André Pieyre de Mandiargues est mort
le 13 décembre 1991.Vers la vieillesse, les bonheurs se dénombrent sur les
doigts apeurés d’une main. Interrogé le 11 décembre 1962 sur l’avenir de la
littérature, Paul Morand n’hésita pas une seconde : « Je dirais,
Mandiargues ». Oui : Mandiargues s’avance solitaire dans le siècle.
« La
littérature est un territoire noir, une contrée sauvage. N’y séjournent que des
forcenés de la phrase, des fous furieux de la féerie textuelle, des bêtes
féroces qui dépècent les songes, déchirent la viande des mots. André Pieyre de
Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Son centenaire
officiel oblige à considérer l’éclat chatoyant d’une œuvre fulgurante. Gracq
l’admirait au point d’envier l’excellence de ses récits courts, sa maîtrise des
textes majestueux. Mandiargues n’écrit pas vite : il tâche d’écrire faste.
Mandiargues ne se donne pas à lire sans d’emblée se raidir. On entre un jour
par la bonne porte. J’ai lu La Marge à
Barcelone. J’y découvrais la nuit,
ses ruelles odorantes, au rythme de l’errance narrative, à la cadence enivrante
d’un cheminement fatal. C’est un roman sublime, exquis, raffiné d’un grand poète, primé en 1967
par l’académie des Goncourt. Ce trésor n’est pas plus épais qu’une boîte de
cartouches. J’envie, d’une jalousie féroce, le lecteur qui découvrira ces pages
magnétiques, déambulant au hasard dans les travées entortillées de Barcelone.
L’écriture
de Mandiargues joue avec la lumière, les couleurs, les humeurs et les sons.
L’artiste fait luire sa griffe au soleil. La joie méditerranéenne jaillit des
sortilèges de l’écrivain huguenot, irradie les pages de Rodogune, somptueuse nouvelle, plante un couteau dans la cruauté du
bonheur. Se lit à haute voix. Amour fou. On n’en sort pas indemne.
Sur ma paume, la lumière de Sardaigne saigne. Nous
sommes loin du crincrin des machines à compter. A mille lieux de la stridence
incivile des sirènes. J’étais fait pour elle, Rodogune, comme l’oiseau d’un seul ciel. Le "aigne" de
Sardaigne, méchant comme une teigne, me rentre dans la peau, lentement, comme
une morsure de soleil.
Rodogune est la jeune inconnue à
la courbure de hyène. Je lis les mots du peintre, souffle sur les grains de
sable du phénoménal Staël : "Il avait vu quelque chose comme le
bonheur".
L’invincibilité du ciel, son évidence absolue, me
cloue sur le banc d’un quai de gare. Rien à faire. J’écris avec le bout des
griffes. Je songe aux citronniers de Pula, à Pierrot le fou, au dancing de la Marquise. Je revois la maison de
joie de Sinistria. Nous enfourchions le dos tiède d’une vague affectueuse. Je
relis, je revois son chignon noir dans l’ovale d’un fichu de paysanne. Elle
repose sur ma joue, le derrière en bataille.
Dans la continuité ou par contiguïté, il faut lire
le merveilleux Lis de mer.
S’abandonner au charme vénéneux de Tout
disparaîtra, l’ultime récit d’un quotidien où le métropolitain n’a jamais
été aussi bien dépeint. Au petit bonheur, au vent du caprice, il convient
d’égrener les cinq tomes de Belvédère,
qui sont des recueils de prière, des textes de ferveur, des communiqués
lapidaires en forme de dernier salut sur la terre. Reste à aimer La Motocyclette, récit inspiré d’une
Bardot chanteuse chevauchant une Harley-Davidson, et tant de merveilles littéraires
délicieusement érotiques.»
(L’amitié de mes
genoux, 5 Sens Editions, pages
34/35)
L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/192-l-amitie-de-mes-genoux.html
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