mardi 24 janvier 2017

Via Maqueda

Il pleut des hallebardes à Palerme. J’aime quand le Pierrot de Godard change d’avis trop tard, visage bleu, la main dans le noir qui rate la dynamite. Dans le hall de la grande albergo, je tends au concierge l’ombrelo qui s’appelle Pietro. Je veux revoir mon livre, le toucher comme on caresse une morte, l’ouvrir comme on tranche une orange. Mon réseau social, c’est une bibliothèque murale.
Le couloir est encadré de portes boursouflées, contorsionnées comme des grimaces d’art baroque. Je ressens une ferveur, un intérêt sérieux pour l’inutilité. L’absence de soleil provoque une vacance de l’œil, une sorte d’insensibilité. Je laisse mes doigts aller de soi, ébaucher des croquis qui sont des traces d’ennui.
A la pasticceria Spinnato, je bois un gin crodino qui secoue l’encolure, qui cogne la nuque. La jouissance de l’instant est une question d’instinct. Le maltempo est un gros mot à Palermo. Dans la chambre cent quarante-sept, je me crois rue de Logelbach, à cause des nuits trop noires et de la hauteur d’armoire.
Via Maqueda, à gauche, se profile le campanile de La Martorana. Je ne rate pas le coche, l’œuvre byzantine de Georges d’Antioche. L’engrenage des raisons est une démangeaison du jeune âge. Le soleil se couche sur les collines de Palerme. On s’attable en terrasse pour voir le temps qui passe. La commande de l’orata grigliata, la daurade grise, m’est soufflée par les déchets d’assiette. L’idée, la vraie, n’est qu’un vide de la pensée. 
Fortifier, rendre fière la langue de ma mère, voilà de quoi faire sur terre. Dans l’avion, les yeux d’une Milanaise bougent quand la bouche à son aise regarde ailleurs. Je songe à de Gaulle. Pour toucher la réalité, il faut d’abord rêver. Impérieusement. Sans quoi, on passe un mandat à jouer aux petits soldats et à inaugurer des chrysanthèmes.

lundi 23 janvier 2017

Les yeux de président

La gauche gâche, la droite rate. Chronique des échecs, litanie des dernières décennies. La droite s’est débarrassée d’une encombrante caricature, a rejeté l’excellent girondin qui serrait mal les mains. Elle a choisi François le troisième, par superstition, car la République privilégie pareil prénom pour emblème. Il a les yeux foncés car nul n’a les yeux clairs s’il veut gouverner sous la Cinquième. Ses sourcils ne sont qu’accessoires de fantaisie. En revanche, le regard bleu de Lemaire était disgracieux, peu conforme aux critères marron de la maison, en vigueur depuis de Gaulle jusqu’à Hollande, durant cinquante-neuf années, sans discontinuer.
François III promet la table rase comme un communiste de jadis de raser gratis. Manque au Fillon patricien, le timbre jupitérien du sanguin Séguin. Je risque un délit de faciès. L’édile de Sablé n’a pas la bouille à tout chambouler, la trogne à déplacer les montagnes.
A gauche, les yeux mauves de Montebourg, trop pâles comme ceux de Lemaire, étaient disqualifiés d’avance, interdits de finale de primaires. Par contre, le regard noir de Valls s’inscrit à merveille dans la tradition élyséenne des globes oculaires de fonction. Je discerne mal la vision présidentielle d’Hamon, encore moins sa couleur de prunelle. Macron se sert de rayons laser. Son sourire obligatoire est tendu vers la victoire. On dirait qu’il est très satisfait de sa destinée, qu’il se sait apprécié des bonnes fées. Mais il souffre d’un handicap majeur : le bleu laiteux de ses yeux. Le même mauvais œil frappe Marine Le Pen, jette un sort sur ses ambitions élyséennes. Mélenchon, toujours bon client, jouit d’un regard marron,  qui est un modèle du genre, qui tourne rond. Il est en lice pour l’emballage final. Aux déshérités du scrutin, qui n’ont que leurs yeux bleus pour pleurer, je conseille, ni vu ni connu, de les teindre couleur de jais comme les cheveux grisonnants du président finissant.

jeudi 12 janvier 2017

Le visage d'un autre

Ils squattent notre imaginaire. Leurs posters saturent l’atmosphère. On les voit, on les croit, ils font la loi. En ce temps, de ce monde, ils sont grands. Mais à trop les voir, comme des images de manuel d’histoire, on doute un soir des légitimités d’une gloire. On s’interroge sur la sacralité des épatants visages. On se cogne à tant de trognes sans vergogne.
Les belles figures de nos visions se réfléchissent dans un miroir d’émotions. Ils mitraillent les rétines de leurs ouailles. Les idoles à la Warhol sont nos maîtres d’école. Ils enseignent la publicité à défaut d’amour de la cité.
Obama s’en va, quitte le champ des caméras, comme Julien Clerc la scène de l’Olympia. Une nation se gouverne à l’émotion. Le dernier sanglot de Barack se répercute bien au-delà de Chicago. Il dégringolait les passerelles comme un golfeur svelte, inattentif à la marche. Hollywood pleure son Tiger Woods.  Là où Hollande, engoncé dans un corps, enjambe de travers, manque de valdinguer dans les décors.
Question marche, on dispose de Macron qui fend les buissons. Il est chaussé de godillots pour un sacre de caudillo. Ses zélateurs poireautent dehors comme de bons électeurs. Macron ressemble à Boris Vian. Il a le physique humanitaire d’immédiat après-guerre. On ne sait si c’est la chance qui lui sourit ou s’il se réjouit de sa bonne fortune. C’est un Boris Vian kouchnérisé, débarrassée d’une inutile mélancolie slave. Son programme se nomme sans état d’âme : « J’irais cracher sur vos tombes ».
Trump est d’une autre trempe. Il boxe dans la catégorie Eltsine. Il a rallié l’Histoire à la force du poignet comme l’ivrogne Boris s’est dressé sur un char. Cheveux jaunes, cernes verts et cravate coquelicot. Il joue de ses mains de marionnettiste : la droite prédatrice, la gauche moins véloce. Il gourmande la terre entière, carré dans une posture d’armoire normande. Ses foucades colériques évoquent des secousses telluriques.
Chirac ressemblait à Jack Nicholson. On exagère à peine quand on prend le chef du modem pour Richard Gere. Le fantaisiste Bernard Haller était le sosie lunaire d’un Mitterrand, bien planté dans la terre. De Gaulle était gothique. Fillon tient ses sourcils de Pompidou. Darry Cowl, l’inénarrable bafouilleur, eut sa doublure psychorigide en la personne de Jospin, le parpaillot. La durée des mandats et la fin de leur cumul font de ces bateleurs d’estrade d’authentiques intermittents du spectacle. Aron disait de Giscard qu’il ne savait pas que l’Histoire était tragique. L’ignorance du sang disqualifie les gouvernants. La compassion d’apparat est un costume pour l’action. Ces êtres de théâtre endossent un masque d’histrion, s’interdisent de brandir un glaive de champion. C’est pourquoi, au hasard d’un scrutin, le visage d’un autre s’imprime sans crier gare, dans l’imaginaire d’isoloir.

vendredi 6 janvier 2017

Besoin de grandeur

La grandeur est une denrée périssable. Son souvenir implique une nostalgie. C’est un songe ému qui sauve des menus mensonges. J’ai besoin d’une vraie nature, d’une dose de Ramuz, d’un livre qui ose une aventure.
La grandeur colore une maigreur, rafistole une petite beauté en splendeur. Nous collectionnons les candidats comme des petits soldats. Les rescapés d’une disette font causette. Nous avons perdu les pédales, jadis un général de Gaulle.
Flaubert publie Le Candidat, en fin de vie, regard théâtral sur la vulgarité électorale. Flop cuisant. Candide veut dire blanc, indeed. Le visage pâle du candidat somme les couleurs du spectre intégral. Il exprime une versatilité. Je blâme le candidat d’être blême. Ils sont en lice parce qu’ils sont lisses.
Notre année est scandée du pas cadencé des aspirants, des postulants à l’art de gouverner. J’ai hâte d’entendre rugir de Rugy. De Gaulle cite Hegel : « Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre. »
La grandeur est un songe qui fortifie l’orgueil créateur. De Gaulle sait les ressorts de la mascarade, d’une gaudriole à têtes de mort. Je souhaite que la valetaille se désengage de la bataille. J’aimerais qu’une certaine bleusaille débarrasse le plancher. Je mendie des restes de beaux gestes, des rudiments du bel idiome gaullien.
A ma connaissance, un seul grand fêlé domine la scène endiablée : l’immodeste Villepin, mousquetaire de la France. J’ai lu ses Mémoires de paix pour temps de guerre (Grasset, 2016). Il colle au sillage du grand Charles. Au-delà d’une fière allure, on observe une stature. Pareille vertu ne court pas les rues. Ramuz, l’écrivain vaudois, de Gaulle, le sublime soldat, Flaubert, le moine littéraire, Villepin, le plus zinzin des politiciens. Voilà comment s’échapper d’un scrutin carcéral. Les trois premiers paradent en Pléiade. Je considère les primaires comme très secondaires.

mardi 27 décembre 2016

Dix-sept

Dix-sept a la figure de l’excellence, une allure de majesté dans la notation des connaissances.
La copie évaluée dix-sept est la première du tas – dix-sept, nombre premier -, l’année première de cordée face à l’avenir à gravir.
Dix-sept est exemplaire. Dix-sept prend les devants. Qu’elle apporte une grandeur et donne du bon temps.

samedi 17 décembre 2016

Mauvaise Campanie

J'ai pour gîte EasyJet, deux heures bleues à la fenêtre, de Naples à Orly. J'ajoute une épithète, une touche violette à la bougresse. Je maîtrise peu mes dettes, je noircis un carnet de précieuses défaites ou d'ennuyeuses redites. Napoli est un pluriel de voyelles, terre et ciel pêle-mêle. La cité des saletés est un bouquet de vitalités édentées. Le rouge éclate comme une flamme incarnate.
L'empathie du pamplemousse me dissuade d'être complice. J'y mets du gin, de l'entrain, du campari, de la fantaisie. J'entends l'accent effervescent des gens. Je trinque avec l'oiseau couineur, candide et perché, sur les parapets de l'Excelsior.
La ville est pavoisée de draps qui rutilent. Le chiffon délimite l'horizon. L'art des ruelles est fait de graffitis textiles. Via Toledo, nul besoin des mots d'Il Mattino. On fait les poches comme la gueule ou son âge. Je mêle mes doigts comme les pinceaux délavés d'un moine abbé. Sentir m'interdit de mentir. De quelque chose, avoir envie.
Céline me souffle un bout de son bénédicité: "J'ai le respect des somptuosités." Je songe à la sambuca, au vin morveux, à la luisante beauté bleue. Je remue la glace, les lèvres du calice. Entre algarade et pétarade, visages et coloris, je bois des limonades à l'anis. On s'en tape d'Alep, pas leur type, pas de malaise ici en mauvaise Campanie.

vendredi 2 décembre 2016

Nafissatou, c'est fini

Nafissatou a lâché son candidat chouchou. La dame de Manhattan abandonne son bonhomme de président en rase campagne. Elle l’avait précipité à l’Elysée, chef d’une nation amie, sous le coup d’une grosse émotion, d’une odieuse brutalité d’oreiller. Nafissatou s’en mord les doigts. Elle a défait son roi. L’effet Nafissatou, c’est fini.
La gouvernante new-yorkaise a voulu qu’il se taise et retourne en Corrèze. Elle a destitué l’homme de Tulle, épaulé d’un coup de pouce, aidé des bons offices du serial killer François le Sarthois qui a estourbi l’utile Sarkozy, rassembleur idéal d’électeurs socialistes.
Nafissatou a fait son temps, Hollande son mandat. Fillon a fait d’une pierre deux coups. On tourne la page de deux présidents assez quelconques qui ont échoué à requinquer la grande nation. Le roman s’écrit avec d’autres protagonistes, d’autres lieutenants à mentors morts : Rocard pour Valls, Séguin pour Fillon, et même Hollande pour Macron. Au cœur du récit, sous la plume de l’auteur, on identifie une reine de la dynastie Le Pen, Marine la croquemitaine. A la gauche de toutes ces droites, figure le bouillant Mélenchon, joyeux castriste et méchant compagnon. 
A voir notre rubicond « pépère » devenir blême, se justifier à l’antenne des déboires de sa fonction, on songeait à un boxeur groggy, baladé dans les cordes, les yeux baissés, en difficulté sur ses appuis. Car ledit pépère n’était plus unitaire. Il redoutait les discours,  les misères de Montebourg à l’embarrassante primaire. Les vaincus qui reculent, les battus d’avance qui renoncent provoquent une suspecte indulgence. D’aucuns parlent d’un courage certain à fuir la défaite comme une certitude du destin. Or il n’y a rien de magnanime à jeter l’éponge avant le gong. La lucidité est une vertu d’homme du marais,  d’un partisan tiède des justes milieux.
Ma seule gentillesse à l’adresse du petit président en détresse sera de me remémorer la belle parole de l’auteur de La Pesanteur et la Grâce : « On ne possède que ce à quoi on renonce. » Le préretraité de l’Elysée, le non-candidat, est désormais propriétaire de cette liberté-là. On retiendra de lui que le plus beau jour de sa vie s’est situé au soleil du Mali. Il m’aura échappé qu’il avait « réenchanté le rêve français », cette sorte d’identité heureuse à la Juppé.