mercredi 16 août 2023
Gracq fait tapisserie
Dans les bas-fonds de la gigantesque bibliothèque, les escaliers coulissent, les couloirs sont fléchés comme dans les aérogares. L’exposition consacrée à Gracq est un petit lieu de perdition, au bout du bout du labyrinthe.
On hésite à jeter un oeil dans la salle de prière comme on sauterait la préface pour d’emblée se colleter au texte de l’oeuvre. Le hic, c’est que Gracq est évoquée à l’étroit, dans la blancheur des murs d’une chambre de bonne rénovée.
La salle des visites, de la taille d’un modeste salon de coiffure, est boudée des lecteurs. Je me résigne à ce que l’avant-propos constitue l’intégrale des mots.
Aux murs sont épinglées des feuilles manuscrites de Gracq, nerveuses, fines, millimétriques, penchées vers la suite, biffées de traits définitifs.
Je suis ému par la pile de ses cahiers de brouillon et ses narrations d’écolier. Ses bouquins - quelques uns - sont théâtralement éparpillés sur une table basse. Les portraits de l’écrivain sont connus des paroissiens.
Une sorte d’ironie surréaliste – son chef d’œuvre sur Breton n’est pas loin – introduit la figure incongrue d’un Kerouac en Anjou, l’atmosphère oppressante d’un Paris, Texas.
Dans la froideur du lieu, les clichés de Louis Poirier calment une solitude, éveillent une curiosité. Je découvre les virées gracquiennes des années 60, ses traversées des déserts castillans.
Les obligatoires vidéos sollicitent un tourment physique, réclament de quoi s’accouder. Bref, les écrans sont nécessairement dissuasifs. Je me coiffe d’encombrants écouteurs. Les doctes y ramènent leur fraise. Gracq fait tapisserie. Le salon de coiffure est de maigre facture. La galerie manque de biscuits, l’exposition de munitions.
mardi 15 août 2023
Epatant
Août est déjà bien engagé. La Vierge vient de monter au ciel. Les paparazzis sont en grève. La pataugeoire de Brégançon est interdite à la photographie de baignade. Le scooter du résident est à l’atelier. Il a rouillé durant l’hiver.
Le couple présidentiel regarde le ciel. Brigitte est contente d’interrompre l’avion et de soigner ses jambes qui gonflent. Emmanuel trie dans ses ticheurtes, n’arrive pas à mettre la main sur le kaki, le même que Zelensky. Il s’ennuie. Il twitte. Il s’enquiquine. Il twitte à l’attention des pompiers, des policiers, des femmes violées. Il ne mégote pas son soutien aux mal-aimées, aux citoyens cabossés.
Il tue le temps en étant épatant. Il rédige d’avance son prochain discours d’Invalides. Jane Birkin, je crois. Les paparazzis lui manquent.
samedi 5 août 2023
Correspondance Morand/Chardonne
"Les lecteurs, en général, ne comprennent rien à un livre; c'est naturel; l'auteur, avant tous, n'y comprend rien"
(Jacques Chardonne, 25 avril 1965)
"Le Clézio, à la télévision est si beau, type jeune champion de 110 mètres haies, à Yale ou Harvard"
(Paul Morand, 19 avril 1965)
"Travailler. C'est le plus simple. Curieux, les hommes, ils ne peuvent que travailler"
(Jacques Chardonne, 25 avril 1965)
"Les voyages, c'est terrible, et pour voir toujours la même chose"
((Jacques Chardonne, 25 avril 1965)
samedi 29 juillet 2023
Le temps du larbinat
Un pays s’abreuve de liberté. La lui ôter, c’est l’embastiller dans une humiliante vassalité.
La nation française quémande un destin à une lointaine Amérique, mendie ses fins de mois à sa voisine d’Outre-Rhin.
L’Allemagne, qui nous a envahis trois fois en soixante-dix ans, nous octroie ses privilèges de bon élève. Nos taux d’intérêt d’emprunt sont dans une large mesure les siens.
Bref, nous vivons au crochet de Washington et Berlin. D’une telle déchéance résulte un traitement en conséquence. L’Amerique nous impose ses diktats commerciaux. L’Allemagne fait cavalier seul en Europe.
La France déclassée d’aujourd’hui ne dispose même plus d’indépendance militaire. L’OTAN, par gros temps, est un parapluie sécuritaire providentiel.
Les Gafam se jouent de nos petites menaces fiscales. À mesure que son économie dégringole, la France s’essaie au larbinat, observe un statut de laquais au service des grandes puissances.
Obséquieuse avec les riches - Qatar, Arabie Saoudite - , complaisante avec les empires en croissance - Inde, Chine.
Dans le même temps, nos « alliés »
anglo-saxons - Amérique, Allemagne - se félicitent de sa disparition dans le concert des nations.
Notre siège au Conseil de Sécurité de l’ONU est désormais en péril. Une Europe fédéralisée le convoite. Notre présence y semble une survivance d’un passé suranné.
Coup de poignard fatal ? Politique d’abandon d’un des derniers actifs stratégiques du formidable patrimoine gaullien ?
Le remaniement du déni
Les petits ministres se croisent sur les perrons. Comme l’enseigne l’étymologie latine du mot ministre, on se cantonne dans une politique de l’infiniment petit.
Le petit remaniement des petits ministres n’a pas plus de réalité qu’un dernier boniment avant la séquence scooter des mers du littoral varois.
D’ailleurs, le petit président se fiche de ses auxiliaires de vie ministérielle comme de sa première barboteuse. Les postes demeurent vacants, par hypothèse de travail, par seul calcul de retour d’ascenseur courtisan. L’administration fonctionne froidement, en mode automatique, sans nul besoin de petit chef.
Macron, le chef de meute, parfait sa réflexion sur les fondements ontologiques du beau concept d’émeute.
Les émeutiers sont sortis de la meute réglementaire républicaine. Or le remaniement désarme par sa petitesse et lenteur d’exécution.
L’émeute était une hallucination flaubertienne, une apparition communautaire du peuple, une sorte de Vierge en cagoule, casseuse d’unité, à rayer manu militari de la conscience collective.
Le remaniement illustre la virtuosité de l’exécutif dans le maniement du déni. L’émeute était un jaillissement épiphanique. Une illusion d’optique. Elle n’a jamais eu lieu.
dimanche 28 mai 2023
De la décivilisation
La France est décivilisée, déculturée, dépaysée, déterritorialisée, dévitalisée, dérépublicanisée, délaïcisée.
Les Français sont déboussolés, déclassés, démonétisés, dévalisés, dézonés, défraternisés, décontenancés, dégoûtés, désespérés. Le roi de France, lui, est décomplexé.
Les écoliers sont décérébrés, décervelés. L’agriculture est déphosphatée. L’industrie est délocalisée. L’économie est dépendante de la balance des paiements.
Bref, la déconstruction est délibérée. Le fil de la décivilisation ne cesse de se dévider. Marianne est dénudée.
jeudi 25 mai 2023
Back to Godard
Back to de Baecque, pour ce faire. Pas du tout étouffe-chrétien, son gros bouquin. Il décrit un salaud d’Hélvétie, un méchant parpaillot du canton de Vaud. Ses tournages, ses collages, ses chantages, ses ratages.
Au fil des pages, on voit des images, de l’amour sur la toile, beaucoup d’amour. Le texte recueille les beaux restes d’une tradition et d’une révolution. C’est le récit d’une nostalgie.
Godard, voleur de la pire espèce dès sa jeunesse – depuis qu’il a vu, ou plutôt pressenti l’admirable Picpocket de Bresson -, est parti ad patres avec la caisse, avec la civilisation des picaillons. Il nous laisse dans de beaux draps.
J’ai lu le pavé d’une traite. Avec une certaine fièvre. J’en ai presque oublié « la décivilisation ».
« À l’instar de Godard, Pelechian apprivoise les ciels à merveille. La caméra laisse intouchée sa prise. L’image est délicatement tachetée de beautés muettes. On y voit le burlesque à vif, la tête longue de ceux qui n’ont pas voulu.
Dans le sillage d’une fusée, les coupures de nuage dévoilent le dessin d’un félin. Artavazd Pelechian peint les eaux qui tournoient et l’homme qui s’y noie, les pèlerinages d’oiseaux et l’exode animal. Ce cinéma, digne des yeux, fait flèche de tout voir. Il fait entendre un cri de berger, venu de haut, dont l’accent des rocailles se détache au soleil.
Le cinéma, des images qui bougent, de l’émotion volée comme un baiser, une sensation qui saisit un corps, qui voile le regard. À Cannes, il pleut. Godard est acrobate, fait des soleils. Godard court le cinématographe en 17 minutes. Record. D’entrée de jeu, on empoigne la rambarde. Il faut se tenir à carreau comme dans la grande roue. On touche les choses pour se persuader d’y croire. Godard achève le festival. Avec des cartouches de terreur dans son fusil. Des images inimaginables qui entrent dans le sang. Un luxe inouï. De la lumière qui erre, des éclaboussures de couleur, une voix humaine. Godard révèle le cinéma, sa beauté venimeuse, hors industrie, sans gnangnan. Film pas, peu économique : soigné, chiadé, tailladé au poignet. Soigneusement aimé. Le contraire du travail, c’est le soin. Soigner l’image comme un malade. Avec la folie maniériste d’un médecin de campagne.
Godard retient du mot opus son pluriel opéra. Il y a le sang du siècle sur la pellicule du cinéaste. Cette poignée de minutes inguérissables terrifie l’oeil roi. On se cramponne. Godard joue dans la cour de récréation, de re-création. Celle des petits ouvriers. Il est immensément seul. Après quoi, le mot de palme semble extrait du vocabulaire de plongée, et les images sorties en scaphandre du Grand Bleu. En un quart d’heure, Godard a tué le match. Le festival est mort, déballe pour rien. N’est original que l’origine. Comme n’est génial que la genèse. On passe alors les copies, si bien nommées, comme des plats, des plateaux-repas de long courrier, la mécanique irrésistible de Soigne ta Droite.
Galabru n’était pas un malappris. Mais bien épris de fantaisie. Galabru est le fils aîné, le fils aimé de Raimu. Galabru n’avait rien d’une brute. Il est l’Amiral, loufoque pilote de ligne de Soigne ta Droite, grand bonhomme du poème de Godard. »
« L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, pages 68/69, 2018)
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html
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