lundi 28 février 2011

Le colonel criminel

L'Amérique et ses alliés s'ingénièrent à débusquer en Irak d'introuvables armes de destruction massive. Une guerre illégitime s'ensuivit. L'exportation de la démocratie en terre hérétique justifia d'avance les morts en nombre d'une population innocente. La Lybie de Khadafi dispose bel et bien d'armes de liquidation à grande échelle. Le fou de Tripoli les expérimente à l'envi. Il exhorte même à leur libre service, jette son peuple dans la guerre civile. En comparaison, l'ancien diable de Bagdad, Saddam Hussein, fait aujourd'hui figure de premier communiant. Les horreurs de Lybie excèdent les exactions de Mésopotamie.
Or l'Occident reste les bras croisés. Il ne délie sa langue que pour prononcer le mot "inacceptable". Le maigre adjectif, utilisé à longueur de déclarations diplomatiques, n'est destiné qu'à exprimer une timide réprobation. L'Onu parle, parlemente, temporise. Pétrole et hordes migratoires bâillonnent la parole de l'Europe. Bref, le colonel criminel ne terrorise pas seulement son peuple. Il braque son arme sur la communauté internationale.

Le clown se meurt

Les beaux mots d'Alexandre Romanès en plein coeur des pages du Monde sont un luxe suprême. Ils réjouissent l'esprit. Ils comblent le manque d'attention à la beauté du monde. Ils réhabilitent le travail d'artiste. L'homme d'une autre culture met les points sur les i des administratives fumisteries. Le directeur de cirque ne prise guère le verbe foireux des complices de la peur. Le poète dit son fait aux chefs des ghettos sédentaires saboteurs de fête. Le forain fait luire au soleil de sa plume la souveraine liberté des tribus nomades. Il sauve l'honneur. Il sauve de l'oubli la poésie des muets, de Genet, Grosjean ou Dattas. Il chemine dans l'espace, un écriteau dans les étoiles: "Dégage, monde encagé !".
Le cirque Romanès est assailli de tracasseries, de chicaneries, de paperasseries. On songe au chant bouleversant de Giani Esposito : "S'accompagnant d'un doigt ou quelques doigts le clown se meurt et par quelques spectateurs sur son petit violon".
Le texte de Romanès nous délivre, nous lave des miasmes de l'actualité gadoue, de la quotidienneté Mam. Il fixe un cap, un cap de Bonne Espérance, l'horizon paradoxal de la hauteur. Il ne lâche rien sur l'essentiel, s'incline devant le ciel, jette à peu près tout. Il est libre comme l'air.
Le clown d'Esposito poursuit son numéro d'artiste: "D'une petit voix comme il n'en avait jamais eue il parle de l'amour, de la joie, sans être cru". Romanès est un pareil saltimbanque, un clown inaudible, sans maquillage exposé à la haine ordinaire. Il nous enseigne le grand art, qu'au commencement il n'y a pas de commencement. Que le vent n'a ni début ni fin. Que la ruade d'un cheval est indomptable, que la liberté ne s'échange pas. Mais il faut élargir son propos. Aux révoltes arabes, il dit mieux que personne, l'Onu ou n'importe quel "machin", ce qu'est l'humanité débarrassée de ses maîtres.

vendredi 25 février 2011

Bougonnerie

Le ciel a les yeux blancs. Il baisse la tête en aveugle. Visage fermé des jours de bougonnerie. Il ne desserre pas les dents, ne lâche rien, ni lumière, ni merci. Le ciel fronce un sourcil dessus nos fronts. Il s'est absenté de la cité. Il s'est affranchi du devoir de gaieté. Le ciel se déplaît au spectacle des corps blêmes. Il boude hors les bleds.

jeudi 24 février 2011

Février

"Février, c'est le mois le plus court, c'est aussi le plus méchant !". Les années s'emmêlent les unes dans les autres. Comme des chiennes emberlificotées dans leurs chaînes. Pour les départager, on les épingle à un bout de soi, à une sensation. Sans quoi, on n'y voit pas clair. Deux mille onze, c'est celle où j'ai récité "Mort à Crédit", à la tombée de la nuit. Lu l'ouvrage d'une traite avec les oreilles. C'est une borne kilométrique, une encoche dans la chair, un pan entier d'imaginaire destinés à m'éviter "un petit lapsus de la mémoire". J'ai un témoin.

Sous-préfet aux champs

Bruno Le Maire, fringant ministre des verts pâturages, accomplit un parcours sans faute au gouvernement. Son secret ? Ce brillant sujet de la République ne s'embarrasse pas de connaissances inutiles. Il fait l'impasse sur le savoir de terroir. Interrogé à la télévision sur la définition d'un hectare, le blond technocrate a piteusement séché. Mauvaise pioche à l'oral des médias. Réponse pleine d'aplomb du ministre: "Un hectare, c'est un hectare". Faux pas dans la gadoue des campagnes. Les paysans d'une vieille nation agricole ne manqueront pas de se gausser du beau parleur de salon. En souvenir du joli conte d'Alphonse Daudet, ils lui décerneront le bonnet d'âne du "sous-préfet aux champs".

mercredi 23 février 2011

Atone comme Ashton

La Méditerranée délimite l'Europe de l'Afrique. D'une rive à l'autre, les fugitifs du Maghreb nous rappellent le continuum géographique des deux continents. L'Europe en crise ferme sa porte aux mendiants du Sud. Pas de place du pauvre à la table du Vieux Continent. L'Italie joue le rôle du portier de nuit. Berlusconi endosse son costume de videur de night club.
L'Europe droitière s'accommode du postulat rocardien: "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde". La machinerie diplomatique européenne est actionnée par une Britannique à la peine. La voix de Mme Ashton est atone. Le boucher de Tripoli revendique ses terribles exactions. Des deux côtés de la Méditerranée, on se complaît dans l'indignité. Cynisme, mensonge et corruption occultent le business des uns et la détresse des autres. Manque de vision de l'Europe ? Myopie sur ses marches ? Pas seulement. L'Europe manque sacrément d'une morale minimale, d'une éthique responsable.

mardi 22 février 2011

Le peuple

Il est des termes dont on ne sait plus très bien ce qu'ils désignent. Le mot "peuple" appartient à ce vocabulaire imprécis, à ce lexique vagabond. Or, à l'occasion des révolutions arabes si pleines de panache, il rompt les approximations d'une signification brouillée. Il se réapproprie un sens éclatant. Le mot "peuple" retrouve ses esprits, redécouvre sa définition. Le peuple, c'est la force d'une rue, qui à mains nues, destitue le tyran. En cela, il est révolutionnaire, il déjoue la répétition du même, il fait bifurquer l'histoire et décide de son avenir.
Le peuple, c'est une foule égarée, un collectif indocile que fédère l'idéal humain de liberté, que métamorphose la colère pour la justice. L'ébullition se change en communion. Le passage à l'acte d'un peuple relève d'un processus éminemment spirituel. Mourir pour la liberté, c'est ne pas céder sur la primauté de l'esprit. Le peuple s'est défini en vraie grandeur, sous nos yeux, au Caire, à Tunis ou Tripoli. C'est bien autre chose qu'un corps électoral. C'est un corps spirituel, plus fort que tous les princes de la matière.