lundi 8 décembre 2008

Miss PS

On le savait depuis des lustres que les filles étaient les premières de la classe, que les garçons chahutaient ou souffraient d'un poil dans la main. Presque le même jour, on a tressé des lauriers, décerné des couronnes à des femmes méritantes. Miss PS et Miss France ont squatté notre imaginaire. La belle Chloé s'est débarrassée de ses dauphines pendant que Martine distançait Ségolène d'un cheveu. Bref, les femmes trustent les bons points. Les voix des hommes les départagent. Ces braves garçons un peu lourdauds regardent le match, arbitrent la querelle des filles. Martine est émue par le sort de la vaincue. Elle lui tend la main comme à une noyée. Ségolène gare sa joue, craint le baiser empoisonné. Les filles parodient les vieux sketches des garçons -  la chamaillerie Jospin/Fabius en terminale quand elles découvraient toutes deux  le latin en sixième, les crasses Villepin/Sarkozy du bahut d'en face, les escarmouches préparatoires Copé/Bertrand, la guignolade Chirac/Balladur, les guéguerres Giscard/Chirac et Mitterrand/Rocard du siècle dernier. Martine et Ségolène veulent être premières toutes seules. Et dans toutes les disciplines, du parti et du pays. Elles font juste l'impasse sur le prix de bonne camaraderie, matière à faible coefficient, voire facultative comme à l'Ena. 

jeudi 4 décembre 2008

Manivelle

Mon automobile peine à conserver son emploi. Sa carlingue grisonnante la destine à la retraite. On me fait miroiter de l'or pour que que je me débarrasse d'un tas de tôles irréprochables. Misérable époque. Ma douce auto n'a pas besoin de se refaire la peau. Je refuse qu'on la dégraisse. L'Etat voyou pratique un chantage sans vergogne en brandissant une prime à la casse au motif de dépanner la crise. Une voiture s'apprivoise. Il convient de lui parler correctement. Il est même parfaitement indélicat de lui rappeler son âge. Le premier vandale qui s'ingénierait à vouloir la démolir s'expose à des retours de manivelle.

mercredi 3 décembre 2008

Vie et mort du senior

Reste à régler, en ce début de vingt-et-unième siècle, la question sociale, quasi humanitaire, de ces troupeaux de vieux sans avenir. Ces pauvres hères n'ont vraiment plus rien pour plaire. Leur pathétique mémoire récite un vieux disque, tourne en rond entre deux roupillons. Elle les adosse au passé. Avant les prouesses de la médecine, les vieux tromblons survivants des fléaux étaient considérés comme des dieux peu nombreux. On les honorait comme des guerriers intouchables. Or le succès des nouveaux rebouteux a multiplié les stocks de vieux au point d'en déprécier la valeur. On a découvert le pot aux roses: le grand sorcier ridé n'était qu'un imposteur. Depuis lors, on se débarrasse du senior comme d'un poids mort.

mardi 2 décembre 2008

Dimanche

Le travail communique son ennui à vouloir se situer au centre des conversations. Le dimanche est un jour comme les autres. Tous les jours sont d'un même gris comme les chats dans la nuit. Seules les saisons varient. L'été exhibe une identité que l'hiver serait en mal de revendiquer. Le partage des saisons établit la diversité. En revanche, n'importe quel dimanche de novembre ressemble comme deux gouttes d'eau à un lundi de Toussaint. Les dimanches sont des lundis qui s'ignorent. La différenciation des jours est une facilité d'agenda. A vouloir s'arc-bouter sur la prétendue singularité du dimanche, on croirait presque qu'elle résulte d'une invention de la nature. Car l'idéal est de travailler de bon coeur, à bon escient, au bon moment. Faute de quoi, on s'expose au labeur qui enquiquine, on se risque à la tâche assommante. Il est des bonheurs au travail qui se goûtent dès l'aurore, un dimanche de juillet, allez savoir pourquoi. 

Aguerri

Un président yankee confesse son ignorance guerrière. Il n'était pas très aguerri à l'instant de meurtrir la Mésopotamie. Harvard est loin d'être une école de guerre. Les universités forment des tueurs de temps de paix, notamment des traders. Bref, le président sortant ne disposait que d'un bagage militaire rudimentaire. A vrai dire, le fier Texan peut se consoler en songeant aux braves civils irakiens qui partageaient en la matière un même amateurisme. Les foules bombardées de Bagdad étaient aussi peu préparées à la guerre que l'homme fort de la Maison Blanche. Est ce bien raisonnable de jouer aux gendarmes et aux voleurs sans en connaître les règles ? Aucun garnement de cour de récréation ne s'y risquerait.

Face à face

Boulevard Haussmann, une foule rieuse écarquille les yeux devant les vitrines de Noël. Les enfants sont juchés sur les épaules des pères. Les mères serrent fort les menottes. La joie pétille d'un éclat neuf. De l'autre côté de la chaussée, sur le macadam rival, les lumières des riches boutiques sont éteintes. La nuit estompe les formes visibles de l'indigence. Les hommes sont couchés dans des pelisses incertaines et des constructions de carton. Le quartier ombre boude la fête. Visages du dimanche et trognes à faire la manche croisent leurs regards absents. Face à face improbable. Frontière infranchissable entre le sourire de contentement et le rictus de dénuement. 

lundi 1 décembre 2008

Picotement d'ortie

Le corps absorbe la totalité de la conscience. Il est ressenti comme un picotement d'ortie. Le malade est divisé, fourchu comme un diable. L'enveloppe charnelle n'est plus ajustée aux mesures de la quiétude biologique. La vie des organes est ballottée comme sous l'effet d'une roue voilée. La fièvre sensibilise au soi. Elle creuse la demeure du for intérieur. Le corps se carre dans un retrait instinctif du monde. C'est un adieu aux paillettes du dehors, à l'étrangeté de l'autre, à l'ivresse des choses. Le corps se recroqueville de la nuque aux chevilles. Il attend que le temps du mal s'en aille, s'épuise dans sa durée. Il est la proie désignée d'un prédateur masqué. L'espace du corps se contracte à mesure que le temps se déploie. La prégnance du mal cogne à la porte du corps, réveille la conscience, uniformise la déplaisante sensation. La vie subit la loi d'un temps qui vibre dans les tempes. La route du malade est pavée de gravillons brûlants, d'interminables instants qui sont chauffés au soleil de la solitude. L'homme est couché comme un mot dessiné, immobilisé sur le sable. Aucun lointain, aucune songerie ne brillent dans ses yeux. Il est ligoté aux minutes circulaires du présent.