jeudi 27 septembre 2018

Des désirs et des droits


Avoir un enfant. L’expression est contrariante, d’humeur peu riante. Car on ne possède pas une vie humaine, pas même la sienne. Je suis, mais je ne m’appartiens pas. Vouloir aimer un enfant, l’élever intellectuellement, contribuer à son éclat personnel, rien de tout cela ne renvoie à un titre de propriété.
La vie, a fortiori celle d’autrui, nous échappe. Elle résultait jadis d’un moment d’égarement. La biologie a rationalisé l’enfantement. La raison change une fatalité en projet.
Or aujourd’hui le désir d’enfant, revendiqué à tout prix, jouit d’une légitimité de société. Il incombe au droit d’en fixer le cadre, de rétablir une égalité, d’élargir le champ d’une liberté. La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui feront l’objet de lois appropriées. Le droit civilise une envie, apprivoise un désir, l’insère dans un code.
Dans un cas de figure, il n’y a pas de père nourricier mais simplement deux mères, dont l’une est évacuée du process de maternité. Dans l’autre, on dispose de deux pères nourriciers, dont l’un seulement est le géniteur de sang. Dans les deux hypothèses,  l’insémination ou la gestation extérieures au couple du désir soulèvent la question de la marchandisation du corps. Mais on sait bien que pareille monétisation s’inscrit dans une réalité aussi vieille que la prostitution.
Le désir d’enfant pour tous est identifié à une norme sociétale. Il est réclamé au nom d’une égalité entravée, empêchée par l’orientation sexuelle du couple. Le droit la restaure sans pour autant s’interroger sur le sentiment de l’enfant du désir. Et pour cause : un bout de chair embryonnaire ne peut vouloir ou pas un « vrai » père ou une « vraie » mère autres qu’exclusivement biologiques. L’étymologie nous enseigne que l’enfant, l’infans latin, c’est précisément celui qui ne parle pas.
Le désir d’enfant pour tous sera satisfait par la société. C’est un fait, ce sera un droit. Le concept de famille à la papa ne volera pas en éclats : il s’élargira.

Mais il est d’autres désirs dans la société qui méritent une traduction juridique, qui exigent un droit, qui appellent une loi.
Le désir de plusieurs époux ou épouses n’est pas écouté par la société. Il fait même l’objet de railleries. Son rejet est le reflet du tabou de la société.
Pourquoi diable, en matière de désir, de sentiment, de mariage, se limiter au couple, au tandem adamique, au numéro de duettistes d’un homme et d’une femme ? Au nom de quoi  maintient-on dans l’illégalité la polygynie et la polyandrie ?
Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain, d’ethnie zoulou, destitué au début de l’année, est polygame. Il est marié à quatre femmes officielles, à trois autres officieuses. Dans l’Antiquité, la population de Sparte pratiquait la polygamie. Pierre Clastres, le grand anthropologue, l’a observée au siècle dernier au Paraguay chez les Indiens Guayaki. Les Mormons ne l’ont supprimée qu’en 1889. Au Sénégal, elle est inscrite dans la loi. Elle est évoquée dans l’Ancien Testament. L’Islam limite à quatre le nombre d’épouses.
Le sujet importe car il y a des hommes et des femmes en France qui souhaiteraient avoir plusieurs époux ou plusieurs épouses. Les mœurs évoluent, la morale – c’est à dire la manière de se conduire – aussi. Mais de quoi s’agit-il au juste quand on parle de morale ?
Dans  Le Gaucher Boiteux  (Le Pommier, 2015), Michel Serres réquisitionne le mythe de Gygès, texte qui figure au début du deuxième livre de La République de Platon. L’invisibilité du berger, provoquée par l’anneau introduit à son doigt, lui confère tous les pouvoirs d’un roi basculant dans la tyrannie : il vole, il pille, il viole, il amasse des monceaux d’or.
« Nul ne suit les lois morales s’il échappe à toute surveillance. Preuve que la visibilité, que la présence collective concrétisent la morale ; ôtez-les, vous créez des bandits. »
Le philosophe illustre sa démonstration par l’anonymat sur Internet. Pareille invisibilité fabrique un lieu d’immoralité. Il en va de même pour l’inséminateur X ou la gestatrice Y sans identité. Il n’est d’autre morale que la conformité au bon droit, qui exige la pleine lumière et répugne au secret. Faute de quoi, dans le noir hors-la-loi, dans une nuit d’impunité, toutes les inconduites de Gygès fleurissent comme de mauvaises herbes pour l’espèce.


samedi 22 septembre 2018

Le paltoquet du Touquet

L’hôte de l’Elysée n’a pas capitalisé la gloire d’été de Mbappé. Patatras, on démasqua les pugilats de Benalla. Hulot, Flessel, Collomb brûlèrent la politesse de l’altesse. Bern grogna, à l’instar des vieux paresseux matraqués par le fisc.
Jupiter s’est retranché dans son bunker. Les godillots du monarque évoquent une cour de roi Pétaud, saisie par la pétoche. Tout marche de travers. Au lieu de presser la touche « go »,  le président appuie sur le bouton « ego ».
La satisfaction de soi discrédite un roi. Le peuple se sent à l’étroit dans le nombril en joie du souverain. La certitude est une mauvaise habitude, une sorte d’onanisme dans la jouissance du pouvoir. L’ostentatoire contentement du président crée l’abîme avec les gens qui triment. Quand il sourit, exhibe ses dents de requin, Macron est loin. Pour pareil histrion, la compassion est un mauvais rôle de composition. Certes, l’homme sans empathie est sorti de la cuisse de Jupiter. Le selfie témoigne qu’il se suffit.
Le godelureau rappelle Giscard hobereau. Le chuintant Auvergnat se plaisait à la généalogie familiale, se targuait d’une vague descendance royale. L’un et l’autre font don de leur incomparable intelligence à la nation pas assez reconnaissante. Le merci du pays manque de spontanéité.
Mais l’homme de la pataugeoire varoise n’est qu’une moitié de Giscard. Le fringant Valy possédait un pedigree de « tiers instruit » quand le petit Manu ne connaît pas plus la science de son temps que l’homme de la rue. Giscard alliait Polytechnique à l’énarchie poétique. Macron n’est que sa partie littéraire, un phraseur d’amphithéâtre. Giscard comprenait la langue des ingénieurs. Macron n’en retient que le vocabulaire de start-up.
Je ne pense pas que Giscard ait été un grand président pour autant. Je considère seulement que le paltoquet du Touquet, dans un même registre psychologique - un jeunisme et un narcissisme -  et idéologique - « le libéralisme avancé » -  n’arrive pas à la cheville du centenaire de Chamalières.

samedi 18 août 2018

In memoriam


Kofi Annan avait un port de seigneur, une noblesse d’allure. Je ne sais pas très bien au juste ce que fait, exécute, accomplit un secrétaire général des Nations Unies. Mais je subodore qu’il dort mal. Car le monde est possédé par le diable, ravagé par le démon d’une violence animale. J’imagine que la paix était sa grande querelle, son grand dessein. Il est mort à l’âge de De Gaulle. Il avait de la gueule. Chirac, je crois, l’aimait bien. Cela me suffit pour définir l’homme comme une belle personne. Je salue sa mémoire.

samedi 11 août 2018

Mémoire

Lui, il est absent. Il est là mais fugitivement. Il traîne. Il est là tout le temps, ailleurs. A sa place. Il lit des ouvrages, des illustrés, à des kilomètres de là. Il ne bouge pas d’un pouce. Il vit retranché sous les quolibets des princes d’activité. Il est sourd. Il est sourd aux mille bonjours. Il est sourd comme un pot. Il prie au plus près des lettres d’alphabet. Il lit n’importe quoi, sans foi ni loi. Il n’est jamais rassasié. Il ne lève pas le nez. Il s’instruit, incorpore autant qu’il ignore. On ne sait s’il s’aguerrit. Il pouffe. Il rit. Il n’est jamais guéri. Il se plaît ici. Le paradis est un parti pris. Il oublie ce qu’il lit. Mais il suffit d’un détail pour que renaisse l’entaille d’une phrase. Il se souvient de tout. On lui raconte des salades comme s’il était malade. Il ne bouge pas d’un iota. Il préfère ne pas. Il se cramponne au manuel. Il ne le lâche pas des mains. Il n’a besoin de personne. Il s’est sauvé tout seul. Il n’était pas remédiable. Diable, non.

mercredi 20 juin 2018

Le paradis

Elle était centenaire dans ses artères. Aujourd’hui elle aurait cent ans pour de vrai. Depuis trois étés, elle est enfouie dans l’herbe échevelée. Elle se décompose dans une terre de cimetière, à gauche du portail à peinture écaillée, entre le muret mal ravaudé et le petit porche de la chapelle.
Elle aime le ciel bleu, le soleil qui pétille dans ses yeux. A la bonne saison, elle s’installe derrière sa maison. Elle stoppe la hâte dans un transat. Elle parle toute seule. Elle m’exhorte à franchir la porte. « Vous devriez venir, c’est le paradis ! »

lundi 18 juin 2018

L'amitié de mes genoux


Quels sont les auteurs qui sont vivants quand vous écrivez ?
Je dispose d’un carré magique. Il est constitué de Flaubert, Proust, Mandiargues et Chardonne. On les reconnaît à leur grain de beauté. Ils sont intouchables. Si jamais je perdais leurs traces, si jamais j’égarais leurs pages, je demanderais à Rousseau ou Chateaubriand de me venir en aide, de me prêter main forte. Ces grands écrivains sont mes anges gardiens. Rien qu’à les évoquer, je me sens protégé.
Comment pourriez-vous définir L’Amitié de mes Genoux, votre dernier ouvrage ?
L’Amitié de mes Genoux, c’est la suite ou le début de ce que j’ai fait antérieurement, je ne sais plus. Je l’ai écrit dans le même esprit que La Cicatrice du Brave.  Je crois que L’Amitié est la fille de La Cicatrice. C’est un bloc de style. C’est un travail de ciselure qui s’applique à ma figure. « Je me noie dans un verre de moi ».
Qui sont les protagonistes de L’Amitié de mes Genoux ?
Il y a des figures nouvelles que j’ai croisées dans ma vie et dont je n’avais jamais parlé jusqu’à présent : Le grand Hal, Farsa, par exemple. Il y a des personnages historiques que j’exalte : Chirac, Séguin, de Gaulle. Il y en a beaucoup d’autres qui traversent le récit, en  coup de vent, qui sont des éblouissements, des visions éphémères. L’Amitié de mes Genoux regorge de petits cailloux qui balisent un style, jalonnent un sentier d’écriture.
A quelle nécessité intérieure correspond L’Amitié de mes genoux ?
Il est un âge où la vérité est une dernière solitude, une sorte d’assuétude à l’authentique manière. Dans son Journal, Jean-Luc Lagarce, l’auteur dramatique, cible dans le mille, découvre le pot aux roses, passe aux aveux, d’une phrase lapidaire : « On dit la vérité ou on ne dit rien. »  Ailleurs, il précise : « Le style, il n’y a que ça de vrai ». Je suis d’accord avec lui.
L’Amitié de mes Genoux, c’est un autoportrait, l’écriture d’un visage sans cesse recommencée. Avec une identité éclatée : je suis ce que j’aime. Et personne d’autre.
Et vous aimez quoi, vous admirez qui ?
Dans mon livre, il y a des femmes fatales, des actrices de précipice : Ornela Muti, Lauren Bacall, Maria Schneider. Il y a Olga, Lucia, la plus belle fille du monde. Derrière le carré magique évoqué plus haut, je stocke en réserve un deuxième rideau composé de fins connaisseurs des mots : Céline, Bernanos, Gracq, Nimier, Michaux. Il y a aussi les imagiers, les artificiers de la lumière : Nicolas de Staël, Godard, Antonioni. Et puis les paysages qui sont des visages de jeunes filles, les villes qui sont des abîmes : l’Amérique, Budapest, Saint-Pétersbourg. Toutes ces beautés fugitives trouvent une hospitalité dans L’Amitié. Je les accueille volontiers dans ma maison de papier. J’aime et j’admire, pêle-mêle.
Sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ?
Je continue sur ma lancée. Je poursuis une obsession. Je suis engagé dans une narration morcelée, en forme de bribes de confession. Je récidive avec un livre qui s’appelle Dancing de la Marquise, en référence à Pierrot le Fou. J’ai aussi le projet d’un grand livre sur l’Italie, une sorte de carnet de voyage, qui serait le recueil des sensualités méditerranéennes. Un titre me vient à l’esprit : La Soie du Soir. Enfin, j’écris Fred. C’est un livre secret, un texte sauvage.

L’amitié de mes genoux est mon quatrième ouvrage publié. Il est disponible dès maintenant sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions :

On peut aussi le commander dans toutes les bonnes librairies.

dimanche 17 juin 2018

Le livre de l'été, le vrai

L’amitié de mes genoux est la narration d’une randonnée, la confession en zigzag d’un fêlé de littérature. On y croise des gaillards au grand regard, des orfèvres ciseleurs de beauté, la reine mère la langue française. Ce livre ouvert est le sanctuaire d’un style.
Au goût, c’est bien meilleur qu’un gros livre de l’été qui aurait transité dans le sable mazouté d’une plage défigurée.
L’amitié de mes genoux, c’est le récit fin, exigeant, haut en couleur, d’un mâle blanc qui écrit bien. Il faut le lire à petites gorgées de mots, à l’heure précise où se dessinent les plus sublimes apéros.
L’amitié de mes genoux n’attend que vos yeux doux, s’impatiente qu’ils se posent sur la première de ses pages.
L’amitié de mes genoux est mon quatrième ouvrage publié. Il est disponible dès maintenant sur le site de l’éditeur 5 Sens Editions :

On peut aussi le commander dans toutes les bonnes librairies.