lundi 12 mars 2012

Faire président

Quoi faire ? Quoi faire de sa peau ? Quoi faire dans la vie ? Quoi faire sur la terre ? "Faire président". Sarkozy est du genre rentre-dedans. Il répond "président" comme il dirait "présent" à l'appel d'un adjudant. Il répond "faire président" comme un marmouset rêve de "faire pompier".
Faire président, c'est faire le job ou faire le show. C'est massacrer la langue française. Mais au delà du mal parler, on peine à discerner les ressorts à vouloir se hisser au rang de chef parmi les chefs. On imagine au temps des culottes courtes un petit garçon, dans la mêlée de la récréation, qui songe au glorieux horizon. Serment d'ivrogne pour les moins aguerris. Au pays de Marianne, le désir d'être roi est l'implacable loi d'une poignée de garnements à l'ombre des préaux.
On imagine mal ce qui réunit de Gaulle et Sarkozy, Giscard et Hollande, Mitterrand et Pompidou. Ces hommes ont souhaité gouverner un peuple. Certains l'ont voulu dès la petite enfance. Ils se sont regardés dans la glace dès leurs premiers boutons sur le visage. Ils ont conversé avec leur reflet. "Faire président". "Maître du monde". Ils annonçaient la couleur. Narcissisme converti en destin. Une solitude rêvait à une autre solitude.
D'accord pour de Gaulle, Giscard ou Sarkozy. Peut-être pour Hollande et Mitterrand. J'en doute pour Chirac et Pompidou. Chirac fut un enfant chef de bande qui caillassa, plus qu'il ne caressa, l'idée d'Elysée. Pompidou s'est retrouvé par hasard dans un film écrit par de Gaulle. Chef de classe, Hollande dévoila son ambition, révéla sa promesse de servir un collectif à visage de nation. Complexe est Mitterrand: sa haine de De Gaulle ravive à chaque instant son besoin d'en découdre, de se mesurer au grand homme, de régner plus longtemps.
Restent les appelés de toute éternité. De Gaulle songe plus haut que les autres. Autre chose à faire que président. Il embellit son enfance de sublimes rêveries. A l'épreuve du miroir, il était chef de guerre, sauveur d'une princesse de légende. De Gaulle s'enterra vivant dans l'Histoire. Il créa sa légitimité de toutes pièces, convoqua le peuple après coup.
Giscard est né perché. Il surplombe le commun des mortels. Il est doté d'une supériorité patricienne. Il figure l'exacte adéquation du produit d'école au profil de la fonction. L'échec lui était interdit. L'erreur en incomba au peuple ignorant.
Sarkozy situe sa présidence dans une longue impatience de reconnaissance. La revanche se lit dans son mouvement de hanches. On lui doit une nouvelle manière d'être roi. "Faire président" comme on fait de l'argent. Faire comme si c'était vrai. Emerveillement d'un enfant-président.
Voilà pour notre République. Il est pourtant des chefs dont la parole importe peu. L'anthropologue Pierre Clastres nous rappelle que les indiens Chulupi du Paraguay ne confie à leur chef qu'un pouvoir nul, celui de discourir et pas plus. Personne n'écoute la parole du chef. "Le chef qui veut faire le chef, on l'abandonne" (La Société contre l'Etat, page 134, Les Editions de Minuit, 1974 ). Sagesse de société primitive.

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