C’était
un 29 mai un peu particulier. Les enragés de Mai 68 tenaient le haut du pavé.
Dans l’anonymat le plus absolu, un grand écrivain français, fils métissé de la
porcelaine et du cognac, mourait à La Frette, à un jet de pierres des
barricades parisiennes. Jacques Chardonne était né quatre-vingt-quatre ans
plus tôt, un 2 janvier, un mauvais jour encore, dans la clandestinité d’un lendemain
de festivités.
J’ai
voulu me souvenir du maître des lettres françaises. Deux de mes livres évoquent
sa mémoire, son écriture libre et pure, le cristal d’un style de très haute
couture.
« On
est lyrique quand on a rien à dire ; la moindre idée bien mûrie, cela vous
coupe le souffle ». Chardonne vend la mèche »
(La
cicatrice du brave, page 28, https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/90-la-cicatrice-du-brave.html)
« Je
lis Chardonne comme je prie la Madone. C’est un maître à vieillir disait
Morand. Edmond Jaloux parla d’une prose argentée : « On ose à peine
lire, à peine toucher ces pages, de peur de disperser cette poudre irisée ».
Je veux jouir d’une fraicheur de neige, je veux lire Chardonne sans me dépêcher.
Lentement, illico presto ».
(L’amitié
de mes genoux, page 89, https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/192-l-amitie-de-mes-genoux.html).
« Léon
Blum, l’esthète rouge, encense Jacques Chardonne à la parution de « L’Epithalame » :
« Je place très haut, pour ma part, l’écrivain qui a su débuter par cette œuvre
d’élite ». (L’amitié de mes genoux, page 40)
Jacques
Chardonne révérait l’élégance d’Eugène Fromentin, peintre et écrivain. Ses
derniers petits livres, au soir de sa vie, sont pour moi les plus beaux : « Femmes »,
« Détachements », « Demi-Jour ». Textes hors sujet, dentelés
de somptuosité.
L’année nouvelle commence avec Chardonne, temps d’excellence :
20/20.
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