jeudi 20 janvier 2022

Mieux qu'un monsieur

Je n’ai rien vu, presque rien de Gaspard Ulliel. Des bouts du film de Dolan, des bribes du texte d’un grand gars de la littérature française, Lagarce, des fragments du Saint Laurent de Bonello. En revanche, j’ai vu une lumière blanche : une épiphanie, apparition, illumination eût écrit Rimbaud. La beauté d’Ulliel est absolue, taillée dans le bleu du ciel, un flagrant délit plastique, le miroitement hypnotique d’un style. Gaspard a choisi la meilleure part. La comédie, l’art dramatique. Le jeu est le plus vieux métier du monde, l’outil le plus précis de la clownerie des lundis, l’arme quotidienne de la bouffonnerie des hommes. Flaubert veut jouer. Il gueule seul. Proust s’entiche de Réjane, de Sarah Bernardt, invente La Berma. L’auteur est un acteur raté, un grimacier empêché, un baladin dissuadé. Tous les scribes de la terre ont des démangeaisons d’histrion. Ulliel est un comédien hors du temps, aux semelles de vent, l’ange exterminateur des modes braillardes, des actualités débraillées. Gaspard Ulliel s’est trompé d’époque. Ni Téchiné, ni Dolan, ni Bonello ne sont Visconti. Gaspard Ulliel était l’Helmut Berger de sa génération. Je pense au jeune Nicolas de Staël qui gribouille sur une carte postale à son père de fortune : « Non, je veux être mieux qu’un monsieur ». La beauté de Gaspard intimide. D’autant qu’il l’ignore, qu’il la fragilise, la balaie d’un revers de main, la neutralise avec dédain. La gentillesse était sa coquetterie. Le grand acteur est un funambule, un fildefériste qui risque une peau avec des mots. Il est en première ligne à chaque phrase, à mains nues, devant le gouffre, une meute d’inconnus. Il n’a pas de casque syndical, ni sur les scènes théâtrales, ni sur les domaines skiables. Non, je n’en crois pas mon iPhone. La nouvelle carillonne à mon tympan. Je me sens plus petit, rétréci dans ma vie. Le monde s’est enlaidi. Sur la piste bleue gît un monsieur.

mercredi 19 janvier 2022

Le président des rûches

Blanquer se planque aux Baléares. Il est chevillé par la passion de l’ouvrage. Le travail du prince est un mythe savamment entretenu. Jouir du pouvoir. L’expression désigne l’addiction réelle des représentants de la nation. A vrai dire, les ministres s’apparentent à des pantins, à des perroquets de plateau qui répètent les mots des autres. En pratique, ils savent lire couramment, réciter avec le ton les discours formatés des tâcherons d’administration. Leur métier est d’être visible, de bien articuler les syllabes à la lumière, mais pas de besogner dans l’abstrait, de s’échiner dans l’obscurité, de rédiger des pages de dossiers illisibles. Les ministres s’identifient à des acteurs très dirigés, très surveillés, dont le jeu stéréotypé est destiné à susciter des émotions frustes, imprimables dans l’opinion. Ils n’écrivent pas le scénario du film. Ils reproduisent les murmures des souffleurs. Ibiza. Blanquer, peu importe où il soit. Parce que les petites mains qui confectionnent tous les quatre matins, elles, sont à Romorantin, dans des patelins sans soleil. Le ministre plastronne. Il parade. Il danse, au besoin, en vidéoconférence. Il se montre. A son avantage. Sous son meilleur profil. Il est l’histrion de la nation, par profession. Mais l’ostentatoire n’est qu’un miroir de soi, peut tourner au déboire. Voyez Montebourg. Le président des rûches jette l’éponge. Il est rendu à ses abeilles.

samedi 15 janvier 2022

Heur et grande peur

Faut être juste. Quand j’ai entendu pour la première fois le nom du covid 19, j’ai pensé aussitôt à la cop 21. A son retour prématuré. Au tintouin sur les antennes. Aux chefs couronnés qui se congratulent sur la scène du grand Rex. J’étais alors parmi les gueux à regarder éberlué. Ces messieurs dames étaient trop bons de vouloir nous préserver, nous les vilains, des liftings ratés de la planète, des dérèglements systématiques des cinq sens des saisons de notre enfance. Non, le covid 19, c’était une autre grande trouille avec les mêmes sourires stagnants des gens d’en haut, une récompense de taille si on travaillait tous bien à sauver notre peau. On sortait d’une culture des ronds points. On rentrait dans l’ère patibulaire des toubibs qui traquent le comorbide, des médecins de plateaux qui piègent les rôdeurs d’hôpitaux. On apprenait qu’un barnum n’était pas réservé qu’aux seuls clowns blancs. Et puis, un beau jour, les variants se sont échappés du bocal. Mauricette s’est faite piquer. A disparu des radars après l’acte de bravoure. Elle avait sans doute forcé sur les doses. Le blondinet du Touquet a relu tout Aristote dans la nuit. Le théâtreux et madame Trogneux se sont penchés sur la catharsis du vieux Grec. En est ressorti un concept de bon aloi traduit en patois : le stop and go. Heur et grande peur. La douche écossaise n’a pas fait son Brexit, demeure à l’heure française, en inspire les derniers rites. Reste du virus que c’est la pagaille dans les consignes de rue. Le masque doit-il être porté en position muselière ou en mode bavoir ? C’est le préfet qui sait.

jeudi 6 janvier 2022

Méchant comme une teigne

Emmerder le monde. Sur le post-it matinal d’Elysée, Aime-Manuel griffonne au stabilo la priorité du jour. TTU : très très urgent. Sur les drapeaux d’Europe, bleu dé-Klein, Aime-Manuel épingle ses petits carrés jaunes autocollants. Nota bene d’emmerder le monde. Les drapeaux du chef de continent font cercle de raison autour d’un bureau oblong. Aime-Manuel est méchant comme une teigne. Le « Notre Père » de « Notre Projet » respire la détestation des gueux de ronds-points et des insoucieux de vaccin. Le chemin de l’Ena l’a mené au quinquennat. Aime-Manuel consulte un nombril, cherche querelle au petit peuple comme il invective un général d’active. Le prurit de chicanerie s’apparente à une maladie, se confond avec la stratégie du pays. Emmerder le monde, non pas parler au monde. L’emmerdeur, c’était son heure.

mercredi 22 décembre 2021

Joyeuse, folle Année !

« Ces années vont comme des folles ; la vie commence au pas, continue au trot et finit au galop » (Lettre du 30 mars 1964). Morand déconne avec Chardonne. Au fil de trois superbes tomes. Douze à table sont les mois qui viennent. Les quatre saisons connaissent la chanson. L’année nouvelle a disposé les ronds de serviette. Elle souhaite qu’on la fête comme ses cadettes. Encore une fois. Le pas se dérègle, le trot s’allonge. La fin de vie chipe au galop sa vitesse de prairie, l’allure d’oubli des mortelles chevauchées. A mes amis, encore en vie, je prescris le galop d’essai, qui sied à l’apprenti, qui convient à l’ouvrier. C’est un souhait de compagnon de chantier. Que deux mille vingt-deux soit un nombre chanceux, premier, à caractère entier, un numéro de loto, pas imaginaire, qui jongle avec les mots, un billet vainqueur qui octroie la beauté sur la terre !

lundi 22 novembre 2021

L'université de iel

Une jeune fille d’aujourd’hui étudie à l’université de iel. Elle traduit Corneille en français réglementaire, travaille comme une négresse sur Tite et Bérénice, débarrasse Horace des facilités de style, des tics de masculinité, des lourdeurs surannées qui entravent la diction, la pureté orale des récitants de la Maison de Molière. La jeune fille réécrit Polyeucte en neutre, remanie Le Cid en tiède. Elle rétablit le parchemin d’origine, rature masculin et féminin. A la bonne heure. La jeune fille jette son fiel sur les reliures miel des missels. C’est une missionnaire du grand chambardement littéraire. Elle fourgue à la poubelle les palimpsestes vieux genres des odieuses bibliothèques. Elle est hors d’iel quand elle relit Cinna dans l’édition des écoles. De tels écrits, d’une rare ignominie, sont destinés à la déchetterie. A la bonne heure. Dans La littérature et le mal, Bataille orthographie de travers la cause du désastre. Car le mal en vérité, qui sournoisement se féminise, c’est le mâle. Malpropre, comme on disait jadis, s’écrit mâle-propre. Le mâle propriétaire a dénaturé la Terre. Il convient de le désherber, de l’éradiquer comme un prédateur de la pire espèce. Oui : les écolos, j’entends bien. On trouvera les mots. C’est bien joli de déboulonner la statue de Colbert. Mais c’est loin de suffire. Moi président, je décrèterai un autodafé de fête comme on ordonne un couvre-feu de préfet. On s’égosille sur Les beaux draps de Céline, mais c’est de l’eau de rose à côté des libelles pornographiques des Zola, Sade et Kundera. C’est un autodafé républicain qu’il nous faut, illico presto, place de la Révolution, en souvenir de Joseph Ignace Guillotin.

dimanche 14 novembre 2021

Les frères Nono

A lever l’impôt, les frères Nonos partagent un même diplôme d’imposteur. Ils appartiennent à des promotions de la même maison : Bercy, le garage à picaillons. Arnaud et Bruno, héritiers des légendaires frères Bario, jonglent avec les mots. Le numéro d’Arnaud, c’est la Remontada. Le sketch de Bruno, c’est le Renouveau. Dans le droit fil de la bible de « Révolution », la bible des « Cinq Glorieuses », l’impérissable opus du quinquennat, deux fiers ouvrages sont aujourd’hui de nature à ragaillardir le peuple des gilets d’automne : « La Remontada » (il est traduit) et « Un éternel soleil ». Leurs fulgurants échos squattent les plats plateaux d’infos. Impossible n’est pas Nono. « Quand on veut, on peut ». A la bonne heure. Arnaud retrousse ses manches d’apiculteur, se fait piquer par la reine, se gratte, s’égare en salle de shoot, marque des buts à tire-larigots. A force d’en parler, il se croit sur le terrain. Dans son sommeil, Arnaud voit des soleils. Comme Bruno. Le villepinesque ministre publie un énième chef d’œuvre au titre saganesque. « Un éternel soleil » est un livre qui fera date, qui s’assied sur la dette. Bruno, le grand argentier communiste a étatisé des salaires pendant deux ans. Le chaman du gouvernement esquisse les contours d’une économie magique, faite de budgets de conte de fées. Les frères Nono n’ont pas écrit « Mort à Crédit : ils réhabilitent la sorcellerie.