lundi 16 avril 2018

Nous sommes bien avancés

Leurs physiques les situent aux antipodes. Mais ils ont les mêmes  manières anachroniques : vieille France pour Giscard, look d’après guerre, Boris Vian, pour Macron.
Tous les deux sont faussement de leur temps. Ils préconisent un même libéralisme avancé, slogan du fringant président auvergnat. Macron martèle sur tous les plateaux, moulinant ses petits bras de bateleur : « J’avance ». C’est un marcheur qui avance.
Les deux monarques républicains sont intelligents, très intelligents. On pense à la tirade de Claudel : « Il n’y a qu’une classe dangereuse, c’est celle des intellectuels, c’est-à-dire des gens qui possèdent un instrument pour lequel il n’y a pas d’emploi »  (Conversations dans le Loir -et-Cher). J’ajouterai : pas plus chef d’Etat qu’un autre.
Or la virtuosité d’esprit réfléchit une image d’arrogance tribale, diffuse un sentiment de privilèges transmis, d’appartenance de naissance à la chefferie rayonnante.
Tous les deux se complaisent dans des mises en scène pompeuses, des décors d’opérette grotesques. Macron aime le théâtre, fait l’acteur, joue le rôle de Giscard dans une mauvaise pièce de Chaillot. C’est un comédien du pouvoir républicain. Il avance ainsi, mal masqué. Nous sommes bien avancés.

vendredi 13 avril 2018

Pernaut consulte

Sur les murs de l’école, les couleurs des marmots font ce qu’elles disent : elles jurent entre elles. A Berd’huis, on s’initie à la peinture à l’huile. On pratique le collage et le graffiti au détriment de l’apprentissage de l’écrit. L’hégémonie chromatique règne sur une classe gribouillée. La République distribue des diplômes en caramel bistouille, pas des certificats en chocolat.
C’est là, dans l’Orne et ses mornes bocages, que le président Pernaut, prince des terroirs, a convoqué son chef de culture, Macron, le géographe de l’île de Guyane. Notre débonnaire président consulte son meilleur régisseur sur l’évolution des derniers chantiers. Il écoute religieusement le déroulé des boniments.
Macron est un technocrate de haut niveau qui parle de son grand-père cheminot. Il est vitaminé à l’excès. Il ressemble à Lance Armstrong, aussi blanc de figure, déterminé à pédaler jusqu’au bout de la grande boucle. C’est un cycliste de contre-la-montre aux jarrets métalliques.
Le président des champs de luzerne ne veut pas passer pour une baderne. Jean-Pierre ne veut pas qu’on lui raconte des histoires. Il peut se fâcher. Mais la maîtresse de l’école l’a prévenu avec délicatesse si l’atmosphère venait à s’envenimer. Elle sait que Macron est un bouillant soldat, qu’il peut faire des éclats si Pernaut l’asticote un peu sur le résultat des courses. En tout cas, le conseil municipal ne tolérera aucune déprédation du local.
Moi qui suis retraité, et bien qu’un peu dur de la feuille, j’ai compris que je ne serai pas traité comme un portefeuille. Qui bene amat castigat bene. S’il me châtie ainsi, c’est qu’il est mon ami. Mieux : le bénévolat des vieux est leur destin, un bâton de maréchal en chocolat. Macron pousse le bouchon jusqu’au fond.
J’aurais mieux fait de m’encorder à une start-up. D’autant qu’il est là pour cinquante ans, le véhément garçon. Il retape les fondations de la grande nation. Le président Pernaut, jadis lobbyist chez Bouygues, écoute sans mot dire l’évocation d’une maison de Macron. Il possède sur le bout des doigts l’argumentaire de la maçonnerie. Ce sera une maison sans taxe d’habitation. Même si l’argent domestique n’est pas magique. J’ai lâché un peu, mais me suis réveillé à cause du mauvais français. J’ai eu l’oreille éraflée. A Berd’huis comme à Paris, on ne dit pas « ce midi », mais « à midi ».  
Je me calque sur ce que disent Macron et les cheminots, sur tous les tons.  Je suis allé jusqu’au bout. Mais, au bout du bout, il y aura trop de monde. Ou pas assez de bouts.

jeudi 12 avril 2018

Palerme et les mots

A Palerme, rien n’alarme sauf une lumière du matin. Je griffonne les menues pages d’un carnet. Je jette sur le papier les fragments désaccordés d’une vie émerveillée. La saisie littéraire d’une sensation est une manœuvre éphémère. C’est un exercice de vérité. Il fait du songe le contraire du mensonge.
Les insoucieux Siciliens considèrent le travail comme une occupazione, sans autre espèce d’émotion. J’aime un large dédain du quotidien.
Via Principe di Belmonte, on observe les ciselures des ombres sur les murs, on paresse à la terrasse du Spinnato. La pasticceria est saturée d’exquisités sucrées. Je commande, non je quémande, un cioccalata calda in tazza.
A toutes les heures d’un malicieux désœuvrement, deux élégants vieillards s’attablent, rigolards et charmants, baskets écarlates. Soudain une jeune fille grimpe au cou du grand-père à chignon gris. L’embrassade démonstrative, vivace, est l’art sicilien des quiétudes apéritives.
C’est un soleil de trois heures qui chauffe le contour des cheveux. Boire d’un trait, c’est comme écrire d’un jet : c’est bon.
Après la collation du matin, j’apprécie le chiffonné du Corriere della Sera. Je m’assieds à lire des histoires. A côté du buste de Wagner, dans le hall marbré du grand hôtel des Palmes, délicieusement décati. Un jour, j’écrirai les sottes cérémonies du travail. Cela s’appellera « La clownerie des lundis ».

lundi 26 mars 2018

Si légère est l'urgence

La page est blanche. Elle est riche de tous les virtuels possibles. L’infini ne joint pas les deux bouts. Rien n’est joué. Rien n’est écrit. Rien n’a de sens d’avance.
Il est téméraire de s’aventurer, en première ligne, en premières phrases, sur une terre littéraire, sur un champ de chair. Il est téméraire de briser la ronde coutumière des jachères.
Tracer les premières lettres, se saisir de l’alphabet éparpillé, composer des mots qui fassent écho, dessiner des fragments de signifié, s’affranchir d’un impérieux désir : écrire comme on libère un cri.
Le lieutenant colonel sait quoi faire, décider sans collégialité, dans l’immédiateté. Le lieutenant colonel a des ailes. La terreur ne lui fait pas peur. C’est un chef de ferveur : il est à l’œuvre. La poésie d’Ezra Pound lui indique la direction du pays : « Si légère est l’urgence ».
Le lieutenant colonel se livre à l’ignoble forcené du mal, arrache la caissière des griffes du furieux animal. Acte anti-économique, par excellence. Acte christique.
Le lieutenant colonel est seul, infiniment seul, premier et dernier de cordée. Avant d’expirer, il prie sa patrie. Il écrit avec son sang le chef d’œuvre d’une vie, le récit fondateur de notre temps. C’est un livre de résistance, le traité d’une grandeur, l’évangile gaullien d’un admirable gendarme.
La rébellion du lieutenant colonel n’est rien d’autre que de servir une nation, d’honorer sa mission. Elle a le style des beautés les plus pures, des fulgurants chants d’amour, insoucieux des périls de bravoure.

dimanche 18 mars 2018

Tête haute

L’honneur est sauf à Cardiff. Certes, il y a une gabegie de points perdus en terre celte. Mais il y a de la joie dans le chaudron gallois. La bouille juvénile de Trinh-Duc pétille, même s’il rate son match, traîne sur la pelouse une nonchalance d’échec.
Le corps de Bastareaud est taggé comme un mur de métro. C’est une histoire sainte, les vitraux d’une église, les fondamentaux du rugby, dessinés sur la peau. Bastareaud grand frère calme Lauret vert de fureur. L’ogre bleu est un capitaine silencieux, exemplaire, responsable pour deux.
Fickou est dans tous les bons coups, ne traverse la défense jamais dans les clous. Il se moque du bête essai casquette, il marque un essai de fête.
On s’est souvenu que ce sport de rue se jouait avec des individus, que le jeu exigeait l’orgueil d’un moi je. Pelissié charge en sanglier. Rien ne l’émeut, n’entame son courage, surtout pas la meute de maillots rouges. Il dynamite le jeu mécanique. Il court droit devant, pas sage comme un garnement, à l’abordage. Nos durs à cuire réhabilitent le morceau de bravoure. Il est suivi par Grosso et ses ruades de costaud. Avant que Tauleigne, flanker téméraire, ne troue la ligne adverse, intouchable émissaire, royal Magne des grands soirs. Fall l’acrobate fait respirer la balle.
On renoue avec la cavalcade qui n’est pas une fanfaronnade. On cède aux foucades et aux incartades qui ne sont pas des gasconnades.
Les retouches à la touche ont fait mouche. Nos talonneurs sont laboureurs et gambadeurs. Même sans Camara, notre meilleur fusil, blessé à l’heure de jeu, la manière est française, le style est d’allégresse. J’absous Brunel car je tiens à ce rugby malchanceux comme à la prunelle de mes yeux. Les carottes sont cuites mais les têtes sont hautes. Il manque un point. Nous ne manquons pas de joueurs d’instinct.

samedi 17 mars 2018

Les Demoiselles Coiffées

Il y a des hauts et des bas. Les cols sont fermés comme des bouilles renfrognées. La neige a enseveli les derniers coloris. Le cliquetis des bennes ponctue les étendues souveraines. J’ai passé Les Demoiselles Coiffées, quitté Gap, serpenté, cheminé sur l’asphalte entaillé, derrière une coalition de dos ronds, derrière une dénégation de camions de route Napoléon.
Pas de bêtes féroces au Val d’Allos. A Pra Loup, je gare mes quatre roues avec un zèle ustensilaire. Les mélèzes sont des banderilles grises sur les flancs des massifs. D’abondance, un sang blanc coule vers la Durance.
Notre cellule de moine est d’un merdique patrimoine. Réfectoire braillard de mauvais verres à boire. L’intime intériorité patine dans une gargote sans âme.
J’ouvre une parenthèse, au milieu des mélèzes. Du vaste ratage, je sauve l’instant suave. Je bivouaque au soleil téméraire du Clos du Serre. Je songe à Lagarce, grand gars des lettres françaises, renégat de race : « C’était un peu mélancolique comme toutes les fêtes réussies » (Journal, tome 1, page 280, Les Solitaires Intempestifs, 2007). Il a suffi d’une éclaircie. Fred. C’est le petit nom du livre à faire. Fred for ever. Fred for Rêveur. C’est décidé.

dimanche 11 mars 2018

Maculés d'un sang morose

Les gredins de gradins agitent des fanions aux couleurs de la nation. Camara fend l’invincible armada. Camara reste droit comme un mât. Grosso slalome en desperado. C’est un rugby empêché, entravé, contrarié. Avec nos quinze quintaux, on définit une ligne Maginot, sans magie mais veto, un espace de statu quo.
On n’avance ni ne recule. On pousse, on ne cède pas d’un pouce. Nos touches sont floues. Nos piliers sont pénalisés. Machenaud botte entre les poteaux. Les tribunes à pardessus sont coloriées de faciès rougeauds. On s’exalte des bastonnades de Bastareaud. Notre grande asperge edouard-philipparde cause avec un Laporte goguenard.
Les Anglais marquent un vrai essai. Mais les maillots blancs du Quinze de la Rose sont maculés d’un sang morose. On a gagné à la hache sans le moindre panache. Rien d’historique, mais un rugby qui balbutie, plein de hics.