samedi 2 juillet 2022

Le président content

Macron est tombé de son cheval. Il exhorte ses opposants, braves gueux, à le remettre en selle. Macron, né coiffé, s’impatiente même qu’on hésite à l’aider à rajuster sa couronne. Tout allait bien pourtant. Jupiter trustait tous les prix Nobel de la Terre. Le peuple se sentait presque gêné de ne pas le mériter. Jusqu’à ce que Benhalla casse la gueule d’un promeneur de la rue Mouffetard. Je crois aux signes. Seul Benhalla, pugiliste d’excellence, peut sauver le président content. Il rossera les députés récalcitrants. Il saura composer une majorité musclée. Il rassemblera la nation. Dix ans, mon Dieu ! Le stage à l‘Elysée s’éternise. Macron nous a fourrés dans un drôle de pétrin.

AA, BB, FF

C’est le début d’un alphabet dédoublé, les initiales bégayées de ses films. Anouk Aimée, Brigitte Bardot, Françoise Fabian. A comme Amour, B comme Beauté, F comme Folie. Trintignant est un joli gosse d’Uzes. La lettre T de timidité, il la trace sur une figure de jeune premier, un visage rentré, une moue renfrognée. L’alphabet de l’acteur se poursuit, mais sans lettre miroir qui répète une silhouette, un regard: Romy Schneider, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Emmanuelle Riva, Irène Jacob. Derrière une actrice, il cache une cicatrice. Les actrices de son pays ne seront jamais aussi belles qu’en sa compagnie. Toutes les comédiennes qu’il tient par la taille, qu’il serre dans ses bras expriment au cinéma une sorte de volupté particulière, une manière de se plaire, d’être heureuse. Bardot confesse sa tendresse pour le petit amant du port de Saint-Tropez. Mieux qu’une boudeuse aventure, c’est une passion, une préférence. Trintignant n’est pas Gary Cooper, ni même Delon. Il est joli, fait virevolter les robes Vichy. Sa réserve frise l’orgueil. Il lasse à trop d’audace quand il s’écoute parler. À vrai dire, c’est peut-être la qualité de sa diction, un doux chuchotement des lèvres qui donne à son jeu quelque chose de sentencieux. Trintignant ne réalise qu’un film, un autoportrait raté, la diabolique histoire d’un collectionneur de meurtres, la routine criminelle d’un type ordinaire. Jacques Dufilho est lunaire, sardonique, drolatique, poétique. Quand il se regarde faire l’acteur, Trintignant voit Dufilho dans le viseur. L’homme est démangé par la folie. La timidité ne se décalque pas sur la naïveté. L’innocence lui fait défaut. Aucun écho d‘Idiot, rien de dostoievskien. L’acteur est calculateur. Je le croise sur les Grands Boulevards. Je l’observe avec insistance. Il me fusille des yeux. Méchant comme une teigne. L’homme est démangé par la mort de Marie. De la génération d’après, en beaucoup plus musculaire, je ne vois que Pascal Greggory pour afficher de mêmes visages groggy, tuméfiés, abîmés, cabossés par la violence des coups, des uppercuts d’une intérieure retenue. “ Je voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver…” Trintignant récite le poème de Vian. C’est une somptueuse, magistrale, majestueuse lecture, une affectueuse reconnaissance de la littérature. Les mots. “Ma nuit chez Maud”. Françoise Fabian est un envoûtement, une ferveur dans un ciel d’hiver, l’ennui traînant de Clermont-Ferrand. Elle s’apparente à une impossible, inexorable attente. FF est une beauté de feu, la déesse inégalée du noir et blanc finissant, retardée. Vitez est un seigneurial causeur de Pascal, métallique, ironique. Trintignant joue de son charme comme d’une gourmandise, d’une hésitation narquoise. Tous trois virtuoses d’un métier de pure extase. Quand j’avais six ans, je lisais l’Equipe, j’imaginais les exploits de Maurice Trintignant. “Petoulet”, son sobriquet, était un as de la vitesse, un fêlé des circuits. Il tutoya Jim Clark et Graham Hill. Jean-Louis Trintignant appartient à une même ligne de risque. Il n’est pas l’homme du “Dernier Métro “. Il est l’acteur du dernier Truffaut.

mardi 31 mai 2022

Zéro mort

La finale Cholet/Epinal s’est jouée à guichets fermés au stade Amédée Darmanin, fierté du pays. Le préfet de police Le Boche a supervisé le dispositif de sécurité. Les bandes de Britanniques qui déferlent de Calais ont été neutralisées à l’entrée, empalés dans le tourniquet. Les gredins de gradins n’ont pas profané la sacrosainte enceinte, ni dépouillé les honnêtes familles de nos terroirs. La doctrine de la nation a été appliquée avec bienveillance et tolérance. Sans jamais transiger avec la vertu républicaine d’excellence. Le ministre Géraldo, patron de Beauvau, a salué l’éblouissante performance de Le Boche qui oeuvra sans la moindre anicroche. Zéro mort. La quiétude règne désormais sur les pelouses. Les matches se suivent et se ressemblent. Déjà, dimanche dernier, Blagnac/Laval s’était soldé sur le même score : zéro mort. Le métier de Le Boche et la poigne de Géraldo autorisent ces résultats probants. L’inflation des morts au stade est enrayée, quasiment éradiquée. L’ère du foot rouge, des derbies sanglants, est derrière nous. On parle de Géraldo à Matignon. Le Boche est pressenti à Beauvau.

samedi 21 mai 2022

Lilli, Pap et les autres

Borne. Accent aigu. Entêtée. Bornée. Morne. Accent aigu. Morne-née. Austère par nature. Mère supérieure des Gaulois réfractaires. Bonne sœur de la République laïque. Borne exhorte à la prière, au for intérieur, au sobre labeur. Ecolo, mais pas rigolo. Elisabeth n’est pas une bête des paillettes. Lili Borne est à l’affiche aujourd’hui. Romy Schneider aussi. Lilli, Sissi. Les images se télescopent.L’essentiel est sauf. Une femme à Matignon. La nation sort de Cro-Matignon. Habemus mamam. Habemus papam aussi. L’homme se prénomme Pap. Comme les nœuds au col des toubibs satisfaits, des mandarins des universités. On ne papote que de Pap. Mais on ne chipote pas. Les spécialistes le taxent d’indigéniste. Les mots des élites, je n’y comprends que pouic. La répétitive action du discours d’intronisation du Manu Nouveau a été remâchée des jours et des jours dans l’immobile statu quo d’une attente sans écho. Fini le trou noir du conclave. L’équipe est composée. Prête à jouer. A se frotter au terrain. Il est trop tôt pour siffler des gradins. De Pap, assez suffisant dans son costard cintré, j’aime qu’il nous débarrasse d’un prédécesseur peu exemplaire, brouillé avec l’orthographe. En témoignaient ses posts de fonction, indigents, fautifs, mal relus par ses Nègres de ministère. Pap, lui, est instruit. Le premier bilan est positif.

samedi 7 mai 2022

Moi, je m'appelle Ferdinand

« Guerre » n’est pas un roman de gare. Mais il exhorte à crier gare. S’il sort de sa cachette, c’est pour témoigner que ses câlineries d’écriture ne sont pas de la gnognotte. « Moi, je m’appelle Ferdinand ». Céline se réapproprie le leitmotiv de « Pierrot le Fou », demande à Belmondo de lui restituer les papiers d’identité. S’il vous plaît. L’inaction se passe à Peurdu, patelin paumé, trou d’effroi, bled au bout de la nuit. Le « narratif », comme disent les précieux experts de l’information, c’est le « rendu émotif », l’alphabet stylistique du Professeur Y. Mais le climat de Peurdu leur a donné la berlue. Les héritiers de Gaston balisent la musique du troufion, imposent la loi du lexique. Un bouquin de Destouches exige une retouche, un éclairage, un sous-titrage pour mal-lisants. Céline s’interprète au son d’un petit Gaffiot de version latine. Je convoque à la barre l’autre grand fêlé du dernier siècle littéraire. « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère beaucoup moins pure qu’on ne le croit » (« Contre Sainte-Beuve »). La marmaille de Gaston, qui rata les deux champions, se sent prisonnière d’une prose moldo-valaque. L’outil lexical est une béquille éditoriale. Oui. Ferdinand sait comment il s’appelle. Dans une lettre d’avril 1932 au Gaston réfractaire, l’éclopé de Peurdu-sur-la-Lys écrit, sûr de ses ratures, du manuscrit du Voyage : « C’est du pain pour un siècle entier de littérature ». Niet impoli de l’épicier malappris. Mais chez les juniors de Gaston, depuis lors on ne chôme pas, on trime sur Céline, on actionne le fourneau des mots, on n’arrête pas la cuisson.

jeudi 28 avril 2022

Alejandra Pizarnik

André Pieyre de Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Longtemps j’ai échoué, je n’ai pas su fracturer la serrure de sa somptueuse littérature. Dans un autre siècle, mon ami Grégoire, en interrogeant le vieux poète pour son mensuel rebelle Matulu, m’avait donné la clé de sa luxueuse cachette. L’œuvre de Mandiargues colle à mes basques, obsède mes jours depuis trois tièdes décennies. De Sardaigne ou d’Apulie, je lui consacre mes rêveries d’apprenti, lui destine mes cartes postales du littoral. J’en égoutte une succulence de jus, j’en extrais mot à mot le chant inachevé d’une secrète et sensuelle beauté. « Le lis de mer », baptisé « Vanina » par l’auteur, est un merveilleux, splendide petit livre qui échappe aux pesanteurs de la terre, où le visage s’anime des éclaboussures du rivage, où le regard fuit dans une rumeur, un silence d’écriture. Et je revois la sauvage et furieuse Rodogune, jaillie du soleil, du recueil « Feu de braise ». J’étais fait pour elle, Rodogune, comme l’oiseau d’un seul ciel. Maintenant que l’âge se fait sentir, je découvre l’admirable Alejandra Pizarnik, ses confidences épistolaires au poète huguenot, à l’ami si précieux de Filippo de Pisis. Je mélange un peu tout, des lettres, un journal, ses poèmes. Bref, je trace ses mots à la vitesse d’une soif. « Sans toi, le soleil tombe comme un cadavre délaissé. » « Il est 14 heures et je suis au lit comme une lettre dans son enveloppe. Où s’envoyer ? Destination inconnue. » « J’ai demandé beaucoup de choses, et une nouvelle machine à faire des poèmes puisque la mienne est un peu avariée. » « Cher André, pardonnez-moi mon long silence de petit quai abandonné. » « J’ai un étrange nuage dans le lieu où tout le monde pense. » « Je n’aime pas quand le terrible se joue dehors. Ici, même les actes les plus privés sont en plein air. » Alejandra Pizarnik est morte il y a un demi-siècle à Buenos-Aires.

dimanche 24 avril 2022

Antonioni

Il est des artistes qui veillent sur leurs admirateurs, exigent d’eux un maintien, pèsent en quelque sorte sur leur destin. Comme des anges gardiens. Dans « La cicatrice du brave » et « L’amitié de mes genoux », j’évoque la splendeur de ses films, le visage de ses actrices. Lucia Bosè, Monica Vitti ; Maria Schneider, Christine Boisson. On a traduit des notes de lui, des fragments, des pensées du maître de Ferrare. Figure dans l’opuscule d’Arléa sa rencontre avec Jeanne Moreau. Un chef d’œuvre.