vendredi 29 janvier 2010

Le croc de boucher

Les idées politiques sont des prétextes à querelles de pouvoir. A deux ans et demi de l'échéance présidentielle - la seule qui vaille pour les grands fauves -, l'empoignade verbale prévaut sur le débat policé. Car, au fond, la politique est une chanson de gestes, de postures et d'anathèmes. Le style des hommes éclipse le récitatif d'un programme, pensum réflexif d'un âge révolu. Le combat des guerriers et l'odeur de cadavre fascinent davantage l'opinion publique, aux premières loges de ce théâtre antique.
Villepin est remonté sur son cheval. L'acquittement vaut suffrages pour le tragédien de son propre destin. L'acquittement intervient dans un monde où chacun ment. Sarkozy s'emmêle les pinceaux depuis son évanouissement de l'été, son malaise de coureur à pied. Dès lors, on voit renaître, de manière subliminale, la scène primitive du duel de La Baule: Villepin radieux, Sarkozy migraineux, sur fond d'océan majestueux.
Le public est électrisé par le somptueux mano a mano des hommes d'arène. Le pugilat politique se regarde comme la grande étape des Alpes du Tour de France. La foule s'enivre de la sueur des coureurs, s'émerveille des chairs tuméfiées, s'exalte au spectacle du corps à corps, s'enchante des morçeaux de bravoure, exulte à la vue des cicatrices.
L'équation de départ est simplissime. Villepin n'est rien. Sarkozy est souverain. Or le récit à venir se prête à tous les rebondissements. On songe à de possibles coups de théâtres, au sympathique paradoxe du lièvre et de la tortue. Sauf que Villepin tient davantage du chien fou, voire du loup solitaire. L'un et l'autre ne craignent ni les turbulences, ni les imprudences. Villepin s'arroge la posture de l'enfiévré là où Sarkozy revêt son costume d'agité. Villepin poétise l'action. Sarkozy brutalise la réflexion. Sur la scène, à l'heure du premier acte, les couteaux sont déjà sortis. Bien visibles. Dans les coulisses, Sarkozy avait d'ailleurs annoncé la couleur, sans arrière-pensées. La pièce s'appellerait "Le croc de boucher".
Au gré des situations, la comédie du pouvoir se focalise sur les saignantes chamailleries de la droite, avant de s'arrêter sur les haines recuites de la gauche. Aubry, Royal, Hollande, Strauss-Kahn incarnent des personnages en quête de leadership. Nul ne veut pour un empire un rôle de servante ou de valet. Les escarmouches Royal/Aubry alimentent la chronique de la perfidie politique. Hollande soliloque en bout de table. Strauss-Kahn jouit d'une popularité d'exilé. Bref, la partition des uns exclut l'ambition des autres. Dans un coin du décor qui évoque le Béarn, Bayrou tend des mains au hasard, dans l'espoir qu'on veuille bien le hisser sur son bourricot.
L'horizon politique ne s'éclaire qu'à la lueur d'une seule certitude: il va y avoir du sang. A l'heure opportune, les vaincus de chaque camp se réjouiront à l'idée de trahir les "leurs" - forme ramassée de "valeurs" -, à poignard découvert. Il n'est que de songer à l'histoire récente: Chirac félon de Giscard, Sarkozy traître de Chirac. A vrai dire, le jeu du croc de boucher est une passion dévorante pour l'homme politique qui n'a pas froid aux yeux. C'est un spectacle qui captive le peuple, faute de pouvoir résoudre ses lancinants tourments.

jeudi 28 janvier 2010

Histoire de tronche

Histoire de tronche. Délit de faciès. Attaque confessionnelle. Niveau zéro de l'expression politique. L'édile du Languedoc, régional de la prochaine étape électorale, déverse ses vomissures antisémites à pleins micros. Récidiviste en matière de déclaration raciste, champion local du propos de table xénophobe, la dernière éructation de Georges Frêche entache l'honneur national. Il est temps d'en finir avec une certaine mansuétude collective à l'endroit du vieil histrion en campagne.
C'est pourquoi il appartient aux tribunaux de sanctionner sans faiblesse, de manière exemplaire, les égarements récurrents de l'odieux septuagénaire. Il incombe aussi au parti socialiste d'accorder ses actes à ses belles paroles. Car Georges Frêche a franchi les bornes de la tolérance républicaine. Il faut excommunier l'apostat, lui confisquer le droit de représenter le peuple.

mercredi 27 janvier 2010

Retraite

La retraite sonne à l'heure de la première arthrite. Elle ne se fait pas en bon ordre. C'est la fin de la récréation du turbin. Les vieux tromblons peinent à compter de tête leurs picaillons. On provisionne pour l'arrière-saison. La stratégie de la fourmi s'achève en cul de sac.
La retraite est une capitulation en rase campagne. On cotise pas gratis de manière éperdue. La retraite est chiche, malingre, famélique. Il faut qu'elle mange. On se saigne aux quatre veines pour des clopinettes. La retraite est une désertion de vieux soldats inutiles, la dernière cavale de grognards, une déprime à la casse. Les fuyards claudiquent à la recherche d'un patelin pourri où la pluie se regarde tomber jusqu'à la nuit.
La retraite est le jour de sortie du senior, rangé des voitures. La retraite tire un trait dans le tas des illusions de printemps. La retraite, c'est un lendemain de cuite.

mardi 26 janvier 2010

Marion à la télévision

Derrière d'épaisses lunettes, les yeux de Jean-Luc Marion s'embrument. Le philosophe a revêtu l'habit vert, le bleu de travail d'académicien. Il est filmé de biais, assis dans l'amphithéâtre du quai de Conti, au milieu des gardiens de la langue française. Pas d'autre bizutage pour consacrer ce nouveau compagnonnage que le rite du discours d'intronisation.
Jean-Luc Marion écoute maintenant les mots hospitaliers qui lui sont adressés. Son profil bourbonien évoque le héros chabrolien, rappelle les sages convenances d'un notable de province. Jean-Luc Marion ne fait pas son âge. Il émeut par un sursaut de concentration destiné à masquer le trouble. On sent une gêne, un ennui ou une modestie, peut-être même cette mélancolie aux échos lointains qui figure sur les visages photographiés de Roland Barthes.
Ce silence d'homme d'écriture poignarde l'image, fait l'effet d'une trouée de vérité. A celui qui le regarde, il donne le sentiment de prier, de consentir à s'anéantir.

jeudi 21 janvier 2010

Vie d'un saint

"Vie héroïque". Veut-on dire par là que Serge Gainsbourg appréciait l'héroïne ?
Le film consacré au chanteur annonce la couleur. L'artiste est de l'étoffe des héros. Gainsbourg serait une sorte de pompier des variétés. Toute sa vie durant, il aurait risqué sa peau pour sauver l'honneur de la chanson française, sous la mitraille des couards et des médiocres.
Maudit juste ce qu'il faut pour les besoins d'un impeccable marketing, le petit Lulu est sans doute aussi un saint. Dans la foulée, une suite au présent film pourrait s'intituler "Vie d'un saint". Les spectateurs ont le droit de savoir, d'accéder à l'envers du décor.

mercredi 20 janvier 2010

L'argent sur l'image

Avatar a pris un coup de vieux. Le blockbuster est supplanté dans les coeurs par Tremblement de Terre. Sortie directement à la télévision, diffusée en boucle, la production hollywoodienne dope l'audience de janvier du monde entier. Le tournage a été délocalisé à Port-au-Prince pour des raisons économiques. Le déploiement des forces américaines a nécessité des moyens budgétaires tout à fait inhabituels.
Tremblement de Terre a sacrifié beaucoup de ses figurants. Le téléspectateur est comblé. On voit l'argent sur l'image. On voit le sang sur l'écran. Obama joue le rôle d'un président très crédible. Aucun des épisodes n'est à manquer. Tous se regardent avec plaisir. La saison 2 est déjà en préparation. Hollywood a commencé les premiers repérages. Compte tenu de la multiplicité des zones sismiques, le studio a l'embarras du choix.

mardi 19 janvier 2010

La foi des saufs

Le mal, tel une bête immonde, était caché sous terre. Le diable est sorti de sa boîte. Il a cabossé l'île caraïbe. La force invisible a fracassé les hommes. Les rescapés du mauvais coup sont nus dans la nuit. Haïti ne possède que le corps des vivants et l'esprit des fervents. Haïti prie. Elle s'agenouille. Elle implore le bien caché dans le ciel, derrière les étoiles. Elle chante la gloire de Dieu. Dans sa désolation d'ici-bas, elle s'élève vers le Très-Haut.
L'île endeuillée s'abandonne à la volonté d'une fragile espérance, l'autre et bienfaisante force invisible. Dieu est loué dans sa gloire par un peuple qui continue à croire, contre vents et marées. La foi des rescapés est le premier secours, le premier signe d'humanité, la main spontanément tendue, la lumière spirituelle qui rayonne sur l'effroyable chaos matériel. La foi des saufs réveille la pensée des morts. Cette relation simple avec l'au-delà, cette foi du charbonnier déconcerte les coeurs modernes. Au monde des nantis, elle enseigne la sagesse infinie d'Haïti.