dimanche 28 décembre 2025

« Ecoutez-moi, ce con ! »

Dimanche, j'ai revu Le Mépris, la perruque brune de Bardot, le chapeau de Piccoli, la lumière de Capri, les couleurs de la vie. Godard a bâclé un pseudo scénario, histoire de contenter le distributeur du film. Il dédouble sa vie sur l'écran. C'est par le mépris qu'il la traite, la tire par les cheveux. C'est sa peau qui vaut scénario. Pas besoin de noircir du papier, faut plutôt impressionner la pellicule, la faire rire aux instants rares. Faut chiader l'image aux encadrures, entre deux acrobaties, facéties, espiègleries. Bref, exercer le métier de voyeur, faire le job avec honneur. Mettre du rouge, du vermillon sur les corps et les désirs, les dieux et les peignoirs. Mettre du bleu, du bleu de "sourire innombrable", du bleu d'Homère sur le ciel et la mer. Mettre des élans, des émois, des petits mots, du mouvement de motion picture dans l’appart romain et la villa de Malaparte. Caméra danse comme pigeon vole. Godard filme le ballet des cils et des silhouettes, des objets et des rejets. Il défie la loi de pesanteur du scénario d'auteur. Vit son film, filme sa vie. Il momifie Hollywood dans la raideur de Jack Palance. Il fige l'ami Fritz dans sa posture de pommier faiseur de pommes, le laisse rêver d'Odyssée et de cinéma aimé. Se révèle ici que regarder fait du bien. Le Mépris est la guérissure d'un rebouteux des yeux. Godard soigne tout ce qu'il touche. Brigitte Bardot étire sa beauté comme l'ennui dévidé sur un corps d'été. Camille se déprend de Paul. La femme du Mépris s'appelle la méprise. Au voisinage du maître helvète, on est sur le qui-vive, dans la fulgurance et le grand métier. Il n’y a qu’un seul métier: orfèvre. Tous les autres sont des courbures d’imposteur. Godard chantait la sainteté du coquelicot. Il en restituait l’écho. Sans autre sujet que la beauté de Bardot. Godard a l’âge du Christ. Il filme la lumière, le récit d’Homère, le dos, le joli derrière de Bardot, l’enturbanne comme s’il était Vermeer. Quand je regarde Bacon, c’est l’orange la couleur des hommes. Quand je vois Godard, c’est le rouge d’Italie qui fait le prix du Mépris. On va de l’appart à la maison de Malaparte. Le corps de Bardot exige l’éternité, un coloris d’été, la sainteté du coquelicot. L’Alfa de Cinecitta est du même rouge farouche que la robe de la sublime ragazza, que l’incarnat des meubles Ikéa. Le rouge lipstick indique le retour à Ithaque. La Méditerranée est un sourire innombrable, l’Odyssée un désir d’en finir. A l’époque, Piccoli était potable. Bardot fait la moue quand elle se tait, la mouette quand elle s’entête. Godard lui consacre un art. « Ecoutez-moi, ce con ! », chantonne la femme vermillon. Frederic Prokosch était un poète du Wisconsin, établi sur les hauteurs de Cannes. Godard lui fauche son nom parce qu’il aime le tennis et les papillons, lui chipe l’histoire (« Ulysse brûlé par le soleil »), fourgue les deux à l’affreux Jack Palance qui nasillarde la bande-son d’un bout à l’autre de la toile. Bref, Godard se fiche de Moravia, d’Ulysse et de Pénélope. Il fait gaffe à Bardot. Il l’habille de somptueux oripeaux. Ses yeux s’écarquillent quand il pense à Camille. Il la vêt d’un peignoir jaune, l’accorde à l’ocre des pierres. Fait d’une blonde une brune, alterne les heures, varie la lumière. C’est un film sur elle. On s’émeut d’une machine à écrire, l’Olivetti à capot gris. Le même vert drape l’épaule de Bardot, colore le cinéma où se joue Viaggio in Italia. Godard ne s’est pas remis du manuscrit refusé. Gallimard est un malappris. Depuis il s’amuse avec la lumière, se contente des yeux, faute de mieux. Bardot est la plus belle pour aller danser, dégringoler les escaliers de Capri. La mer dans sa splendeur. Le Mépris s’achève comme Pierrot le Fou. Pas besoin de Rimbaud, Bardot suffit. Ce texte est extrait des ouvrages suivants : « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018), « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, mars 2020) et « Tita Missa Est » (5 Sens Editions, avril 2021). https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/192-l-amitie-de-mes-genoux.html https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/322-dancing-de-la-marquise.html https://catalogue.5senseditions.ch/fr/recit-de-vie-connaissance/436-tita-missa-est.html

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