne occupe tous les rayons des magasins.
Patatras! Internet libère les têtes comme jadis Moulinex la femme. Il affranchit le consommateur qui se comporte de manière erratique, au gré de ses humeurs. Le consommateur regarde ce qu'il veut, où il veut, quand il veut. Il batifole dans les réseaux, zappe les programmes de télévision comme il effeuille un journal gratuit. La nouvelle indépendance d'esprit du consommateur déjoue les vieilles machineries publicitaires. Le nouveau consommateur lit Closer et Les Echos. Il s'adonne à des pratiques culturelles non-concordantes. Il se dédouble et se défausse. Il travestit son identité habituelle. Il n'appartient plus à ses déterminants sociologiques. Bref, il brouille les pistes. Le publicitaire doit désormais procéder au suivi de son emploi du temps, fait de zigzags de consommation. Il traque le parcours divers et ondoyant de la randonnée chaloupée et hasardeuse du consommateur émancipé.
De surcroît, la demande d'hier devient l'offre d'aujourd'hui. L'internaute bazarde ses vieux rossignols via eBay, s'initie aux délices du petit commerce familial en ligne. Il éditorialise à mort sur son petit blog intime. Il produit de manière autarcique: son contenu, sa fiction, ses rêves. Il télécharge à droite à gauche, agrège des bouts de textes et vidéo, bricole du petit média personnel personnel et artisanal. Tous les nombrils du Web sont désormais en ligne. Au grand dam des vieux médias - qui improvisent à la va-vite des ripostes Web 2.0 - dont il périme le fonds de commerce ancestral. A première vue, ce nouveau mode d'expression tous azimuts s'inscrit en contradiction flagrante avec le magma indifférencié de la grosse classe moyenne consommante. D'un côté, le conformisme des idées imposées règne en potentat. De l'autre, le consommateur se délure, fait les quatre cent coups, se désencombre des vieux carcans prescripteurs. La logique élémentaire oblige d'y regarder à deux fois. La révolution numérique n'a pas généré la moindre rébellion intellectuelle. L'idéologie du plus plat conformisme social gouverne sans partage. Sheila revient d'ailleurs à la mode. "La petite fille de Français moyens" surfe sur la énième vague Internet.

jeudi 30 juillet 2009

Lire, ne pas lire

Impossible de lire. A fortiori, un bon livre. Inutile de lire. Les mots ne pèsent pas au contact du monde, au voisinage d'une chose. Il faudrait lire et ne pas lire. Tendre à pareille hésitation. Ressentir le présent, apprécier le donné d'un espace bigarré, éprouver l'offrande du temps mêlé. Fermer le méchant bouquin sans réveiller les démons. Déserter la phrase, contempler la vibration lumineuse. Arrêter, au sens cynégétique, comme le chien des forêts s'immobilise devant l'oiseau terré. Lire à voix basse le récit d'une fougère.

Problèmes de peau

La combinaison du nageur est interdite de piscine. La cabine de bronzage fait courir un grave péril de santé publique. Le corps de l'homme, qui s'ébat dans l'eau, nécessite une parure appropriée, s'il veut se mesurer au verdict officiel du chronomètre. Cette fameuse deuxième peau de l'homme poisson s'apparente à une burqah des compétitions nautiques. Or elle n'est pas souhaitée. En haut lieu, au sommet de l'Etat, dans les instances dirigeantes, dans les sphères où décident les gros pardessus.
Aux dernières nouvelles, la burqah ne serait portée que par une poignée de femmes musulmanes, moins d'un millier sur le sol national. La combinaison de polyuréthane n'habille qu'une petite caste d'athlètes aquatiques, une aristocratie de champions des couloirs de piscine. En revanche, la cabine, où l'on bronze un corps allongé, attire une large population.
Avoir bonne mine en plein hiver relève du délice transgressif. C'est un avantage comparatif sur le voisin de palier ou le collègue de bureau. Le marché de la brune séduction expose à un éclairage trop brutal. Il surfe sur la vague d'un corps objet qui réclame un luxe d'attentions. Aux dires de la communauté savante, le fétichisme du corps cuivré réveille le démon du mal, le dieu malfaisant du cancer. Le ramdam autour de la burqah d'Afghanistan et le barouf autour de la combinaison nautique masquent un vrai scandale des problèmes de peau. Les entreprises de bronzage effréné créent une situation d'insécurité sanitaire. Il ne faut plus seulement souffrir pour être belle (ou beau) mais résolument risquer sa peau.
C'est pourquoi noircir du papier, rédiger un texte de loi pour mieux réglementer, voire interdire les échoppes de ces marchands de rêve, me semble de salubrité publique. La réflexion, même estivale, mérite une matière plus consistante que l'actuel débat sur les costumes de bain.

mardi 28 juillet 2009

Jamais le dimanche

Le corps lâche. A trop vouloir tirer sur la corde, elle rompt. L'activisme bafoue les valeurs de développement durable. La frénésie tourne le dos à l'éthique d'une croissance maîtrisée. Le président trottine sans se soucier outre mesure d'une santé qu'il abîme. Il en fait trop à l'instar d'une civilisation qui se fourvoie dans l'excès. Le culte de la quantité masque l'impasse sur la qualité. Au four et au moulin, le président s'expose au malaise de La Lanterne. Il érode son capital physique à l'image d'un pays endetté jusqu'au cou. Le petit accroc cardiaque le rappelle à la fragilité des hommes. Dieu lui-même s'est imposé la discipline du repos, au septième jour de la Création. Le président travaille le dimanche. Il court dans les sous-bois. Il défie la volonté divine. Il exhorte même la nation entière à lui emboîter le pas, à ne pas souffler le jour du Seigneur.
L'opposition politique a saisi le conseil constitutionnel pour qu'il statue sur la validité de pareille provocation. Elle craint que le malaise présidentiel ne touche les travailleurs dominicaux. L'imitation du prince peut faire des ravages dans le peuple. Elle est de nature à torpiller la productivité. A l'heure où l'épidémie de grippe A nécessite un vaste plan gouvernemental, il est inutile de favoriser la pathologie du surmenage.
Sainte Marthe est célébrée le 29 juillet. C'est une sainte incomprise, malmenée, contestée. Elle fait figure de contre-exemple. En effet, l'Evangile de Luc attire l'attention des lecteurs sur la contemplation fervente de Marie au détriment de l'agitation inquiète de Marthe. Il y est dit, qu'entre les deux soeurs de Béthanie, Marie a choisi la meilleure part.
Pour les esprits modernes, le rayonnement intérieur de Marie est vite considéré comme une paralysie de l'action. L'utilitarisme primaire l'associe volontiers au vice de la paresse et au fléau du parasitisme. Marie l'inactive vit aux crochets des autres. Elle est souverainement détachée des contingences matérielles. J'ai pourtant la faiblesse de penser que ce texte chrétien des origines s'applique au monde laïc d'aujourd'hui.

lundi 27 juillet 2009

Les bâtons dans les genoux

Le piéton n'a rien d'un fauve de cirque. C'est juste un animal de compagnie un peu peureux. C'est une machinerie de chair qui arpente la ville. C'est un bidule étrange qui marche. Le piéton s'expose à tous les coups: klaxon de chauffards à tout bout de champ, carlingues emballées propulsées sur son passage, pitons d'acier venimeux en bordure de trottoir.
La lutte contre le fléau de la bagnole totalitaire aboutit à de lourdes brimades pour la piétaille des petits matins de grisaille. Les trottoirs sont devenus des réduits minuscules, des passerelles lilliputiennes, piquetées de terrifiants plots de fonte. Manière forte - oui - pour nous dresser. On nous met des bâtons dans les genoux. Les dociles piétons sont expropriés des lieux officiels de marche. Au motif pervers d'interdire aux 4x4 de squatter les trottoirs. Les haies de plots phalliques sont des chiens de garde qui ne mordillent pas les chevilles. Le piéton peine à slalomer parmi ces dents de la terre. Empêché de circuler sur son mince ruban de bitume, le piéton est évacué de sa ligne. Il nage où il peut. Il trotte sur la voie maudite des bolides et des cycles, faute de meilleur accueil ailleurs. Au feu rouge, lorsque le petit singe vert s'allume, ses frères sapiens, de chair et d'os, sont terrorisés par les engins vrombissants des seigneurs motorisés. Les cyclistes s'en donnent aussi à coeur joie. Ils foncent dans le tas de chair piétonne. Ils répugnent à freiner comme ils rechignent à l'effort. Paris est un coupe-gorge, un coupe-jarret, un terrain de chasse où les piétons sont tirés comme des lapins. Paris n'a plus besoin de ces frêles silhouettes à la Giacometti. L'homme qui marche est un délinquant virtuel, un déviant qui s'ignore. A Los Angeles, l'homme sans voiture est coffré vite fait.
La ville est trop petite pour la laisser au libre accès du piéton. Il faut l'exclure de la cité, lui interdire de se promener, les bras ballants. L'été multiplie les touristes gêneurs. Ils empoisonnent la vie des camions de déménagement, des gros engins de chantier, des estafettes de livraison, des autobus brûleurs de feux rouges. Le pâle piéton n'est plus aux normes de la mégalopole. Il enquiquine le monde des machines. Il détraque la civilisation du moteur. Il faut sanctuariser le centre-ville, en faire une zone exclusivement motorisée.