jeudi 31 octobre 2013

L'écot-otage

Après la bataille de l'écotaxe, nous assistons à la querelle de l'écotage. L'écot-otage est l'impôt de la terreur. L'Etat ne mange pas de ce pain-là. Sa diplomatie suffit. Version officielle, ritournelle de la tractation en gants blancs. L'exigence de transparence est une chansonnette politicienne. L'opacité prévaut au Quai d'Orsay.
Les otages font la grimace sur le tarmac. Les ministres paradent. Le président palabre. Le quatuor libéré courbe la nuque. L'autorité pérore. Elle sollicite leur "expression". Mot déplacé. Cécité jobarde du chef de l'Etat. Les blablateurs se conduisent comme des écornifleurs. Le mutisme des otages dévoile l'odieux parasitisme. Ces hommes tristes sont désormais les détenus des ministres.

mercredi 30 octobre 2013

L'âme d'une anagramme

L'Education Sentimentale annonce la vie parisienne de la grande saga proustienne. Gustave, premier de cordée, tend l'échelle à Marcel. J'aimerais décoder Flaubert, le nez en l'air, déchiffrer l'arrière-pensée des noms propres.
Arnoux est l'anagramme de Rouen, orthographié Rouan. S'ajoute l'inconnue des équations, l'anonyme des jeux de raison. Marie est un nom précis qui brouille les lettres du verbe aimer.
Autrement dit, Marie Arnoux décompose les signes de la ville natale de Gustave. Avec une faute de voyelle, a au lieu d'e. Facétie du forçat de Croisset.
Dans Frédéric, il y a écrire. Il y a même décrire. Il y a F comme Flaubert. Bref, Frédéric, c'est Gustave, baptisé par lui-même. L'amour se cache dans Moreau, s'y imprime au féminin. Amour(e): l'autre mot de Moreau.
Flaubert fait ses préparatifs. Il peaufine ses énigmes. Il loge son âme dans l'anagramme. Marie Arnoux et Frédéric Moreau trimbalent la vie de Gustave. A dos de jeux de mots. Les deux protagonistes sont matière à virtuosité d'artiste. J'en dévoile la teneur en douleur : Aimer, Rouen, Amour, Ecrire, Flaubert.

lundi 28 octobre 2013

Cinquante-sept loups

Je touche à tout. A ce livre bleu noirci de longues généalogies. Je tombe sur Christian, gentilhomme casse-cou, tueur de cinquante-sept loups. Je m'arrête au palmarès d'un chasseur d'espèce. Je referme le livre aux armoiries comme on range un fusil. L'homme est mort, il y a cent un ans. Ses loups sont entrés dans ma vie.
Je tords un Folio, écorne une page, griffonne sur Frédéric. J'imagine les joues de Madame Arnoux. "Je suis un homme moyen, plus une exigence". Je note la phrase hasardée d'un journal. Déterrée d'un cahier de Camus.
Les arbres dodelinent de la tête, en signe de dénégation. Ils dérivent sur l'asphalte, quémandent une grâce. On coffre les mauvais coureurs dans une voiture-balai.
Je consulte la fenêtre et les saluts d'une tempête. Flaubert m'embrouille. Je rouvre le bouquin des filiations. Les hommes ont la passion de se dénommer. "Mémoires d'un fou", page 56: "Quoi ! - de la vanité, du bruit, du néant". 
L'iphone sonne. Mails tactiles. Cinquante-sept signes. Je mélange tout. Les mots et les loups.

dimanche 27 octobre 2013

Un Tour à la Walkowiak

Hollande, au style très quatrième république, ressuscite la figure de Walkowiak. Le président normal a conquis la timbale élyséenne comme le cycliste oublié s'est octroyé le maillot jaune, au milieu des années cinquante. Lauréat du Tour, dès la première participation, Roger Walkowiak n'a jamais confirmé son coup d'éclat. Il a réintégré le peloton, puis l'anonymat de Montluçon. François Hollande, au terme d'un mandat, pourrait rejoindre la rue Cambon.
François Hollande prend mal la lumière. Il est banal à la manoeuvre. On ressent un vide, un manque d'incarnation, une panne de présence, un déficit d'autorité. Son défaut de popularité résulte d'un excès de normalité. Walkowiak avait bénéficié des gracieusetés de la destinée. Il s'intercalait entre Anquetil et Bobet. Après le bouquet d'arrivée, il s'endormit sur ses lauriers. Il fit fausse route, quitta le vélo, ne construisit rien de pérenne avec la petite reine.
Hollande a enfourché le vélo de De Gaulle. Il touche à peine les pédales. Il a joui du forfait de DSK et de la méforme de Sarkozy. L'un a préféré la noce au sacerdoce. L'autre a été hué durant toute la course. Coup de chance. Mais aujourd'hui l'impôt à tout prix est au bout du coup de pot.
Au début, Hollande récupère le bonus du Mali. Il cible une poignée de terroristes, sonne l'hallali, retrouve ses joues de trompettiste. Il succombe à l'ivresse du feu. Il engrange de la sympathie. Il confie son bonheur au pays: "C'est le plus beau jour de ma vie".
La population partage peu l'émotion. Elle goûte moyennement le forcing fiscal. Hollande taxe à tout bout de champ. Le gouvernement souffre d'une addiction au prélèvement. L'impôt est ressenti dans son étymologie. Le mot voisine avec imposteur, pour qui le collecte. Hollande appauvrit les gens du pays. Hollande, percepteur de la République, nous joue un Tour mineur, à la Walkowiak.
Comme l'obscur pédaleur, il risque de finir patron de bar à La Chapelaude, capitaine de menthe à l'eau à la buvette de la Cour des Comptes.

vendredi 25 octobre 2013

Larrain, leçon un

Larrain renonce à la mastication. Au ressassement des mêmes tourments. L'homme qui regarde ne mâche pas un chewing-gum. Il goûte une joie. Il fuit le spectacle, il guette un miracle. Il n'imagine rien, pas d'histoire, ne trace aucun chemin, ne cède à nul espoir.
Larrain va au vent, derrière les paravents. Il est fouetté par les embruns du matin. Il ne décolle pas sa joue du soleil, des conseils des grands ciels. La splendeur est au bout d'une lenteur. L'inaction veille au mûrissement des passions.
Il se clochardise à cause des marchandises. Larrain s'accoude au parapet, extrait un fragment de soi de son artisanat minier. Il vagabonde en son intime réalité. A l'image de l'enfant, la photographie naît d'un moment d'égarement.

jeudi 24 octobre 2013

Les photos de Sergio

J'avais tout faux sur la photo. Je la considérais de haut. J'en méprisais l'hypothétique paresse d'index. Sa lissité de papier glacé interdisait le travaillé d'artisanat. Je me sens mal avec le machinal.
Or j'ai révisé mes idées, changé de préjugé. Si Barthes et sa Chambre claire m'ont ouvert la tête et ôté ses oeillères, reste que la photo me déconcerte. Elle me touche peu. J'aimerais écarquiller les yeux. M'ennuie son découpage gratuit de la géographie.
La magie d'un art m'est révélée sur le tard. La photographie d'un maître du Chili a illuminé ma nuit. J'ai besoin de Larrain comme de pain. J'ai besoin de m'abreuver aux lumières de Valparaiso. J'ai besoin des petites filles du passage Bavestrello. Je regarde Santiago autrement qu'avec des mots. Sergio Larrain me tend la main, un miroir sur les premiers matins. L'homme de patience donne à la vue ses lettres d'évidence.
Larrain photographe s'est sauvé du monde bref. Il s'est retiré des hommes et de Magnum. Larrain fait le saut, fait écho à Rimbaud. Il fait d'un passe-temps matière à éblouissements.
Il prescrit à son neveu, Sebastian Donoso, des conseils pour les yeux, des secrets précieux: "Il faut partir à l'aventure, comme un voilier, toutes voiles dehors, aller à Valparaiso, aux îles Chiloe ou parcourir les rues toute la journée, errer, errer encore dans des endroits inconnus, s'asseoir contre un arbre lorsque l'on est fatigué, acheter une banane ou un peu de pain... c'est cela, prendre un train, aller dans un endroit qui t'attire et regarder, sortir du monde connu, pénétrer ce que tu n'as jamais vu, se laisser porter par l'envie, se déplacer beaucoup d'un endroit à l'autre, là où tu le sens...peu à peu tu vas rencontrer des choses. Et des images vont te parvenir, comme des apparitions, prends-les".
Fichée au bout d'une impasse de Montparnasse, la fondation Cartier-Bresson a tacheté ses douze murs de centaines de rectangles, de figures d'éternité. Les visiteurs se taisent. Ils dévisagent l'oeuvre d'un sage. Ils sont cueillis à la sortie, saisis par les silences du Chili. Ils se sentent sots devant les photos de Sergio.

mercredi 23 octobre 2013

Une vague affectueuse

Trou dans la correspondance du grand Gustave. Rien d'écrit entre le 24 août 1835 et le 24 mars 1837. Vingt mois d'absence. Temps mort où s'intercale la vision éclair d'Elisa Schlesinger.
Flaubert ne sait pas quoi faire de sa peau. Il joue avec les mots. Il a quinze ans, traîne à Trouville son ennui d'adolescent. La féerie d'une vision interrompt sa rêverie.
L'heureuse baigneuse surgit d'une vague affectueuse. Dans "affectueuse", il y a "tueuse". Le sort de Gustave est scellé. Flaubert est ensorcelé. Il sauve le manteau d'Elisa de la montée des eaux. Du coin de l'oeil, il toise Maurice, la moustache lisse de mari sans orgueil. "Il tient le milieu entre l'artiste et le commis voyageur" (Mémoires d'un fou). Flaubert possède l'art d'épingler le boutiquier défroqué.
Flaubert pose son épaule dans sa geôle. Il abandonne sa propre histoire à l'écritoire. Il est nié, prisonnier. De la beauté d'une phrase. De la beauté d'une femme dont les pas s'impriment sur le sable.
Vingt ans plus tard, Gustave observe une torpeur intacte. Il s'est muré dans l'immobilité. Il confesse un fiasco. Il cause à l'oreille d'Elisa. "Je me suis usé sur place, comme les chevaux qu'on dresse à l'écurie; ce qui leur casse les reins" (lettre du 20 octobre 1856).