jeudi 31 janvier 2013

Cassez pas le matériel !

Les paradis sont perdus. Les paradis sont toujours perdus d'avance. Il faut tirer un trait sur les causes désespérées quoique des fragments de gaieté trottent dans la tête.
Le jardinet des voluptés est rayé des projets. Car le jardin des merveilles est un soleil loin derrière qu'on a quitté pour l'hiver.
L'avenir fait ses dents à longueur de présent. A moins de mentir sur la marchandise, il situe les paradis dans son dos, hors des convoitises.
L'intime enclos de Mésopotamie est une curiosité d'histoire, une délicieuse vieillerie rangée dans un coin de mémoire. Je fonce tombeau ouvert sur l'autoroute à l'envers.
Les paradis ne sont pas d'ici. On ne les identifie que parce qu'on les fuit. On les égare toujours quelque part. Inutile de rebrousser chemin: ils n'appartiennent à aucun lendemain.
L'architecte empoigne la porte. "Cassez pas le matériel !". Je parle couramment ma langue paternelle. Je me souviens de mots qui ne sont pas les miens. L'ironie flirte avec l'acrimonie. L'architecte décontenancé ne sait sur quel pied danser. Il bredouille un petit murmure au voisinage du bruit d'ascenseur.

mercredi 30 janvier 2013

Jamais là

L'Europe s'est absentée de ses responsabilités. Elle se fiche de sa sécurité, ajourne ses dépenses de défense. Elle se complaît dans la paix, oublie qu'elle se conquiert. Elle a rayé de son agenda la question des guerres et des guérillas.
L'Europe s'endort dans son histoire d'opérette, bercée par de mièvres comptines et de pieux cantiques. De Gaulle disait de Giscard "qu'il ne savait pas que l'Histoire était tragique". Le Vieux Continent est fainéant dans un monde urgent. La désinvolture giscardienne se paie en nature.
Le test du Mali démasque une impéritie. L'Europe s'est provincialisée au point de s'éloigner du monde, de rejeter l'Afrique aux oubliettes, de ne pas voir à Bruxelles les sables du Sahel.
Nos peuples n'en mènent pas large outre mesure. Ils sont secoués par l'insécurité aux portes des cités. Elle s'ajoute à la précarité du porte-monnaie.
Dominique de Roux, dans un petit ouvrage sur le défunt général, définissait de Gaulle comme "l'homme qui est là". C'est précisément la faute professionnelle de Bruxelles. L'Europe fait autre chose, vaque à de vaines occupations, ferme boutique les dimanches historiques. Nos épiciers en chef ne reviennent pas de suite. Ils ont déserté les nations, traité après traité.
Avec la fin des frontières, l'Europe - tout aussi mortelle qu'une civilisation -  s'est condamnée à la poussière. Elle s'exclut de la compétition dans les grandes occasions. Elle a fui ses devoirs. Elle n'est jamais là.

Les joues rouges

C'est un acte d'amour que de courir sous la pluie, place Marcellin Berthelot. La salle est bondée. Les désoeuvrés questionnent une oeuvre sans en saisir le secret. Ils se coudoient dans l'amitié nombreuse d'une infériorité. La médiocrité bavarde supplée le défaut de courage.
Compagnon est un brave garçon. Un érudit, un type poli, un professeur de mièvreries. Son soulier glisse sur la paroi. Albertine luit à la cime des neiges assassines. Le pion de collège ne recueille qu'éboulis de courtoisie. Proust est une brûlure de littérature.
"J'appuie tendrement mes joues contre les belles joues de l'oreiller, qui pleines et fraîches sont comme les joues de notre enfance". La vie de Marcel s'arrête au goût des pommettes. Je voudrais relire la première page, retrouver la candeur d'un début d'historiette.

mardi 29 janvier 2013

Une guerre pour tous

La guerre le requinque. Nos pioupious sont à Tombouctou. La martialité sied à l'Elysée. Hollande s'arrondit. Le Mali le divertit d'une morne économie. Il sait la géographie du Sahel sur le bout des doigts. Il se drape dans sa cravate de travers. Sensible à l'amour du drapeau.
C'est une guerre pour tous, aux droits égaux de Gao à Bamako. On attend le fric. On attend l'armée d'Afrique. On attend l'Europe, la mariée qui s'est défilée. L'Europe ne fait jamais le job. C'est une guerre sans images racontée par de vieux sages. Les généraux des plateaux sont ses délégués syndicaux.
La France est une nation, Fleurange une brève passion, Aulnay un chahut d'ouvriers. Goodyear adresse ses meilleurs voeux de l'année dernière.
Le Mali est notre mondialisation. On y recrute du soldat qui crapahute. Hollande à la hausse pense à la croissance.

lundi 28 janvier 2013

Une vie après l'économie

Pauvreté, précarité. Chômer, travailler. Manger, se loger. L'économie totalise la vie. Rien n'échappe à son impérieuse nécessité. L'homme a rétréci au grand lavage des idéologies. Ni Marx. Ni Jésus. A l'horizon, point de révolution. Au diable les divinités verticales !. "L'homme ne va que devant lui, et il faut qu'il s'arrête" (Paul Claudel).
Le temps s'est arrêté. Il a trouvé son point d'intensité. Il s'est retranché dans une demeure intérieure. Car il n'est d'autre grand soir que l'aventure de soi.
L'homme du siècle siège dans un présent de sensation. Il est muré dans une matière éphémère. Rire et mourir. Il a peur de finir. L'au-delà lui passe au-dessus. C'est un soldat, fait comme un rat, qui songe au trépas.
L'économie a rapetissé l'avenir. Au salut des âmes, elle substitue la corvée du court terme. Le passé trahit les vieux pedigrees. Au travail, l'âge crée le dommage. Traîne les pieds dans une réalité de réactivité. L'économie guerrière ne tolère qu'une classe de trentenaires mercenaires.
Sans père, ni fils. Sans avenir, ni passé. L'économie squatte le présent. Jouit de ses avoirs. Récite la prière des fervents actionnaires. S'active sans perspective. L'économie décolore le corps des jeunes filles. Le futur n'a pas d'avenir. On n'a pas d'argent pour aller au bout du temps.
Aux instants brefs de coït capitaliste, de création express de richesses, la compétition exacerbe la volonté de démolition. Les crabes se pressent au portillon des palmarès. Se pincent à outrance dans une logique de performance. Les hommes se consument dans la flamme de l'âge. L'économie d'incendie se ravive des remuements de braise.
On coupe les temps morts. On abrège l'espace. On concasse. Le temps sculpteur ressemble aux compressions de César. On pratique le forage de soi. La cachette du for intérieur. L'intensité du ressenti figure l'ultime résistance à l'économie. C'est l'humour soviétique des temps communistes.
Y a-t-il une vie après l'économie ? Bizarrement oui. Une vie d'épiphanies. Un récit de fantaisie travaillé dans la chair. Un vertige, une illumination. Une vie faite d'éblouissements. Après la vie, il y a la majesté du plein ennui.

dimanche 27 janvier 2013

Anquetil et Gary

J'observe le crayonné d'une pluie sur un trottoir dominical. J'imagine Mozart pour éveiller l'espoir, pour remuer un sourire pâle. Les migraines sont des moitiés de haine.
Je tire les draps sur des souvenirs immédiats. Anquetil, années de Gaulle, fait du vélo à la Coppi, années Coty. Les champions se prennent la douleur dans les rayons. L'eau minérale est d'effet indésiré pour qui conquiert les cols des Pyrénées. C'est l'heure du seigneur. La montagne saigne des victoires de Cézanne.
Gary travaille en Romain. Il s'enrôle comme voltigeur d'un général. Il pleure à Colombey dans son costume d'aviateur. Pour l'amour d'une gueuse, il endosse une vareuse affectueuse. Il cache sa désillusion derrière un masque d'histrion. Le vieux Russe rafle un deuxième Goncourt sous un nom de bon secours. 
Anquetil est cassé sur sa machine chromée. Il est peigné au Petrol Hahn. Ahane comme un tennisman. Il gagne Paris/Nice et Bordeaux/Paris, sans pause champagne. Du soir provençal à la nuit aquitaine, il prolonge un fatal coup de pédales.
Gary se tue, faute de mieux avec l'écriture. Anquetil s'est tué à braver une popularité. Il pleut des hallebardes sur la margelle des arts.

vendredi 25 janvier 2013

Le cachot de Mexico

L'avocat soigne sa trogne de malfrat. Mal rasé, couturé de cicatrices, on l'imagine embastillé dans une geôle désaffectée.
La gueule ni l'habit ne font le moine ou le bagnard. L'incarcérée, serrée de près par le patron du Quai d'Orsay, c'est une jeune femme survoltée. Pas le plaideur taiseux à bouille de baroudeur. C'est la blonde décomplexée aux grands yeux écarquillés.
Les années de détention ont contingenté son expression. Elle libère son vocabulaire. La belle et la bête squattent les antennes, malmènent l'audimat. On subodore l'arrière-pensée d'un beau récit, l'écriture éclair d'un best-seller, le tournage à train d'enfer d'un blockbuster.
Sylvie Testud serait Florence, mi-perverse, mi-ingénue. Cassel ou Bacri jouerait Berton, le mauvais garçon, terreur des prisons. Titre du scénario: "Le cachot de Mexico".