samedi 27 février 2016

La mauvaise chute

Les paysans ne sont pas des migrants. Les migrants ne sont pas des mendiants. Les mendiants ne sont pas des chenapans. Le déclassement hante une humanité qui à elle-même se ment. La colère naît d'être mal nommé. L'exaspération est l'expression d'une déconsidération.
Notre nation se dégrade, abdique une volonté, s'égare sans but, ni cap, ni capitaine. Une nation sans but craint la mauvaise chute. La peur de tomber définit le malaise d'une société. La vieille nation redoute de finir sur la paille.
Dans les palais présidentiels, on regarde le ciel électoral. La tambouille est l'horizon, la stratégie d'évitement des bouillons. Le quinquennat se borne à satisfaire les fonctionnaires d'Etat. On jette l'argent par les fenêtres des ministères. On vote la loi de l'entre soi.
Les postures guerrières et les attitudes de matamore policières masquent une faillite économique, un déficit monétaire. La dégringolade d'une nation interdit la rigolade de l'inaction.
L'héritière n'est plus riche que de ses avoirs testamentaires. Elle se recroqueville sur ses précieux biens de famille. Elle s'arc-boute ainsi au seul but de garder un fauteuil emblématique au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Une nation sans joie est aux abois. Elle marchande ses soldats contre des comptes non soldés. Elle a déserté le champ économique. Elle fait la fière sur les théâtres militaires. L'armée, même dépréciée, est désormais une monnaie de substitution, de la roupie de sansonnet pour temps de trahison.



vendredi 26 février 2016

Que voici de majesté !

Je me remémore l'exclamation de l'auteur de Rigodon, la voix fine de Céline au spectacle fastueux de la Néva: Que voici de majesté !
Le ciel coulisse vers le bleu lisse. J'attends que les choses se décantent. L'embrouillamini sied à la perspective Nevski. La neige pétille sur la joue d'une façade.
Dostoïevski ne s'endort qu'à l'aurore, se plie à la même règle que Proust, se lève dans la dernière moitié du jour, froisse les draps de l'étroit canapé qui coudoie sa table de travail.
Crime et Châtiment juxtapose deux récits impossibles, risque un somptueux décousu, pratique l'enfantine obsession du collage. La cambuse ne paie pas de mine. Une fraîche Pétersbourgeoise nous y mène comme on obéit aux us et coutumes d'une sainte patrie.
La ville impériale est bordée des eaux glaciales, sentinelle du golfe de Finlande. La Néva se toise du pont de la Trinité.
Vladimir de Staël von Holstein est le dernier général de la forteresse Pierre et Paul. Il a servi dans les rangs des cosaques et des ulhans de la garde du tsar. Il périra en Pologne. L'art de Nicolas de Staël relève d'une bagarre, s'interdit le hasard.
Le fleuve étend sa nonchalante ivresse, fendillé de glace, hachuré d'oiseaux. Je déterrerai sur Internet les lignes de Céline, Bagatelles pour un massacre, l'odieux pamphlet où il psalmodie la beauté de Russie.
Je suis saisi par une voix rauque, plus que rocailleuse, le feulement de fauve d'un fatal parler, butant sur l'alphabet comme une arme enrayée. Le corps maîtrise un délabrement sonore, stoppe l'éboulis, une chute de pierres langagières, des fragments entiers, l'arrachement d'un bloc de sens Kalachnikov.
Musée russe: les salles sont tapissées des icônes de Roublev et Dionisi, des imagiers monastiques de l'école de Novgorod. J'aime la colère des couleurs, le bonheur intérieur de l'image peinte.

lundi 15 février 2016

Les filles de Koltès

La femme est une hyène à cause d'une courbure, d'un dos cassé qui la propulse dans la nature. Dans la nuit d'une scène, contre un mur marbré de rouge, les deux espiègles s'illusionnent, se collisionnent, se sauvent comme de vraies lionnes.
La mort se rebiffe aux Bouffes du Nord. L'endimanchement me démange. Je suis casqué car une littérature exige l'armure. Je coiffe une casquette d'où transite un texte.
Les filles de Koltès se ruent sur une chair, déchiquètent un son mieux que des garçons. Elles se dépouillent du je, d'un faux air musculaire, de l'identité récitée. Elles s'approprient le cri, incorporent une rigueur d'écrit, scandent un phrasé dentelé d'incendie.
J'ai guetté l'instant précis où Audrey Bonnet saisit la diagonale du récit, ponctue d'une animale brusquerie le désert des mots ressentis, cravache un pieux désir comme on s'éclaire à la torche.
C'est un texte d'il y a trente ans que rien n'écaille, un vaillant fragment qui résiste au temps.
Dans la solitude des champs de coton exige une diction, dissuade l'histrion. Koltès trimbale un christique dealer jusqu'au bout d'une terreur. Il rédige une sorte de parabole du mauvais client. Pas de bouteille à la mer, ni océan. Il la jette au néant.

lundi 25 janvier 2016

C'est un ordre

C'est une grande bringue aux yeux de bête fardés. C'est une artiste triste, l'ouvrière perfectionniste d'une faille ouverte, la vibrante guerrière d'une terreur de chair.
Elle suit la loi d'une voix, les tourments du chant, le grandiose émoi d'opéra. La Callas est un ciel, une nécessité brève d'oiseau qui passe. Elle se sauve, s'expatrie dans un cri, crée l'instant sonore qui défie la mort.
J'ai veillé tard pour la voir. Longue, anorexique, sacrifice de la musique. Maria Callas me hisse en sa principauté, possédée par la beauté. C'est un ordre.

mardi 19 janvier 2016

Nier Tournier

Colette aimait le mot presbytère. Tournier habitait ce genre de demeure où l’on meurt. Son jardin de curé laissait à Tournier le soin d’errer, d’être un roi à l’étroit. J’ai le souvenir d’une littérature de célibataire, un peu scoute et culottes courtes. J’ai le sentiment d’une prose un peu perverse. 
A dire vrai, j’ai la sensation d’un crayonné qui troue le papier. Tournier dessine des majuscules au dos des mots frivoles. C’est un artiste germanophile.
De lui, je tiens que Deleuze nageait incertain, à contre penchant des vagues, la tête hors de l’eau, de manière ostentatoire, fuyant l’élément. 
J’ai lu Vendredi à cause de beaucoup de bruit. A quoi bon nier Tournier. Il s’est entiché du vieux Flaubert. Il affectionnait Félicité. Pour pareille amitié, il est acquitté.

mardi 5 janvier 2016

Fils de Raimu


Galabru n’était pas un malappris. Mais bien épris de fantaisie. Galabru est le fils aîné, le fils aimé de Raimu. Galabru n’avait rien d’une brute. Il est l’Amiral, loufoque pilote de ligne de Soigne ta droite, grand bonhomme du poème de Godard.
Il traîne une trogne à gaudriole sur les chemins frivoles des trop faciles besognes. Il fait du rire une joie rare, d’une disgrâce de faciès une finesse, une justesse, une délicatesse.
Sa gueule cassée était boxée de paradoxes. Galabru était cousu dans de l’étoffe d’humanité. L’homme au timbre d’ogre a fait un tour de piste d’artiste. Galabru laisse la scène nue. L’art de Galabru ne court pas les rues. Il est temps désormais que le peuple esclaffé se décoiffe.

jeudi 31 décembre 2015

Un maître à vieillir


L’année se ferme comme un établissement condamné. L’habitation n’est plus à la norme des hommes. Elle s’étiole, exige qu’on la rafistole. L’étourdi qui cogne à la porte est éconduit sans escorte.
Pourquoi la musique ? Le bouquin d’Etienne Wolff m’a laissé davantage orphelin, sans rien dévoiler d’un ciel étoilé. La gloire sonore est le trou noir d’un corps. J’ai fait taire en moi les tourments d’un mystère.
Je crois en la phrase parfaite. Je lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait Morand, un autre dur à cuire. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée. « On ose à peine lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée » (Avant-propos de Femmes, Albin Michel, 1961).
Mitterrand aura cent ans. Les fils de vinaigriers jalousent les fils de cognacquiers. Derrière l’envie ou l’élémentaire sociologie, perçait une adoration de rejeton d’un même canton.
Mais demain, sacré bonsoir, qu’on m’épargne les éloges d’un triste sire, d’un homme médiocre, d’une arsouille, comme seul l’étiqueta le grand Ponge. Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher. Lentement, illico presto.