vendredi 2 juillet 2021

Grand dessein

Un grand dessein vient de loin. Dans son dictionnaire des idées reçues, Flaubert aurait ajouté : « gaullien ». Duras, renchéri : « forcément ». Je me suis réveillé tôt. J’ai écouté la radio. J’ai retenu les mots : « Ne pas saturer les hôpitaux ». Le grand dessein est un machin de médecins, une machinerie de toubibs qui nous mène au casse-pipe. Bref, je reste chez moi, même pas mal avec une fièvre de cheval. Je me bourre d’aspirine. Je suis brave. Avant de résilier le téléphone, je réponds à l’enquêtrice. « Non, je n’ai pas saturé l’hôpital de mon quartier ». Je le jure sur la Bible, la tête de Salomon. Je me conforme au grand dessein. Réglo avec les hôpitaux. J’ai bon. Oui, sous Macron, j’avais bon aux questions. Le dos rond est une stratégie de matou grognon. Que voit-on ? La Rem, reine d’un jour, rose majorette d’une Macronie morose, fille naturelle d’une hautaine Giscardie. Manu 1er, son roi, fut secoué par la rue, cogné par le virus. Il gouverna par vagues, par mimétisme. Manu le héros s’apparente à Walko, le maillot jaune surprise sous Guy Mollet, l’introuvable champion du Tour de 1956. Qui se souvient de Walkowiak, de sa gniaque éphémère de lauréat faussaire ?

dimanche 6 juin 2021

Assez d'actes, des paroles

Vendôme de la justice, Beauvau de la police, Orsay de la diplomatie, Grenelle de l’éducation, Valois de la culture, Bercy de l’économie, Descartes de la recherche, Saint-Germain de l’écologie, Beauvau bis de la laïcité, Balard des armées. La machine à fabriquer du colloque, du débat, du blabla s’apparente à un cheval fou, au galop des mots vers l’écurie royale, date d’expiration du mandat du cavalier de l’Elysée. On croule sous la générosité des états généraux. La multiplication des assises Emmanuel supplée l’embouteillage des comités Théodule. Les deux s’épaulent, Emmanuel et Théodule. L’oscar du bavardage absolu, du meilleur dialogue de sourds, est attribué ce quinquennat-ci à M. Jean-Paul Delevoye pour l’intégralité de son œuvre. On lui doit la magique invention de « l’âge-pivot », concept longuement mûri, peaufiné de réunion en réunion, deux ans durant d’un labeur jusqu’à pas d’heure. Trop tôt disparue, la géniale trouvaille laisse une famille de familles, une nation entière plongée dans la douleur, abandonnée au désarroi.

mercredi 2 juin 2021

Serres et La Fontaine

Il y a deux ans et deux jours, j’apprenais la mort de Michel Serres. Il ressuscite aujourd’hui avec Jean de La Fontaine, entre les lignes d’un même volume. Le philosophe et le fabuliste étaient faits pour s’entendre. J’ouvre l’inédit de Serres avec délectation. Avec l’assurance d’y croiser la jeunesse d’une pensée, les finesses enchanteresses de la langue française. C’est un luxe.

mercredi 26 mai 2021

Céline

Louis Ferdinand Destouches est né le 27 mai 1894. « Mort à crédit », livre deuxième, est un éblouissement, un choc littéraire. Nora, l’Irlandaise, impossible qu’on la taise, illumine le sublime récit du merveilleux styliste. Céline écrit pour ses plus belles lignes. « On ne quitte pas « Mort à crédit ». On est boxé dans les cordes. Le bouquin reste entre vos mains. Il colle à la mémoire, s'imprime dans la chair, squatte le corps. Céline parasite la réalité. "Non, mon oncle". Derniers trois mots. Point final de l'ébouriffant poème. Ferdinand est fixé sur sa folie. Cap sur la Légion. Ferdinand se fiche des préventions de l'oncle. Il est rectiligne sur la tribulation. Il suit l'exhortation de sa dure caboche. Il songe à Nora, la sublime noyée des mois de pensionnat. Nora s'est échappée de la nuit. Elle fend la mer d'Angleterre. Elle s'abîme dans une vague éperdue. Ferdinand se souvient de ses fièvres romantiques. Il revoit Courtial à l'aube, trouée dans la tête. Il n'a pas bronché, empoigné son fusil. Il voit du rouge qui dégouline entre les lignes. La mort se donne comme une carte de mauvaise pioche. Ferdinand est expert en pudeur. "Non, mon oncle". « Dancing de la marquise » (5 Sens Editions, 2020)

mardi 25 mai 2021

Epatant

Carlito est le mari de Carlita. Il est genré pour ça. Que nenni. Carlito n’est pas l’amant de Carla mais l’ami de Macro. Ils crachent dans le même micro. Le près-Zident est près des gens. Proche des plus que gens, proches des jeunes. Le présijeune n’attend pas l’automne pour sortir du tunnel, revoir les beaux jours, montrer ses dents de requin, sourire au destin. L’Elysée jouxte la rue du Cirque. La rue des clowns et des actrices. Son nez tourne. Le nez de Macro bouge quand il ment, le bougre. Carlito fait des roulades dans le parc. Il en profite, les salles de sport sont toujours fermées. Brigitte boude la cérémonie, n’aime pas la fantaisie. Macro l’Intello joue à l’idiot, au crétin des Pyrénées, influencé par le grand aîné du Modem, supprime l’Ena, copine avec les cancres des petits bachots et des blagues d’illettrés. Macro n’est ni fier, ni franc, ni français du collier. Macro, on dirait Jean d’O qui s’encanaille avec la plèbe, les sots du Web. Converse radieux de Dieu, de soi et d’entre soi. Macro sort bientôt du Château, de son colloque intime avec Jean d’O. Il publie la suite de ses Mémoires castristes, « Révolution II ». L’ouvrage évoque Zavatta, le vaccin de l’au-delà, Castex, l’extra-terrestre dont il apprécie les phrases à terroir, Benalla et son revoilà de maréchal, pugiliste oublié du début de quinquennat. Et plein d’autres choses. Bonnes feuilles en exclusivité dans le Gît Dédé. Epatant.

samedi 22 mai 2021

Monsieur Michaux

Henri Michaux est né le 24 mai 1899. Est-il mort pour autant ? Visage en forme de bosse de chameau. Visage de Michaux. Visage désert. Visage d’oncle Pierre. Visage de salaud. Hors photo. À moins de la voler au Collège : le cliché d’un Michaux sans chiqué, visage blanc de vieillard sur un banc, lunettes noires, les yeux vers l’intérieur. Visage d’oncle Pierre. Dévasté. Déplumé. Démâté. Lunaire. Visage d’après la guerre. Il est Belge et sans âge, longue carcasse d’escogriffe effacé. Sinistre et drôle. Michaux confectionne des ouvrages dessinés à la plume. À lire original. Jamais dans une collection de vitesse, genre vide-Poche. Et puis la beauté qui terrorise, et le feu de la femme qui flambe. Michaux voit la chair en cendres, la vie en volutes, la souffrance d’un marin, raté d’avance, et les mots qui font signe de la main. S’entend Michaux. Vieux tromblon. Il écrit. Moins lourd qu’une brique, plus déchiffrable aussi : un livre. À quarante ans, vingt ans aller-retour, il écrivit de mémoire le récit du voyage, son carnet ethnique. « Visages de Jeunes Filles », un texte lentement halluciné, une prose royale d’ivrogne, qui sèche au soleil. Michaux fait un petit travail miniature, sans y toucher, de son doigté de fée. C’est une sorte de cri crayonné, le croquis dernier cri de deux ou trois jeunes filles de la terre. Michaux est invincible quand il écrit la fin, et le début d’une femme. Il tient le fil et la fille. Voilà cet oncle Pierre qui entrebâille la porte étroite, ouvre grand la fatalité. Dans la chambre rose de l’univers, il voit l’écorchée vive à son lever. Il pressent la soldate, contemplée renégate. Gracq évoque la saveur évanouie d’un chewing-gum. Il désigne ainsi la prose usée. Au détour de ses « Lettrines ». À la relecture, la fadeur d’un texte aimé déçoit sans pitié. Mais voici « Visages de Jeunes Filles ». Il garde son grain intact, sa peau de craie, sa cambrure primitive, sa sauvagerie. Henri Michaux, de son ami le poète équatorien Alfredo Gangotena, aimait à rappeler les mots suivants : « Les murs tremblent, les feuilles aussi, je vous le dis, je vous l’assure, il y a quelqu’un qui saigne ici. » L’homme, l’orme centenaire, traîna sa carcasse en chasse d’images, de for intérieur, de visages, de ces nourritures pour l’œil qu’on appelle des paysages. Aujourd’hui cent ans, du verbe entendre, Michaux joue à chat en vieux chien sous la terre. « C’est comment qu’on freine ? » Comme Bashung, Michaux se demandait. Michaux est hors photo, sauf pour le papier journal Libération, ce nom volé comme la photo, chapardé à de Gaulle. Hors photo, c’est-à-dire de coquetterie mahométane, à la Céline. Pas très chaud pour les clichés, Michaux. On songe à Deleuze : « Je nage la tête haute, hors de l’eau, pour bien montrer que je ne suis pas dans mon élément ». Sauf, qu’à l’image de Madame Michu, mercière à Angoulême, Monsieur Michaux a vécu pharmacien, on n’est pas sûr de Carpentras. Quelque part où le paysage ne donne pas toute sa mesure, où les couleurs restent en dedans. Il s’amusa de quelques phrases. Mais Michaux nous dit à peu près ceci. Je suis conservateur. Parce qu’un secret, je le garde. Ce texte est extrait de « L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, 2018). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexion/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

mardi 18 mai 2021

Sénèque et moi

J’entends Léo, un slow, « et dedans comme un matelot ». Sénèque, c’est extra. « Et ce mal qui nous fait du bien ». C’est extra. Deux doses de Sénèque dans le biceps gauche, à deux mois d’intervalle. Ce sont « Les Lettres à Lucilius » que l’infirmière m’injecte contre le virus. Le stoïcisme pénètre dans l’organisme, l’exhorte au détachement. Je me sens libre comme l’air, débarrassé des gestes barrières, délivré d’une jugulaire. Je lève le coude à la terrasse, l’affranchis des éternuements de police. Je choque mon verre avec l’été. Il n’est plus louche que je l’embrasse sur la bouche. Je n’ai plus peur de Salomon, le speaker qui maniait l’épouvante pour que je rentre sous ma tente, qui tous les soirs comptait sur ses doigts les gisants de notre camp. J’ai oublié les communiqués des défaites. Je fais la fête, m’insoucie de mon squelette. Je me fiche des embolies comme d’une guigne. Je passe entre les gouttes des mauvais désirs de l’élixir. Sénèque prescrit l’ataraxie. Le précepteur de Néron sait les paradoxes du pharmakon, remède et poison. Réputé le pire, Sénèque, l’ami de Caligula et de ses sbires, n’est pas très « ailletèque ». Je l’ai absorbé d’une traite sans mal de tête. J’ai bénéficié d’une sagesse, d’un fond de cuve philosophique, d’une recette antique fourguée aux hérétiques, d’un racontar de bonne femme destiné aux vieillards. C’est tombé sur moi.