samedi 12 février 2022
Que voici de majesté !
Avec le temps, Léo the last, Léo chantant, on se sent floué, alors vraiment. Au cinéma, Fanny Ardant contrevient à la loi du tout s’en va, à la mémoire qui flanche quand on oublie les voix. Le timbre éraillé, une langueur dont longtemps j’ai ressenti l’inutile affectation, la tonalité patricienne, entre Anna Mouglalis et Delphine Seyrig.
Depuis hier, Fanny Ardant m’est révélée, malgré ses grands airs. Au cinéma de Saint Lazare, je me suis levé et j’ai marché. J’étais guéri d’une cécité. J’ai reconnu les faits. Une grande dame. Fatale. Sorte d’Ava Gardner nationale.
La brune tragédienne ne compte pas pour des prunes. Elle est impériale, ultime diva de cinéma, si joliment, précieusement décatie. Avec le temps, vient le génie de l’instant, l’évidente simplicité de la vérité.
Fanny Ardant est magnifique dans ses rides, moins raide aujourd’hui, toute fripée d’humanité, toute chiffonnée de féminité. Quand elle murmure des mots, les susurre à l’oreille du toubib, on voit sa beauté s’épanouir, sa délectable figure se détacher comme un fruit mûr. « Que voici de majesté ! » (Louis-Ferdinand Céline).
Bashung. Madame rêve. Osez Joséphine. D’une vieillesse, Fanny Ardant garde l’audace. Elle est folle d’élégance, frivole de justesse. A un âge, qui est le mien, l’actrice témoigne d’un destin, atteint la quintessence d’un art. Fanny Ardant est radieuse. Divinement cabossée. La plus belle pour aller danser, rouler dans une petite voiture. Avec le temps, Fanny Ardant s’est fanée, s’est fadée Parkinson. L’amour l’a sonnée, secouée comme un prunier. Dommage que la petite réalisatrice ne soit l’héritière ni de Truffaut ni d’Antonioni. Elle donne à l’actrice, qui se débrouille très bien toute seule, le rôle de sa vie.
dimanche 6 février 2022
Veni, Vitti, Vici
Quelque chose de flou, un bastringue que rien ne distingue, un cri qui troue l’apparence, colorie l’indifférence. Antonioni s’approprie le rouge, le désir qui surligne une lèvre, le désert qui dissuade un rêve.
D’instinct je me suis jeté sur le trottoir, l’ai foulé vers la salle destinée. Je voulais guérir d’une nostalgie, stopper une maladie, réserver l’après-midi. J’ai fendu la file du Champollion, rue des Ecoles. Ai dégringolé les marches, me suis glissé dans le noir. Veni, Vitti, Vici. Vaincu, convaincu, je le suis depuis l’incolore éblouissement d’une île de Sicile, le choc incantatoire de L’Avventura, le regard égaré de Claudia.
Deserto Rosso. Giuliana est une soeur siamoise de Claudia, le sosie, le portrait craché d’une sublime actrice de cinéma. Monica Vitti déambule dans une rue pâle, erre dans le vestibule, dérive dans un ciel industriel. Elle observe l’horreur des couleurs.
J’ai couru, suis entré bon dernier, attentif à écrabouiller l’orteil d’une rangée entière. Je voulais revoir le manteau de laine de Giuliana, la pelisse verte d’une bourgeoise désœuvrée d’Emilie-Romagne. Revoir une manière de s’emmitoufler, de se carrer dans un corps, de se camoufler pour manger le pain de l’ouvrier. C’est cette couleur froide qui enlumine un visage diaphane.
Mais le rouge ici désigne la déchetterie d’usine qui bariole, peinturlure la nature. J’aime le rouge artificiel d’Italie, la joie écarlate qui jaillit des veines, des volcans, des voyelles. J’aime le rouge incendiaire de la baraque d’une partie de plage d’hiver. Le goût d’Italie me vient de cette couleur de feu joyeux. Antonioni peint l’intériorité des figures dans l’espace et ses géométries. On lit dehors les sentiments des hommes comme dans un album d’images luxueuses. Le monde est une poubelle que l’artiste filme et fignole au pinceau. Monica Vitti s’extrait des brumes qui indifférencient le temps des cinémas qui passe. Un regard voilé, qui s’abandonne, sans domicile, comme un paradis perdu, outrageusement oublié.
L’artiste anticipe l’avenir. Pollution, blabla, mal de vivre. Inutile de s’appesantir.
jeudi 20 janvier 2022
Mieux qu'un monsieur
Je n’ai rien vu, presque rien de Gaspard Ulliel. Des bouts du film de Dolan, des bribes du texte d’un grand gars de la littérature française, Lagarce, des fragments du Saint Laurent de Bonello.
En revanche, j’ai vu une lumière blanche : une épiphanie, apparition, illumination eût écrit Rimbaud.
La beauté d’Ulliel est absolue, taillée dans le bleu du ciel, un flagrant délit plastique, le miroitement hypnotique d’un style. Gaspard a choisi la meilleure part.
La comédie, l’art dramatique. Le jeu est le plus vieux métier du monde, l’outil le plus précis de la clownerie des lundis, l’arme quotidienne de la bouffonnerie des hommes.
Flaubert veut jouer. Il gueule seul. Proust s’entiche de Réjane, de Sarah Bernardt, invente La Berma. L’auteur est un acteur raté, un grimacier empêché, un baladin dissuadé. Tous les scribes de la terre ont des démangeaisons d’histrion.
Ulliel est un comédien hors du temps, aux semelles de vent, l’ange exterminateur des modes braillardes, des actualités débraillées. Gaspard Ulliel s’est trompé d’époque.
Ni Téchiné, ni Dolan, ni Bonello ne sont Visconti. Gaspard Ulliel était l’Helmut Berger de sa génération.
Je pense au jeune Nicolas de Staël qui gribouille sur une carte postale à son père de fortune : « Non, je veux être mieux qu’un monsieur ».
La beauté de Gaspard intimide. D’autant qu’il l’ignore, qu’il la fragilise, la balaie d’un revers de main, la neutralise avec dédain. La gentillesse était sa coquetterie.
Le grand acteur est un funambule, un fildefériste qui risque une peau avec des mots. Il est en première ligne à chaque phrase, à mains nues, devant le gouffre, une meute d’inconnus. Il n’a pas de casque syndical, ni sur les scènes théâtrales, ni sur les domaines skiables.
Non, je n’en crois pas mon iPhone. La nouvelle carillonne à mon tympan. Je me sens plus petit, rétréci dans ma vie. Le monde s’est enlaidi. Sur la piste bleue gît un monsieur.
mercredi 19 janvier 2022
Le président des rûches
Blanquer se planque aux Baléares. Il est chevillé par la passion de l’ouvrage. Le travail du prince est un mythe savamment entretenu. Jouir du pouvoir. L’expression désigne l’addiction réelle des représentants de la nation.
A vrai dire, les ministres s’apparentent à des pantins, à des perroquets de plateau qui répètent les mots des autres. En pratique, ils savent lire couramment, réciter avec le ton les discours formatés des tâcherons d’administration.
Leur métier est d’être visible, de bien articuler les syllabes à la lumière, mais pas de besogner dans l’abstrait, de s’échiner dans l’obscurité, de rédiger des pages de dossiers illisibles.
Les ministres s’identifient à des acteurs très dirigés, très surveillés, dont le jeu stéréotypé est destiné à susciter des émotions frustes, imprimables dans l’opinion. Ils n’écrivent pas le scénario du film. Ils reproduisent les murmures des souffleurs.
Ibiza. Blanquer, peu importe où il soit. Parce que les petites mains qui confectionnent tous les quatre matins, elles, sont à Romorantin, dans des patelins sans soleil. Le ministre plastronne. Il parade. Il danse, au besoin, en vidéoconférence. Il se montre. A son avantage. Sous son meilleur profil. Il est l’histrion de la nation, par profession.
Mais l’ostentatoire n’est qu’un miroir de soi, peut tourner au déboire. Voyez Montebourg. Le président des rûches jette l’éponge. Il est rendu à ses abeilles.
samedi 15 janvier 2022
Heur et grande peur
Faut être juste. Quand j’ai entendu pour la première fois le nom du covid 19, j’ai pensé aussitôt à la cop 21. A son retour prématuré. Au tintouin sur les antennes. Aux chefs couronnés qui se congratulent sur la scène du grand Rex. J’étais alors parmi les gueux à regarder éberlué. Ces messieurs dames étaient trop bons de vouloir nous préserver, nous les vilains, des liftings ratés de la planète, des dérèglements systématiques des cinq sens des saisons de notre enfance.
Non, le covid 19, c’était une autre grande trouille avec les mêmes sourires stagnants des gens d’en haut, une récompense de taille si on travaillait tous bien à sauver notre peau. On sortait d’une culture des ronds points. On rentrait dans l’ère patibulaire des toubibs qui traquent le comorbide, des médecins de plateaux qui piègent les rôdeurs d’hôpitaux.
On apprenait qu’un barnum n’était pas réservé qu’aux seuls clowns blancs. Et puis, un beau jour, les variants se sont échappés du bocal. Mauricette s’est faite piquer. A disparu des radars après l’acte de bravoure. Elle avait sans doute forcé sur les doses.
Le blondinet du Touquet a relu tout Aristote dans la nuit. Le théâtreux et madame Trogneux se sont penchés sur la catharsis du vieux Grec. En est ressorti un concept de bon aloi traduit en patois : le stop and go. Heur et grande peur. La douche écossaise n’a pas fait son Brexit, demeure à l’heure française, en inspire les derniers rites. Reste du virus que c’est la pagaille dans les consignes de rue. Le masque doit-il être porté en position muselière ou en mode bavoir ? C’est le préfet qui sait.
jeudi 6 janvier 2022
Méchant comme une teigne
Emmerder le monde. Sur le post-it matinal d’Elysée, Aime-Manuel griffonne au stabilo la priorité du jour. TTU : très très urgent.
Sur les drapeaux d’Europe, bleu dé-Klein, Aime-Manuel épingle ses petits carrés jaunes autocollants. Nota bene d’emmerder le monde. Les drapeaux du chef de continent font cercle de raison autour d’un bureau oblong.
Aime-Manuel est méchant comme une teigne. Le « Notre Père » de « Notre Projet » respire la détestation des gueux de ronds-points et des insoucieux de vaccin. Le chemin de l’Ena l’a mené au quinquennat.
Aime-Manuel consulte un nombril, cherche querelle au petit peuple comme il invective un général d’active. Le prurit de chicanerie s’apparente à une maladie, se confond avec la stratégie du pays. Emmerder le monde, non pas parler au monde. L’emmerdeur, c’était son heure.
mercredi 22 décembre 2021
Joyeuse, folle Année !
« Ces années vont comme des folles ; la vie commence au pas, continue au trot et finit au galop » (Lettre du 30 mars 1964). Morand déconne avec Chardonne. Au fil de trois superbes tomes.
Douze à table sont les mois qui viennent. Les quatre saisons connaissent la chanson. L’année nouvelle a disposé les ronds de serviette. Elle souhaite qu’on la fête comme ses cadettes. Encore une fois.
Le pas se dérègle, le trot s’allonge. La fin de vie chipe au galop sa vitesse de prairie, l’allure d’oubli des mortelles chevauchées.
A mes amis, encore en vie, je prescris le galop d’essai, qui sied à l’apprenti, qui convient à l’ouvrier. C’est un souhait de compagnon de chantier.
Que deux mille vingt-deux soit un nombre chanceux, premier, à caractère entier, un numéro de loto, pas imaginaire, qui jongle avec les mots, un billet vainqueur qui octroie la beauté sur la terre !
Inscription à :
Articles (Atom)