lundi 31 octobre 2022

Roger Nimier de la Perrière

Il est né à son heure, un jour d’octobre, le dernier d’ailleurs. « Choyé par des littérateurs du demi-monde, papillons noués au col, Roger Nimier fait l’aigle, un sourire d’enfant fier sur l’épaule de son père. Il s’accointe au Grand d’Espagne, s’acoquine à Céline. Mais dix années durant, un professeur de dictée, maître à Barbézieux, lui dit des horreurs, lui défend de s’amuser, de griffonner des romans. Qu’à cela ne tienne, il pique un sprint en pleine côte, histoire de faire mal et d’en rire, d’infliger aux coureurs de dictons l’impardonnable suprématie du talent, cette gaminerie d’enfant grave. La virtuosité vieillit mal, faite pour l’instant. Reste qu’elle périme d’un trait les écritures obèses, décomposées dès la première rampe, enrôlées par erreur. Que Nimier expédie les importuns à la ferraille dans ces voitures-balai « réservées aux grosses santés » instruit sur ses sentiments : bons comme sa littérature. Nimier, sabre au clair, précise l’attaque d’une phrase allègre, si aisément, montant sur ses grands chevaux. Au volant des studebakers, dans les bras de Lucia, la plus belle fille du monde, ou de Sunsiaré la Messagère, Roger Nimier aime éperdument les routes tachées de vitesse, écrit d’avance des petits livres en guise de faire-part. Avec cette mauvaise grâce de l’enfant dédaigneux, il remue les mots et les couleurs, crayonne indifférent, comme un nuage au vent, qui passe le temps. Avec les trains, les fous et les fermeture-éclair, on ne s’embête jamais puisqu’à l’occasion ils déraillent comme vous et moi. Celui qui, si gai, noircissait les pages et souvent les choses – « nous écrivons peut-être dans une langue morte » –, qui en fit son affaire, ravigota le roman d’une belle plume égarée, devint dans l’instant RN, squelette et emblème, initiales fatales de Route Nationale. Il faut se dépêcher de dire je, avant que ils, nous, vous, tu. C’est d’une littérature capricante dont j’ai besoin séance tenante. Roger Nimier de la Perrière est un auteur qu’on débusque là dans les fagots, derrière. C’est un flacon d’ivresse, ensommeillé dans une cave, une bouteille d’encre pâle qui étoile un calice. Il figure parmi les marmots les pires, les plus insolents, d’une république de mots, parmi les chenapans d’une cité des talents. Il baptisa son fils Martin, du nom de sa chignole Aston. L’homme travailla comme un nègre, mains nues, respectueux des paresses et des pègres. Morand est doublé sur sa droite, touché par la grâce du bolide. Durant dix ans, ils échangèrent des secrets, confièrent leurs humeurs, zébrèrent d’impertinences leur fière correspondance. L’art épistolaire est une école de virtuosité. Frivole est sa manière. Mais Nimier est du genre buissonnier. Il donne du fil à retordre au vieil ambassadeur. Morand s’amourache du jeune homme à panache. Roger Nimier songeait à acheter « une panoplie d’orphelin » à son Monsieur du Pimpin, l’autre Martin. À la hâte sur l’asphalte, l’Aston calcina deux corps. Nimier, trente-sept ans, Sunsiaré, dix de moins. Sunsiaré de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, l’auteur des Fiancées sont Froides, cinquante ans après. » Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, 2018, pages 36/37). https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

samedi 22 octobre 2022

Aujourd'hui, c'est la Saint Brassens

Une guitare. Une chaise. Non, un trépied. Soulier dessus, dans l'angle droit du genou délié. Brassens n’embrasse pas. Savoir de prostituée. Loin des morales de marioles. L'homme marmonne une chanson. Bougonnerie d'un malappris. Chair de poule devant la foule. Brassens a des yeux de prince arabe, un regard de seigneur oriental. Il est penché sur un for intérieur, pince une corde, souffle un mot, l'un après l'autre, par coeur. Il murmure un poème à fines dentelures. Il désenchante. L'homme est rugueux, véhément, affectueux. Simple comme bonjour. Giacometti de music hall. Textes millimétrés, taillés, rimés aux plus gracieuses sonorités. La Fontaine d'un temps de morne plaine. Et toujours ce regard sans collier, de longue indifférence, de lointaine nonchalance, de sombre sauvagerie, ces yeux sans esquive d'un timide Omar Sharif, au Sahara des solitudes.

vendredi 7 octobre 2022

Les yeux bleus

Pour nous les gueux, les yeux de président n’étaient jamais bleus. Naguère, les regards n’étaient pas clairs. Ils étaient noirs. De de Gaulle à Hollande, l’œil de deuil prévalait. Avec Macron, la République change de prunelle comme de chemise, ou de paradigme. Elle impose une transparence glaciaire. Elle nous fusille du regard. Jadis Hallier taxait Giscard de « colin froid ». Or aujourd’hui le pays est gouverné par un trio de colins hyper froids : Macron, Borne, Lemaire. Manu, Lili, Nono ont les yeux trop bleus. Glagla. Froid dans le dos. Ils nous réfrigèrent pour l’hiver.

jeudi 6 octobre 2022

Au début de l'automne

Au hasard de la galerie d’art de Marie-Hélène, j’ai revu Jean Michel qui exposait ses toiles, avec fièvre évoquait Blaise Cendrars. Je me suis amouraché de son moucharabieh. L’artiste cachait ses émotions à ses heures d’administration. Il épaulait Georges Duby à La Sept, l’inventif brouillon d’Arte. Proche de Soulages, il s’était consacré à la peinture, le seul visage qu’il se reconnaissait comme sa propre nature. Ce gentilhomme de la télévision visait la cible aujourd’hui délaissée des « audiences attentives ». Et cette qualité d’attention, de modestie, d’artiste accompli, je l’observais dans l’amphi du Séminaire Multi-Médias, rue Descartes, à la Montagne Sainte Geneviève. Jean-Michel Meurice était recueilli, à l’écoute des technologies, des images et des sons. Jean-Michel Meurice est mort au début de l’automne.

mercredi 21 septembre 2022

L'art d'un dieu

Godard est mort. Dieu, la reine. Je ne me sens pas très bien. C’est un coup du sort qui déflore un visage de terreur, qui subtilise à nos regards une impeccable majesté, une manière sur la terre d’exalter la beauté. Godard nous laisse en rade, nous abandonne aux mascarades de la crétinerie, aux torpeurs de la laideur. “Pierrot le fou” est une œuvre géniale, le rêve wagnérien d’un art total. L’art d’un dieu: peinture, musique, danse et poésie. Godard fait des poèmes avec des fenêtres dans le ciel, des découpages de la nature, des profils et des figures, des bribes somptueuses. Rimbaud, Nicolas de Staël étaient ses frères de grande querelle. Godard lègue un testament d’artiste diamantaire: “Soigne ta droite”. Fignole ton petit pan de légitimité jusqu’au bout. Le grand art est une boxe. Godard chiade les encoignures. Il a forgé l’outil d’ouvrier qui lui sied. Le cinéma, son dernier cri, à bout de souffle. Dans un film sur Sarajevo, il énonce tout de go son credo: “La culture, c’est la règle; l’art, c’est l’exception.” C’est ce quartier de soleil, ce fragment de splendeur qui se dérobe aujourd’hui. Je voudrais revoir “Week-end “, revoir la scène de la ferme où les paysans à fourches s’approchent du pianiste, sur la pointe des pieds. La beauté des films de Godard ne doit pas mourir, se détériorer dans de vagues archives. Au voisinage du maître helvète, on est sur le qui-vive, dans la fulgurance et le grand métier. Il n’y a qu’un seul métier: tous les autres sont des courbures d’imposteur. Godard chantait la sainteté du coquelicot. Il en restituait l’écho. “Le roi vient quand il veut “. Godard savait la remarque de Michon. La mort est une allégorie des beaux arts. Un de chute. Les temps se hâtent. Faute de vrais rois, on se satisfait de pâles denrées d’hérédité. Le roi d’Angleterre légitime n’est pas le petit Charles au teint rosé. Non, le seul roi d’Angleterre que je reconnaisse est Irlandais. C’est Samuel Beckett. Indiscutablement. Observez les photographies de sa belle tête, de sa longue silhouette. Tant que Beckett régnera, rien d’essentiel ne capitulera. Depuis les statues grecques du “Mépris “, Godard appartient à une lignée de rois, dotés du même regard loyal, situé de plain pied dans le sacré.

dimanche 21 août 2022

C'est comment qu'on Fresnes ?

Les ploufs de pataugeoire et les petites pétarades merdiques de karting insupportent les jeunes incarcérés. Ils se sentent blessés dans leur pedigree de petites gouapes. Ils fustigent ce genre de veillées scoutes lénifiantes, paternalistes, nullissimes. En revanche, ils réclament l’organisation rapide de rodéos urbains, en vraie grandeur. Ils veulent du hors sol, hors les murs. Illico presto. La fierté du voyou n’est pas négociable.

vendredi 19 août 2022

De la platitude

Le meneur de jeu galvanise les egos. Quand vient son nom, la caméra cadre au mieux un sourire niais, le contentement de l’invité. Le sujet est d’actualité : « Pourquoi Zelenski n’a t-il qu’un seul vieux ticheurte sur le dos, toujours le même ? » On va le savoir assez vite. Sont réunis un général, une universitaire, une journaliste, une toubib. La bourdivine sociologie est respectée. Un cinquième commensal s’affiche à l’écran. On lui demande s’il entend. Lui aussi sourit, très poli. Il est assis chez lui devant des rangées de livres à l’infini. Il apprécie qu’on le photographie comme s’il habitait une librairie. Il révèle ainsi qu’il sait lire. Sur le plateau, les experts forment un quatuor d’auteurs. L’image associe leur dernier ouvrage à leur actuel visage. Un livre par tête, en revanche. La bibliothèque entière n’est autorisée qu’à l’expert télétravailleur. Satisfaction générale. Platitude à son sommet d’audience. A la fin, l’animateur remercie tout le monde. Y compris la mercière de Périgueux. Les jolis sourires se raniment.