vendredi 27 février 2015

Le stagiaire du gouvernement

Claquer des portes, serrer des mains, sourire, recentrer sa cravate, demander si ça va. La péniche de Bercy est arrivée. Le monsieur de l'économie est servi. Il enjambe la passerelle, s'affale dans la gondole, salue les bateaux-mouches.
Il joue de son regard comme d'une guitare. Sa fixité est gage de liberté. Elle verrouille un fou rire. Elle dissuade d'en pénétrer l'arrière-pensée. C'est un fils de Boris Vian, sans la slave poésie et la rosse mélancolie.
Il endosse une urgence en guise de nonchalance. La vanité est sa fausse naïveté. Macron tourne rond, bien rasé, bien né, toujours prompt. C'est un loup carnassier, un loulou de beaux quartiers. A la Borloo.
De Giscard bambin, de Gaulle clinicien disait: "Il ne sait pas que l'Histoire est tragique".
Le stagiaire du gouvernement a des fourmis dans les jambes, un toupet de commissaire, une tendresse pour sa pomme. Sa faiblesse est de s'aimer en premier, de prendre plaisir de lui-même. Il ne doute de rien, n'a pas froid aux yeux, croit en son étoile. Il est de son temps comme un roman de Morand. Il ignore comme un vieux président d'Auvergne qu'il n'est pas Maupassant.

jeudi 26 février 2015

Le sermon sur la montagne

La Bible de Jérusalem me laisse en panne. Au bord d'un gouffre. Jésus enseigne à ses disciples: "Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi; mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements".
Je n'imagine pas Dieu comme ça, maître chanteur ou père fouettard. Or Matthieu nous communique une parole divine, calquée sur une réciprocité très humaine. Les mots de Jésus valident une symétrie d'attitude, un mimétisme de conduite qui se situe dans le droit fil d'un "oeil pour oeil, dent pour dent" dont le Fils de Dieu vient précisément interrompre le cycle de violence.
Je bute sur un gros caillou. La contradiction éprouve ma raison. Le sermon sur la montagne nécessite de solides crampons. Chemin faisant, page suivante, je confie mon tourment à la douce Providence. Jésus n'est pas très ami avec la Fourmi. La Cigale insoucieuse jouit d'une foi merveilleuse. "Ne vous inquiétez donc pas du lendemain: demain s'inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine". Je suis rasséréné, je me sens plus léger. Je goûte un vent de liberté.

mercredi 25 février 2015

Une éclaircie mahométane

Les mahométans font la pluie et le beau temps. Abdelwahed me raconte les légendes de son bled. Depuis des décennies, j'apprécie sa compagnie. Au bout de la rue, à l'étage de la boulangerie industrielle, il me divertit de ses tourments spirituels.
Sur des bancs d'université, nous avons étudié les mêmes manuels dévoyés. Un beau jour, à cause de corps dénudés, à la vue des bizarreries sacrificielles de Pierre Klossowski, le frère de Balthus, je le vis s'empourprer comme une petite fille. Séance tenante, il me céda La monnaie vivante, se débarrassa des clichés maléfiques de Roberte.
Aujourd'hui sa tête a souffert de violences routières, routinières. A la sortie de la mosquée, les roues d'un taxi l'ont secouée. Abdelwahed débloque. Je m'assieds sur la banquette, observe la façade colorée des Galeries Lafayette. Le café de boulanger se boit dans un gobelet. Abdelwahed aime les sucreries. Je lui tends le sachet. Il ne faut pas gâcher. Abdelwahed est une éclaircie mahométane sur mes insuffisances chrétiennes.

mardi 24 février 2015

Modeste

Il est mort à la saint Modeste. Qui n'est pas la saint Glinglin. Le dernier Modeste canonisé, jésuite alsacien, périt en Chine comme un chien. L'humilité fait l'homme, la modestie le martyr.
Il sommeille dans un fauteuil de velours jaune. Je lis tout bas un ouvrage de foi, l'éloge funèbre de Derrida à son maître Levinas. La noblesse du texte m'émeut.
Je ne suis pas un garçon qu'on désarçonne. Je songe au jour où j'ensevelirai mon père, à deux mètres de regard, que la seule cheminée sépare.
Tous les jours de calendrier s'appellent Modeste. Ce petit prénom sied à son orgueil. Il désigne un vaisseau de ligne de la marine royale. C'est un personnage de bande dessinée dont il possède l'intégrale des albums. Modeste, le fiancé de Pompon, aime la paix, la colère, la nature en hiver. Lui, l'amour et la beauté.
De l'amitié, il se méfiait, comme Proust, n'y croyait qu'à moitié, à vrai dire pas du tout. Il redoutait "cette heure, entre chien et loup" où "le diable est l'ami qui ne reste pas jusqu'au bout" (Georges Bernanos, "Monsieur Ouine", oeuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, page 302, 1947).

lundi 23 février 2015

Un artifice de briques

Je me tais devant la télé. J'y dérobe les bribes d'un secret. Il est séminariste avant d'être artiste, puis peintre tout court, à ses risques. Il évangélise ou dessine, écrit des mots. Les toiles de Breton incendient son imagination.
Un jour d'air pur, il s'aventure hors de la nature jusqu'à l'atelier de peinture. Courière est au diable, au bout du désert. Le petit curé colle son nez à la vitrine, n'ose entrer à cause d'un artifice de briques. Il sent les apparences. Il est glacé par l'absence de simplicité. Il renonce au renom. Sa virée s'achève en ratage souhaité.
Il arpente la bourgade, garde sa solitude. De Breton, il voit le portrait du photographe, à deux, trois maisons de l'atelier. A son frère, il écrit téméraire: "L'art, c'est l'homme ajouté à la nature". L'homme, il en est sûr, c'est lui, pas un autre.
Il a dix ans à vivre. Il n'a jamais vraiment peint. Il n'est bon à rien, peut-être au dessin. Sa mort volontaire indique un millier de toiles au compteur. Je me tais devant la télé.

dimanche 22 février 2015

Entre Louvre et Châtelet

Une horde de chinetoques obstrue la rue du Louvre sous un soleil oblique. Un grognement d'adjudant ordonne le peuple vacant. Les petites silhouettes pivotent comme de dociles toupies sur un asphalte embouteillé.
Aux Tuileries, les promeneuses dodelinent de la tête. Leurs vaillantes enjambées font voltiger d'obsédantes boucles brunes.
Je me remémore les César d'avant-hier, rouge et or, au sortir de la terre, de la ligne Météore. La pluie fouette les pommettes. On s'engouffre dans la gueule du Châtelet parmi les endimanchés. On se toise, un verre entre les doigts. Aux seuls regards qui acquiescent, on raconte une histoire, on cesse de boire.
Au quatrième flacon, il est l'heure du premier balcon. Edouard Baer est un gentil bouffon dont Jean Poiret serait un père de fantaisie. On se donne du courage, on s'applaudit à se rougir les phalanges.
Les joyeuses starlettes ont des épaules de camionneuses. Les caméramans bégaient à la cité un boniment de francs résistants. La diction n'est pas la première passion d'une preneuse de son. On comprend mieux le cinéma qui recrute ses bleus, ses jeunes premiers, au Théâtre-Français.

vendredi 20 février 2015

Alain A.

Raout à l'Hôtel de Ville. On se jette dans l'euphorie comme dans une vague à minuit. On rebondit comme deux billes, des buffets qui quadrillent. On s'approche d'une terrine comme d'une vitrine. Au milieu, les convives gravitent, s'évitent, se tamponnent comme à la foire de Lisieux.
Alain A. stationne soudain, n'ambitionne rien. L'aimable énarque se fiche d'un plan d'attaque. Sa figure est jaunie par la fièvre de dire.
Nous dînions, un soir d'étoiles, chez Léna et Mimile. Dans son assiette, je déposais l'offrande fluette de mon De Gaulle de contrebande. La femme d'Alain riait. A qui désespère, l'anniversaire est un repère.
On se retrouve au gala des Lauriers. Alain frôle mon coude sans briser le naturel d'une petite causerie commode. Il sort, se sauve d'une douce réserve: "Isabelle est morte".