mardi 18 mai 2021

Sénèque et moi

J’entends Léo, un slow, « et dedans comme un matelot ». Sénèque, c’est extra. « Et ce mal qui nous fait du bien ». C’est extra. Deux doses de Sénèque dans le biceps gauche, à deux mois d’intervalle. Ce sont « Les Lettres à Lucilius » que l’infirmière m’injecte contre le virus. Le stoïcisme pénètre dans l’organisme, l’exhorte au détachement. Je me sens libre comme l’air, débarrassé des gestes barrières, délivré d’une jugulaire. Je lève le coude à la terrasse, l’affranchis des éternuements de police. Je choque mon verre avec l’été. Il n’est plus louche que je l’embrasse sur la bouche. Je n’ai plus peur de Salomon, le speaker qui maniait l’épouvante pour que je rentre sous ma tente, qui tous les soirs comptait sur ses doigts les gisants de notre camp. J’ai oublié les communiqués des défaites. Je fais la fête, m’insoucie de mon squelette. Je me fiche des embolies comme d’une guigne. Je passe entre les gouttes des mauvais désirs de l’élixir. Sénèque prescrit l’ataraxie. Le précepteur de Néron sait les paradoxes du pharmakon, remède et poison. Réputé le pire, Sénèque, l’ami de Caligula et de ses sbires, n’est pas très « ailletèque ». Je l’ai absorbé d’une traite sans mal de tête. J’ai bénéficié d’une sagesse, d’un fond de cuve philosophique, d’une recette antique fourguée aux hérétiques, d’un racontar de bonne femme destiné aux vieillards. C’est tombé sur moi.

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