dimanche 9 février 2025

Point barre

La joute exige une dureté, réclame une férocité, requiert une fausse immobilité des mêlées, joue contre joue. La masse musculaire d’Atonio ploie sous la pression d’Albion, plus guerrière dans l’action, suivant une loi de pesanteur pour laquelle s’agenouille un hiératique soldat de plaine à barbe égyptienne. Trop d’en-avant dans le jeu. Comme trop d’en même temps dans le pays. Approximations réciproques d’une nation. Jalibert ne plaque pas. Jalibert se donne entier à son art, à sa virtuosité. Mais s’abandonne aussi dans l’esquive, s’abîme en sa prière. Dupont s’étourdit de ses propres chandelles, systématise ses transversales à l’ailier. Penaud erre en géant sur la pelouse à la recherche de champ où précipiter un galop, un galop d’essai. Ramos est écroulé d’une pichenette par le marqueur anglais de la défaite. On saute en touche, on se rate en passes. Dans une composition française, la maladresse est une faute de la pire espèce. A Twickenham, l’âme a déserté nos hommes. Il faut varier les figures et cesser, sacré bonsoir, ces transmissions foireuses, ces cloches pathétiques à l’ailier, qui ne révèlent rien d’autre qu’un désarroi criant du jeu de mains. Point barre.

vendredi 7 février 2025

L'IA

Lis A. Aragon, Aristote, Aymé. Lis A. Lire les auteurs dont le patronyme commence par la première lettre de l’alphabet. Lis A, pas de plan B. Lis A, c’est le b.a.-ba, sinon patatras ! Lis A. L’Elsa de Louis. Lire « Les yeux d’Elsa ». Lis A, la logique d’Aristote. A et non-A ne sont pas compatibles. Le chaotique « en même temps » de Macron est un monstre de déraison. Lis A, Marcel Aymé et son délectable « Confort intellectuel ». Bref, il y a « Lis A » et il y « l’IA » : cela fait deux. Lis A s’écrit l’IA quand l’intelligence échappe à sa nature. L’IA est une fille d’artifice, assez bonne fille du reste, que l’on martèle à nos oreilles, à toute heure, comme une vieille cloche d’église, comme le tocsin insistant d’un nouveau baratin d’élite.

mardi 4 février 2025

Dupré aurait cent ans

« Cher Guy Dupré, J'ai la nostalgie d'un temps où la flânerie s'armait d'un fusil, où l'homme était posté derrière un rectangle de paille, où les ciels d'octobre étaient la patrie des perdrix. De retour de Sicile, j'empoigne la gibecière postale qui empaquète les deux petites bêtes. De retour de Sicile, j'éconduis les enveloppes sans désir. J'extrais vos deux ouvrages à mots jumeaux. Dédicaces attentionnées. "Madérisée" est le mot juste. La cérémonie du vin de Porto ne remue pas que des mots. Elle exhorte à la mémoire d'un père. » L’art épistolaire est une école de virtuosité. Frivole est sa manière. Mais Nimier est du genre buissonnier. Il donne du fil à retordre au vieil ambassadeur. Morand s’amourache du jeune homme à panache. Roger Nimier songeait à acheter « une panoplie d’orphelin » à son Monsieur du Pimpin, l’autre Martin. À la hâte sur l’asphalte, l’Aston calcina deux corps. Nimier, trente-sept ans, Sunsiaré, dix de moins. Sunsiaré de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, l’auteur des Fiancées sont Froides, cinquante ans après. Le facteur a fléché le petit cube de métal où gisent mes correspondances. Ce matin, une enveloppe rectangulaire, couleur des sables, m’était destiné. J’ai glissé, sans me couper, ma main pour la saisir. Je l’ai accueillie avec cérémonie car elle me désignait pour la décacheter. Je connais ce livre, me souviens du titre, gravé dans ma tête depuis si longtemps, me garde de l’approcher de trop près. Je sais que la vérité d’une phrase peut éclater au visage. J’identifie son signataire, Guy Dupré, au dernier diamantaire de la place, au dernier grand écrivain des mystères de la terre. La littérature n’a pas d’autre but que de fracturer les domiciles. Un soir, d’une traite, elle a reposé entre mes doigts comme une perdrix solitaire dont la plume brûle encore. Publié en 1954, ce livre somptueux – Les Fiancées sont Froides – donne la fièvre. C’est un récit de cruelle splendeur qui exige la pleine santé du texte. Il embringue le lecteur dans la ronde empourprée des vertiges. Ces années passées, l’auteur s’était terré dans un souverain mutisme. À l’abri des lumières. Or voici, dans le silence, une langue qui sonne. La récréation est finie. La réédition de ce petit livre inaugural empoigne la gorge. Inutile de se disperser dans le culte mélancolique de fausses gloires. Devant l’œuvre accomplie par Guy Dupré, il faudra bien un jour se décoiffer. Devant pareille beauté, les choses se décantent : les petits romanciers saisonniers sont priés de décamper. Avec Les Fiancées sont Froides, Dupré préempte l’avenir. Il nous fait signe de le lire. Ce matin, une enveloppe rectangulaire, couleur des sables, m'était destiné. Je l'ai accueillie avec cérémonie car elle me désignait pour la décacheter. Je connais ce livre, me souviens du titre, gravé dans ma tête depuis si longtemps, me garde de l'approcher de trop près. Je sais que la vérité d'une phrase peut éclater au visage. J'identifie son signataire, Guy Dupré, au dernier diamantaire de la place, au dernier grand écrivain des mystères de la terre. La littérature n'a pas d'autre but que de fracturer les domiciles. Un soir, d'une traite, elle a reposé entre mes doigts comme une perdrix solitaire dont la plume brûle encore. Les fiancées, que j'ai vues grandes, et rouges sur les joues, se plantent dans ma chair à l'heure où je cherche un visage sur une photographie décatie. Mon temps, ces jours-ci, est haché en menues besognes. Quand j'étais petit, je lisais Un Beau Ténébreux. Tout haut. Maintenant, l'habitude m'est venue de parler tout bas. La récréation est finie. Le sublime petit livre m'a empoigné la gorge. Gracq admirait Dupré. Je l’ai connu sur le tard. Je revois son regard à l’évocation d’une même sonorité princière. Sunsiaré de Larcône mouillait encore les yeux de Guy Dupré, cinquante ans après. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux », livre paru en juin 2018 chez 5 Sens Editions. On le trouve à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

lundi 3 février 2025

Grands remplacements

Je mesure combien j’ai été nourri, construit, déconstruit par la nouveauté galopante. Le nouveau, l’impérissable nouveau, surgi dans mon dos, se gravait chaque été dans le marbre d’une saison. Voyons voir. J’ai connu l’antique nouveau franc, cette vieille roupie, ce vieux kopeck, dont le fier euro descend en cachette, sans le dire, comme d’une vulgaire monnaie de singe. J’ai connu les nouveaux philosophes, les inénarrables duettistes qui périmèrent les scrogneugneux d’hier. Glucksmann liquida Henri Bergson. BHL ne fit qu’une bouchée de Blaise Pascal. Même d’antiques croûtons comme Platon débarrassèrent le plancher des plateaux de télévision. J’ai connu le Beaujolais Nouveau. Qui se crache en novembre, sans besoin d’étiquette, comme une authentique piquette.Je connais aujourd'hui "La nouvelle France" de Mélenchon. Egarée dans ses bigarrures. Bref, j’en ai connu des grands remplacements. Sacré bonsoir ! Les ai-je pour autant dans le sang ? Je suis, je reste l’enfant d’un pays de paysans, d’un pays de penseurs hors du temps, de génies francs, dont à l’école je citais les hauts faits dans mes compositions françaises.

samedi 1 février 2025

Il y a trois ans : la mort de Monica Vitti

Oui, Antonioni. Le Pontormo du cinéma. Un luxe maniériste, une posture d’artiste qui peint les ciels dans leur perfection formelle, échafaude une parure, imagine une griffe, la fait luire au jour comme une deuxième nature. Quelque chose de flou, un bastringue que rien ne distingue, un cri qui troue l’apparence, colorie l’indifférence. Antonioni s’approprie le rouge, le désir qui surligne une lèvre, le désert qui dissuade un rêve. D’instinct je me suis jeté sur le trottoir, l’ai foulé vers la salle destinée. Je voulais guérir d’une nostalgie, stopper une maladie, réserver l’après-midi. J’ai fendu la file du Champollion, rue des Ecoles. Ai dégringolé les marches, me suis glissé dans le noir. Veni, Vitti, Vici. Vaincu, convaincu, je le suis depuis l’incolore éblouissement d’une île de Sicile, le choc incantatoire de L’Avventura, le regard égaré de Claudia. Deserto Rosso. Giuliana est une soeur siamoise de Claudia, le sosie, le portrait craché d’une sublime actrice de cinéma. Monica Vitti déambule dans une rue pâle, erre dans le vestibule, dérive dans un ciel industriel. Elle observe l’horreur des couleurs. J’ai couru, suis entré bon dernier, attentif à écrabouiller l’orteil d’une rangée entière. Je voulais revoir le manteau de laine de Giuliana, la pelisse verte d’une bourgeoise désœuvrée d’Emilie-Romagne. Revoir une manière de s’emmitoufler, de se carrer dans un corps, de se camoufler pour manger le pain de l’ouvrier. C’est cette couleur froide qui enlumine un visage diaphane. Mais le rouge ici désigne la déchetterie d’usine qui bariole, peinturlure la nature. J’aime le rouge artificiel d’Italie, la joie écarlate qui jaillit des veines, des volcans, des voyelles. J’aime le rouge incendiaire de la baraque d’une partie de plage d’hiver. Le goût d’Italie me vient de cette couleur de feu joyeux. Antonioni peint l’intériorité des figures dans l’espace et ses géométries. On lit dehors les sentiments des hommes comme dans un album d’images luxueuses. Le monde est une poubelle que l’artiste filme et fignole au pinceau. Monica Vitti s’extrait des brumes qui indifférencient le temps des cinémas qui passe. Un regard voilé, qui s’abandonne, sans domicile, comme un paradis perdu, outrageusement oublié. L’artiste anticipe l’avenir. Pollution, blabla, mal de vivre. Inutile de s’appesantir. Ce texte est extrait de « Fragments d’un sentiment » (5 Sens Editions, 2023, pages 71/72). L’ouvrage est commercialisé sur le site de l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/536-fragments-d-un-sentiment.html

lundi 6 janvier 2025

Il y a quinze ans, mourait Philippe Séguin

Il est mort du cœur. Loin de la gloire de l’été, des lumières de l’enfance, dans la grisaille d’un hiver comme les autres, sous un ciel au front bas. Chirac ne craint personne sauf Séguin, un diable d’homme. Sur les photos des journaux, c’est Séguin qui impose le respect, sa légitimité, qui pose en majesté sa nature de président. La souveraineté est un mot qui d’abord sied à sa personne. À ses basques, Chirac candidat lui serre la main en valet de pied, au mieux en lieutenant. La relation Séguin/Chirac n’est pourtant médiocre, ni pour l’un, ni pour l’autre. Criblé de mille fêlures, Chirac se tasse auprès du volcanique et trop humain mangeur de pizzas. Séguin, bardé de tous ses doutes, use avec coquetterie de sa chatoyante intelligence, admire l’énergie militaire, la persévérance laborieuse du soldat Chirac. Ils se sentaient, l’un et l’autre, à demeure au milieu du peuple. On ne sait pourquoi ils se sont choisis, peut-être pour une commune réserve à l’endroit de l’arrivisme bourgeois. Le peuple était touché par la pudeur, le secret, le panache des deux. Séguin n’avait besoin ni de droiture revendiquée, ni de bottes pour arpenter le terrain politique. C’était un chêne, d’essence méditerranéenne, né dans la probité, en pleine tragédie. Il était enraciné dans l’Histoire de France. Séguin a exercé un charme fou plutôt qu’un vrai pouvoir sur les foules. Chirac lui doit une fière chandelle, celle d’avoir décroché la timbale élyséenne. Car Séguin a donné de l’épaisseur intellectuelle, de l’éloquence enfiévrée, de la gravité sémantique aux pâles idées d’une droite boutiquière. Mais Séguin a commis l’irréparable. Séguin est mort à son destin le jour où il a rendu son tablier du parti post-gaulliste. Il a envoyé valdinguer dans les décors les ors de la République. Les mots de sa démission n’étaient pas les bons. Il signifiait son congé au sacrifice de ses jours à la vie politique, qu’elle soit grandiose ou mesquine, au nom de la préservation intime de ses jardins secrets. Ce jour-là, il a trahi Churchill, il a renié de Gaulle. Il ne s’est pas donné tout entier à la France. Il a privilégié une sorte de pacte avec lui-même qui ne pouvait le satisfaire. La République perdait un talent d’exception. Ce grand professionnel, si sourcilleux du travail bien fait, a bâclé sa sortie. Séguin a fini ses jours parmi les grands esprits aux dons inaboutis. Avec lui disparaît une vraie rareté sur l’échiquier politique. La mort de Séguin n’efface pas seulement « une certaine idée de la France », revue et corrigée pour les temps modernes, mais élimine un style, un caractère, un tempérament apte à dessiner le chemin d’une grandeur à réinventer. Avec un orgueil sans mesure et une simplicité bénédictine, il sut se conduire en seigneur d’une République d’Epinal. Durant l’une de ces festivités obligatoires, dans les fastes de l’hôtel de Lassay, je me souviens de sa noble stature, de sa digne rondeur, postée dans l’embrasure de la porte d’entrée, saluant un à un, jusqu’au dernier des convives, à l’issue du raout. Le style, s’il répugne assez souvent à embellir l’action des puissants, définit ici à coup sûr l’homme dans sa vérité. Séguin possédait pleinement la manière d’être maître de son art. C’est pourquoi sa désertion de la présidence de parti reste une faute impardonnable, se ressent comme un chagrin qui fait bifurquer un destin. Elle laisse une profonde estafilade, une large cicatrice sur le front de la nation. Par la véhémence de ses fulgurances, entre saintes colères et tristes tendresses, Philippe Séguin appartient au cercle des hommes seuls, sans tiédeur, qui sont le sel de la terre. Il était, comme on dit, haut en couleur. Car toujours à la hauteur voulue, vert de fureur, familier des colères noires, sans crainte aucune de quoi que ce soit de médiocre, sans peur bleue, mais les joues rouges, écarlates, d’un homme embarrassé par sa timidité. Il nous manque pour lever les yeux, relever le niveau de la chefferie ordinaire. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, juin 2018, pages 46/48). L’ouvrage peut être commandé chez l’éditeur à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

mercredi 1 janvier 2025

Un rictus enfantin de requin

Il a sa part dans la débâcle. Moi j’en ai ma claque du loustic. L’éternel stagiaire de l’Elysée nous admoneste, fait les gros yeux, nous regarde en face, nous associe au ratage de Bibi, partage en seigneur un loupé grandiose, offre aux gueux l’insuccès d’un bon vouloir : donner la parole au peuple infantile, telle une reine jetant des brioches aux manants. A l’école, l’insolent élève objecterait au maître qui le chapitre pour son zéro à la dictée : « J’ai ma part ». Mais avec un regard circulaire sur la classe entière. Le garnement du Nouvel An collectivise ses insuffisances d’orthographe et d’orthodoxe gouvernance en désignant du menton ses voisins de pupitre. J’ai horreur des ses frôlements d’épiderme, de son obsession tactile qui va de la caresse d’une pommette à la bourrade dans le dos. On n’a pas fait la guerre ensemble. Pas encore. Dans un naufrage, dans le canot de sauvetage, je l’imagine forcer sur les papouilles qui mouillent, s’égarer à des privautés, des gestes déplacés, et basculer un compagnon d’infortune dans l’eau d’une vague avec un rictus enfantin de requin. Il nous embringue durablement dans la connerie, se défausse de ses lubies et gamineries, jouit d’un nombril de petit dandy, de petit marquis de Picardie. Bref, il pousse un peuple, une nation, à la flotte, saute à pieds joints sur le radeau, droit dans ses petites bottes, et sans destination. Nous sommes floués par l’homme flou. Il se fiche comme d’une guigne de nos sous, les disperse aux quatre vents, s’assied sur le tas de dettes qu’il appelle l’Etat, l’évacue même du petit boniment de la Saint Sylvestre. Il soigne une fantaisie, un bon plaisir de joueur de pipo, invite les gueux à « trancher », non pas sa tête mais sur du papier à en-tête, comme dans un grand débat, à renouer avec le temps béni de la parole décomplexée, inutile et bien rangée des cahiers de doléances sans enjeu ni consistance. Inutile d’essayer de patoiser le béarnais. Rien ne nous interdit en cette nouvelle année, s’il est vrai que 2025 est le carré de 45, de passer d’un à deux présidents et de quatre à cinq premiers ministres en douze mois. « Impossible n’est pas français ! » claironne l’excellente altesse franchouillarde.