vendredi 29 septembre 2023

La femme sur du papier dessin

Elles s'adossent au mur, peu bavardes sur leur histoire. Les toiles sont mortes par nature, s'endeuillent de couleurs. La peinture est une mémoire, le conservatoire des traces, l'empaillement d'un sentiment, la fixation d'une émotion. Le commissaire a tranché la vie de Staël en rondelles, biographié son imaginaire, périodisé son séjour sur terre. Mais le peintre se fiche de chronologie. Staël se soigne comme il peut avec la peinture qu'il veut. Il absorbe la lumière comme un arbre millénaire. Il a les siècles pour croître, grandir, croire en l'avenir. Il peint la sensation du temps, le sentiment de l'espace. Sauf que le commissaire travaille à l'envers, pour des prunes, répertorie les styles de Staël. J'observe les dessins tracés d'un trait succinct. La fulgurance révèle l'instinct d'une main levée, la solitude du premier jet. Staël est fidèle à ses querelles, à sa grande violence, réfractaire au toupet de commissaire, attentifs aux seuls dessins de son destin.

mercredi 16 août 2023

Gracq fait tapisserie

Dans les bas-fonds de la gigantesque bibliothèque, les escaliers coulissent, les couloirs sont fléchés comme dans les aérogares. L’exposition consacrée à Gracq est un petit lieu de perdition, au bout du bout du labyrinthe. On hésite à jeter un oeil dans la salle de prière comme on sauterait la préface pour d’emblée se colleter au texte de l’oeuvre. Le hic, c’est que Gracq est évoquée à l’étroit, dans la blancheur des murs d’une chambre de bonne rénovée. La salle des visites, de la taille d’un modeste salon de coiffure, est boudée des lecteurs. Je me résigne à ce que l’avant-propos constitue l’intégrale des mots. Aux murs sont épinglées des feuilles manuscrites de Gracq, nerveuses, fines, millimétriques, penchées vers la suite, biffées de traits définitifs. Je suis ému par la pile de ses cahiers de brouillon et ses narrations d’écolier. Ses bouquins - quelques uns - sont théâtralement éparpillés sur une table basse. Les portraits de l’écrivain sont connus des paroissiens. Une sorte d’ironie surréaliste – son chef d’œuvre sur Breton n’est pas loin – introduit la figure incongrue d’un Kerouac en Anjou, l’atmosphère oppressante d’un Paris, Texas. Dans la froideur du lieu, les clichés de Louis Poirier calment une solitude, éveillent une curiosité. Je découvre les virées gracquiennes des années 60, ses traversées des déserts castillans. Les obligatoires vidéos sollicitent un tourment physique, réclament de quoi s’accouder. Bref, les écrans sont nécessairement dissuasifs. Je me coiffe d’encombrants écouteurs. Les doctes y ramènent leur fraise. Gracq fait tapisserie. Le salon de coiffure est de maigre facture. La galerie manque de biscuits, l’exposition de munitions.

mardi 15 août 2023

Epatant

Août est déjà bien engagé. La Vierge vient de monter au ciel. Les paparazzis sont en grève. La pataugeoire de Brégançon est interdite à la photographie de baignade. Le scooter du résident est à l’atelier. Il a rouillé durant l’hiver. Le couple présidentiel regarde le ciel. Brigitte est contente d’interrompre l’avion et de soigner ses jambes qui gonflent. Emmanuel trie dans ses ticheurtes, n’arrive pas à mettre la main sur le kaki, le même que Zelensky. Il s’ennuie. Il twitte. Il s’enquiquine. Il twitte à l’attention des pompiers, des policiers, des femmes violées. Il ne mégote pas son soutien aux mal-aimées, aux citoyens cabossés. Il tue le temps en étant épatant. Il rédige d’avance son prochain discours d’Invalides. Jane Birkin, je crois. Les paparazzis lui manquent.

samedi 5 août 2023

Correspondance Morand/Chardonne

"Les lecteurs, en général, ne comprennent rien à un livre; c'est naturel; l'auteur, avant tous, n'y comprend rien" (Jacques Chardonne, 25 avril 1965) "Le Clézio, à la télévision est si beau, type jeune champion de 110 mètres haies, à Yale ou Harvard" (Paul Morand, 19 avril 1965) "Travailler. C'est le plus simple. Curieux, les hommes, ils ne peuvent que travailler" (Jacques Chardonne, 25 avril 1965) "Les voyages, c'est terrible, et pour voir toujours la même chose" ((Jacques Chardonne, 25 avril 1965)

samedi 29 juillet 2023

Le temps du larbinat

Un pays s’abreuve de liberté. La lui ôter, c’est l’embastiller dans une humiliante vassalité. La nation française quémande un destin à une lointaine Amérique, mendie ses fins de mois à sa voisine d’Outre-Rhin. L’Allemagne, qui nous a envahis trois fois en soixante-dix ans, nous octroie ses privilèges de bon élève. Nos taux d’intérêt d’emprunt sont dans une large mesure les siens. Bref, nous vivons au crochet de Washington et Berlin. D’une telle déchéance résulte un traitement en conséquence. L’Amerique nous impose ses diktats commerciaux. L’Allemagne fait cavalier seul en Europe. La France déclassée d’aujourd’hui ne dispose même plus d’indépendance militaire. L’OTAN, par gros temps, est un parapluie sécuritaire providentiel. Les Gafam se jouent de nos petites menaces fiscales. À mesure que son économie dégringole, la France s’essaie au larbinat, observe un statut de laquais au service des grandes puissances. Obséquieuse avec les riches - Qatar, Arabie Saoudite - , complaisante avec les empires en croissance - Inde, Chine. Dans le même temps, nos « alliés » anglo-saxons - Amérique, Allemagne - se félicitent de sa disparition dans le concert des nations. Notre siège au Conseil de Sécurité de l’ONU est désormais en péril. Une Europe fédéralisée le convoite. Notre présence y semble une survivance d’un passé suranné. Coup de poignard fatal ? Politique d’abandon d’un des derniers actifs stratégiques du formidable patrimoine gaullien ?

Le remaniement du déni

Les petits ministres se croisent sur les perrons. Comme l’enseigne l’étymologie latine du mot ministre, on se cantonne dans une politique de l’infiniment petit. Le petit remaniement des petits ministres n’a pas plus de réalité qu’un dernier boniment avant la séquence scooter des mers du littoral varois. D’ailleurs, le petit président se fiche de ses auxiliaires de vie ministérielle comme de sa première barboteuse. Les postes demeurent vacants, par hypothèse de travail, par seul calcul de retour d’ascenseur courtisan. L’administration fonctionne froidement, en mode automatique, sans nul besoin de petit chef. Macron, le chef de meute, parfait sa réflexion sur les fondements ontologiques du beau concept d’émeute. Les émeutiers sont sortis de la meute réglementaire républicaine. Or le remaniement désarme par sa petitesse et lenteur d’exécution. L’émeute était une hallucination flaubertienne, une apparition communautaire du peuple, une sorte de Vierge en cagoule, casseuse d’unité, à rayer manu militari de la conscience collective. Le remaniement illustre la virtuosité de l’exécutif dans le maniement du déni. L’émeute était un jaillissement épiphanique. Une illusion d’optique. Elle n’a jamais eu lieu.

dimanche 28 mai 2023

De la décivilisation

La France est décivilisée, déculturée, dépaysée, déterritorialisée, dévitalisée, dérépublicanisée, délaïcisée. Les Français sont déboussolés, déclassés, démonétisés, dévalisés, dézonés, défraternisés, décontenancés, dégoûtés, désespérés. Le roi de France, lui, est décomplexé. Les écoliers sont décérébrés, décervelés. L’agriculture est déphosphatée. L’industrie est délocalisée. L’économie est dépendante de la balance des paiements. Bref, la déconstruction est délibérée. Le fil de la décivilisation ne cesse de se dévider. Marianne est dénudée.