lundi 9 février 2009

Rugby de rigolade

Même pas triste. Le Quinze de France a joué sans retenue. Il s'est pris des pénalités et trois essais. Lièvremont a desserré le frein du jeu à la main. Il a rompu définitivement avec le rugby de précaution. On a vu un essai d'anthologie du huit Harinordoquy, au terme d'un fantastique mouvement d'accordéoniste. Le huit d'en face a répliqué, de pareille manière, par un ballon aplati dans l'en-but tricolore. Chabal a rué dans les brancards, s'est échappé comme un percheron de course, a traversé les deux tiers du terrain sans un regard pour la meute à ses basques. Le musculeux Beauxis perça comme une flèche, cadra à la perfection, échoua d'un cheveu. Il passa deux drops, deux feuilles mortes entre les poteaux. On joua décousu dans l'esprit du rugby. On a perdu la partie, on a forcé la sympathie. Nous a manqué un fou furieux de légende, un homme de panache accompli, l'étincelle d'Elissalde. Rugby de rigolade, presque de régalade, qui a souri à la cavalcade irlandaise, aux caracoles du vieil O'Driscoll.

vendredi 6 février 2009

Sous la dent

On est tellement matraqué de bouquins étouffe-chrétiens, de sommes assommantes, de gros écrits creux que le svelte "Vingt-septième livre" de Marc-Edouard Nabe est une bénédiction de l'édition. Moins de cent pages qui roulent à toute berzingue, zigzaguent et dézinguent en chantant. Bref, c'est de la bonne viande, de la chair fraîche. L'auteur du sublime "Nuage" contemple ses propres plaies d'écorché. Il raille les gras à-valoir de son vieux voisin faire-valoir, Houellebecq, le crooner crâneur, le joli coeur des destinées pavillonnaires. Il envie ses liasses de dollars. Nabe dit du mal, écrit bien. Avant de se jeter sur son os, on vivotait dans l'acédie des mots. De la taille d'une boîte de cartouches, le petit livre gris du maudit fils de Zannini est un exercice d'exquise fantaisie. Il ferraille dans les airs, admoneste la bleusaille littéraire. Il tire sur les repus, sur tout ce qui ne bouge plus. Nabe fait le job, exécute un numéro d'artiste. On est fou de joie d'avoir quelque chose à se mettre sous la dent. On inspecte les étagères, on se fourre la tête dans la bibliothèque à la recherche des vingt-six volumes précédents.

jeudi 5 février 2009

Sortie de crise

La crise va durer six mois, un an, deux ans, davantage. Son heure de sortie est mesurable comme le lever du jour ou la tombée de la nuit. Les experts n'ont pas pour métier de se taire. Ils plantent leur compas dans l'oeil du cyclone. Ils voient et visent juste. Ils possèdent notre avenir sur le bout des doigts. Au point de nous gâcher notre plaisir, de nous raconter l'histoire avant qu'on aille nous-mêmes voir le film. Il y a des professeurs de futur de tout acabit. La gamme des spécialistes de la crise s'étale sur les linéaires entiers des journaux, radios et télévisions. On fait son marché au petit bonheur la chance. Les paroles d'expert sont aussi vernies que des pommes vertes. On hésite à croquer dedans.

mercredi 4 février 2009

Salle Gaveau

Il se passe quelque chose qui n'est pas là. La musique est libre comme l'air. Elle s'affranchit du corps fini, des pesanteurs de la chair. Elle vole dans l'espace d'une aile invisible. On ne voit pas la musique. On voit un cercle de violonistes qui besognent un instrument. Les simagrées du virtuose nous égarent, nous divertissent du saisissement sonore. Or la musique se joue de pareil jeu. Elle vient du néant, ne se souvient de rien. Elle ne laisse d'autre trace qu'un marquage de la peau, une griffure de l'esprit. C'est un chant stoppé, qui longtemps après, fait encore danser les ours.

mardi 3 février 2009

Disparition

La mort d'un homme n'est plus ce qu'elle était. A lire les journaux, les rubriques nécrologiques sont squattées par les "disparitions". On ne compte plus les individus échappés de la réalité: pas moyen de mettre la main dessus. Or les rédacteurs de pareille notice s'emballent un peu vite, à moins qu'ils ne cafouillent avec les mots. Car rien n'autorise à dire qu'on ne va pas les retrouver. Le "disparu" d'hier peut surgir demain au coin de la rue. Ni vu, ni connu. Tout "disparu" est un "retrouvé" en puissance. C'est juste un homme à éclipses qui souffre de quelques absences. En revanche, le mort traditionnel, le mort d'antan, ne clignote pas sa présence, à intervalles réguliers, à la manière des égarés. Il s'en va pour de bon, sans espoir de retour. 

Buzz

Le bouche à oreille est une pratique de communication tombée en désuétude. On lui préfère aujourd'hui le très chic buzz qui donne une touche people à l'effet de tam-tam. En toute rigueur, l'anglicisme buzz veut dire "mouche à l'oreille". Le petit insecte vibrionnant qui zigzague sur le carreau fait un buzz d'enfer. Il est à l'origine du téléphone arabe, ce miracle de la technologie humaine. La mouche n'est jamais folle. Elle invente un média souple à vocabulaire simple. Son bzzz initial, pensée unique de son franc parler, s'est assez peu transformé avec l'usage.   

Le démon de la nation

Je suis chauvin, nationaliste et patriote. Xénophobe à l'occasion. Dimanche, je n'aimais pas les Croates. Dimanche soir, j'ai navigué un nombre incalculable de fois entre Zagreb et Besancenot, entre France 2 et France 5. La finale de handball n'était pas regardable. Impossible de la suivre dans sa continuité. Ses égalités lancinantes dissuadaient le téléspectateur de s'installer dans le match. L'émotion, la superstition. On prenait peur au spectacle de ces gaillards bondissants comme des fauves. Je me suis sauvé pour me terrer dans un studio plus routinier, à l'écoute des rituelles incantations du petit facteur de Neuilly. Mais cisaillé par le désir d'y retourner, d'y aller voir, de jeter un oeil par le trou de la serrure, je me fourrais à nouveau dans la fournaise croate. Vers le vingtième but tricolore, un grand type à nom slave a crevé l'écran, troué les filets croates, tué le match.
Je n'en menais pas large. J'ai compris que je pouvais rester, qu'aucun mauvais oeil n'ensorcellerait les champions olympiques. Grand seigneur, j'ai même apprécié les vaincus dans leur défaite. Ma xénophobie du début était soignable. Il suffisait d'une victoire française pour chasser le démon de la nation.