mardi 13 octobre 2009

Suicide au travail

On meurt de tout. De stress comme dans un centre d'appel, de chagrin comme Roland Barthes, de substances "médicamentueuses" comme les actuels dieux du stade. Frank Vandenbroucke n'a pas survécu au dopage ordinaire du sport de haut niveau. Le champion belge ne s'est pas réveillé du mauvais rêve de la gloire. Ce métier de chien exige des remèdes de cheval. La bagarre pour les places nécessite de doubler les cadences. A vélo, les hommes se suicident à petits feux. Forçat de la route est un travail trop dur. Les cimetières cyclistes ne se situent pas seulement dans les ravins des Alpes. La compétition extrême s'achève aussi dans la solitude d'une chambre d'hôtel sénégalaise. Les coureurs se pendent rarement, se jettent encore moins des ponts. Ils se tuent parfois au fusil de chasse comme Luis Ocana. Ils peuvent dériver sur l'asphalte dès les premiers lacets du Ventoux et périr dans un fossé comme Tom Simpson. Ils peuvent mourir dans un lit à Rimini, d'une mort qui n'est pas belle, comme Marco Pantani. Frank Vandenbroucke est tombé de vélo. Au prochain Tour de France, il y aura foule dans les cols pour applaudir les coureurs. Avec le temps, on observe que pareil enthousiasme est une sorte d'hallali, un lynchage collectif à retardement.

lundi 12 octobre 2009

Les mots du père

Fixer sur le papier les mots d'une vie d'homme, c'est sauver un idiome, préserver une langue de la mort de son locuteur. Devoir de mémoire des mots du père. Ecrire sous la dictée du regard d'une photo, d'un souvenir, d'un visage dans la tête. Retrouver la voix. Reconstituer le chant des phonèmes. Ré-entendre la parole, le commandement de l'homme d'un même sang.

vendredi 9 octobre 2009

Les remblais de sable

Chaque génération fait son temps. Les classes d'âge se succèdent dans la monotonie et le fracas de l'histoire. Une génération s'identifie par ses souvenirs de jeunesse. Elle se désigne par sa mémoire partagée. A l'heure fatale d'être doublée par la vague renaissante, elle s'agrippe à des remblais de sable. La génération 68 s'est habituée au confort intellectuel et à "l'extase matérielle" des années de prospérité. Elle ne lâche pas facilement le pouvoir convoité à l'âge d'homme, défendu mordicus en fin de course. Elle est encordée à la société de consommation. Elle convertit sa vieillesse en privilège. La génération qui suit n'a pas d'histoire. C'est notre Amérique, ardente et fervente.
La bleusaille est riche de sa virginité mémorielle et du jaillissement spirituel de ses neurones. Elle est intouchée par les préjugés du passé. Elle voit l'avenir comme une page blanche à noircir, un récit d'aventure à écrire. La jeune classe qui sonne aux portes ne demande qu'à exercer des talents qu'elle ignore. Bien sûr, elle se cogne la tête, elle se heurte au mur d'une culture obsolète. Nos galopins d'enfants vont leur chemin, forcent les verrous du vieux monde avaricieux. Bientôt, les vieux tromblons grisonnants seront rangés des voitures. On interrompra à temps les métiers bégayés des plus chevronnés.
Autrement dit, la guerre des générations n'a même pas lieu d'être. Les seniors, pâles seigneurs d'un domaine qui ne leur est plus réservé, sont à un moment donné complètement dépassés par les événements. Ils sont distancés dès les premiers lacets, quand la pente d'une nouvelle intelligence des choses se raidit inexorablement. La génération qui vient fait table rase de l'ancien sans même y songer. Jean-Christophe Averty, le malicieux réalisateur des mémorables "Raisins verts", aimait à observer: "Les enfants, ça pousse. Les enfants, ça pousse par derrière". En effet, l'actuelle génération arc-boutée au passé, bardée de vérités surannées et de théories chevrotantes, est destinée à tomber à l'eau. Depuis que le monde est monde, il appartient à la bleusaille d'en construire un meilleur, délivré du malheur.

jeudi 8 octobre 2009

Les deux Mitterrand

J'ignore si "La mauvaise vie" relève d'un genre littéraire intimiste, du registre des confessions ou de l'exercice autobiographique. En revanche, je me souviens qu'un oncle de la famille, qu'on appelait précisément "Tonton", plagiait allègrement Rimbaud en prétendant vouloir "changer la vie". Rien de moins.
Le patronyme Mitterrand oblige à un même questionnement de la vie. C'est un nom qui sent le soufre, qui fleure les secrets de province, qui flirte avec l'interdit, qu'on associe même passagèrement à Vichy. Les deux Mitterrand des médias revendiquent le moment d'égarement, le renoncement assumé aux bons sentiments. Chez l'un et l'autre, on observe un même plaisir très bourgeois à s'encanailler, une même dilection de fils de famille à casser les codes de convenance.
C'est cette volonté d'épater le bourgeois, de sortir de l'académisme de leur classe, qui semble les conduire à pareilles frasques morales. On sait que la rupture plaît en haut lieu. Sarkozy n'est pas insensible à ces gentillettes rébellions de salon.

mercredi 7 octobre 2009

Rouge d'Italie

Je me souviens du rouge d'Italie, des ocres éclatants sur la pierre des palais, du Christ défait, déglingué, dégingandé de Cimabue, du somptueux Pontormo chiesa Santa Felicita. Je me souviens du rose maniériste d'une madone florentine, de l'incendie du ciel de la chapelle Brancacci, du regard arrêté de Filippino Lippi.
Je me souviens du rouge d'Italie, d'un sublime Chianti classico "Bindi Sergardi", d'une huile Balzini qui enchantait le goût du pain. Je me souviens d'un pieux verre d'Americano. Il était gai comme un trait tiré, rieur comme l'éphémère saveur du bonheur, terrestre comme la figure d'un père.

vendredi 2 octobre 2009

Têtu comme un cumul

Les militants socialistes votent, fraudent, bourrent les urnes. Ils sont contents du résultat. Pas de recomptage des bulletins en vue, ni de commission de récolement pour arbitrer. Les primaires seront ouvertes et les mandats politiques contingentés. Pourtant les barons locaux n'aiment pas les courants d'air et la limitation des privilèges. Les socialistes d'en haut n'apprécient guère la libre opinion de la base. Les féodaux du parti vont ruer dans les brancards. Bref, il n'y a pas de raison qu'on en finisse avec les guéguerres intestines. Les faits sont têtus comme un cumul.

jeudi 1 octobre 2009

Le sang d'une joggeuse

On ne peut pas accepter sans broncher qu'un individu, reconnu comme dangereux, ne soit pas placé hors d'état de nuire à la société. L'acte de récidive traduit la défaillance du système judiciaire. La future victime est jetée en pâture, soumise au caprice démoniaque du criminel, hâtivement libéré. Elle est offerte en sacrifice au dieu de l'irresponsabilité. Cette jeune femme qui courait dans les bois a été condamnée à mourir. Ligotée à un arbre puis étranglée, sans autre forme de jugement. La justice a son sang sur la conscience comme le meurtrier a son ADN sur ses doigts.
C'est pourquoi la société agressée est en droit de pousser un cri de révolte. Car la récidive d'un ancien détenu témoigne non seulement de la faillite des institutions judiciaires, mais révèle aussi l'insécurité publique qu'elles favorisent. A vrai dire, le droit des victimes ne semble pas peser bien lourd. Cet infléchissement de la balance, au détriment des victimes, appelle la raison judiciaire à se ressaisir. Il convient que l'équilibre soit restauré, que l'arbitraire de l'horreur ne soit pas risqué au mépris de la vie des futures proies. Il est légitime que la société se protège. Il est confié à la justice le soin de dire le droit et de châtier les coupables. Or le sang de pareil crime fait déborder le vase de l'injustice.