dimanche 10 janvier 2021

Gracq, le patron

Livre blanc, d’hiver, de la taille d’une boite de cartouches, couverture glacée. Un homme ramène sa phrase. Il aurait cent dix ans. L’écrivain comble un vide, nous évade du covid. Pléiadé de son vivant, Gracq fignole un deuxième tome, lâche des mots, exige un rabiot, exhume un volume. Poirier cause métier. L’éditrice annonce vingt-neuf cahiers à débroussailler, une grande œuvre à paraître, à la fin de l’ultime quinquennat du paltoquet du Touquet. A la seule évocation des « contemporains égratignés », on pense à l’admirable correspondance Morand/Chardonne. Les fervents du culte gracquien ont griffonné « Notules » sur l’agenda 2027. L’art de la dent dure est un genre supérieur de la littérature. Julien le Vieil s’est extrait du cercueil. Il est mangé par les fourmis, démangé par la baguenauderie. D’entrée de jeu, il nous cogne à la nuit d’une Sologne, comme à la vitre ensauvagée d’un alcool d’origine. Gracq, même fragmenté, emballé pêle-mêle, on sait la denrée rare, on la touche comme une relique, on en mesure la grâce, le luxe à saisir, les bonheurs d’écriture où s’agripper. Le mort fait le mur. Au fil de sa flânerie, le scribe ouvrier de Saint Florent réitère ses tours de magie littéraire, peaufine ses envoûtements comme des bouts de testament, imprime un style de lent remuement à travers des pans de paysage véhéments. Quand on lit Gracq, un feu crépite, on sait qu’on est dimanche. L’attente est une volupté, une rétention d’attentat. Les deux se percutent comme dans Le Roi Cophetua. C’est un livre carré, presque trapu bien que mince, qu’on tient dans les mains, que les doigts fixent, qui sollicite un silence, se lit du bout des lèvres, se psalmodie, un recueil de belles choses qui impose une prose, une sèche sensualité, une royale facture d’orfèvre. Il y a des mots jamais vus, venus d’ailleurs, de la forge même de l’auteur - escampative, exhilarant, grumeler, corrugant - , des expressions meurtrières telles que « la floraison de plantes grimpantes » pour désigner les parasites de la culture, « vrais Kamtchatkas poétiques » pour dire la distance stellaire entre le quelconque et l’excellent. Le bric à brac de Gracq recèle de petites gâteries à l’endroit des littérateurs de son format. Au besoin, tempérées de splendides vacheries. Si l’on évacue Breton du peloton - Poirier lui a consacré un ouvrage entier -, Valéry obtient la palme. Colette n’est pas loin, Montherlant est secrètement jalousé : « C’est tout de même un très grand écrivain ». Hugo, Eluard prennent des coups. Proust et Rimbaud en sortent indemnes. Qu’est ce que la littérature, « ce pouvoir de happement sans retour » ? Ce n’est pas compliqué. « Non seulement quelqu’un nous parle à travers ce texte, mais quelque chose, qui est la langue saisie dans son droit-fil » (page 162). La coquetterie du patron de la maison - je pense à Paulhan quand il parle de Braque - nous enchante quand il évoque une production intermittente, une cadence nonchalante en librairie qu’explique un statut de professeur de géographie. « Je ne suis pas du bâtiment, mais je peux faire à l’occasion aussi bien que vous » (page 135). « Noeuds de vie », Julien Gracq, Editions Corti, 2021

mardi 5 janvier 2021

L'abaissement d'une nation

Les frontières sont des accidents administratifs. La géographie fait fi des lignes de paperasserie. L’abattage des haies est un dogme de pensée fédéraliste. La concurrence, cette jalousie des pays, est un moteur de croissance établi. La comparaison de ses nations est le mètre étalon, l’outil de mesure qui valide les connaissances, qui distingue les performances. Ce corps de doctrine libéral, unanime à Bruxelles, ne s’applique qu’en temps de paix, qu’aux heures de calme olympien, de sieste européenne. En période de guerre, de sauve-qui-peut, d’hostilité virale à qui mieux mieux, on nationalise le capitalisme illico presto. Le communisme est réhabilité sans débat, à l’unanimité, imposé manu militari à Bercy. Le salariat d’Etat généralisé est d’ailleurs accueilli comme un kit de survie providentiel. Cette fois, la pétaudière macronienne a donné sa pleine mesure. L’impéritie du pouvoir s’est révélée inventive, imaginative dans ses menteries, bigarré dans ses manquements. Les épisodes calamiteux se sont succédés comme des fatalités climatiques, mécaniquement répétées. Devant l’ahurissant fiasco de la vaccination, l’Etat réfute les comparaisons internationales, ferme les frontières de la raison, installe une chape de plomb obscurantiste sur son inaction, masque la vérité, abolit les faits. Avant de mourir, j’aurai connu une fois dans ma vie, j’aurai ressenti dans ma chair l’humiliation, l’abaissement d’une nation.

samedi 2 janvier 2021

Désaltérer l'espoir

Au coin du feu, les vœux rendent un son lointain. Le covid 19 rappelle la cop 21. On en fait des tonnes dans la propagande. Les laïus n’impressionnent pas les virus. Les blablas laissent de marbre le climat. Les souhaits sont une méthode Coué de fin d’année. Les mots sont des passions sous placebo, une manière d’être content et de gagner du temps. Le chef de guerre invoque l’espoir. Dans son quart d’heure de fausse humilité, d’empathie falsifiée, de satisfecit fabriqué, il agite un mouchoir. Or l’espoir n’est jamais que la forme la plus achevée du désespoir. Dans « Noces », Albert Camus met les points sur les i : « L’espoir, au contraire de ce qu’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, ce n’est pas se résigner ». La miraculeuse vaccination est la résignation d’une nation. Une vaccination rationnée, qui plus est. La nation, souvent turbulente, est priée d’être lente, de se garder de toute précipitation. Elle sera piquée, à son heure, après mille préventions, au prix d’un luxe de délicates attentions. Mais cet espoir obligatoire, le chef de guerre nous exhorte à le « désaltérer ». Pas compris, l’éclat d’Héraclite. En revanche, j’ai trop bien saisi ce qui suit. Ce lendemain qui chante, cet espoir a un nom de confection locale, d’appellation de terroir, une expression forte de nouveau philosophe : « Le nouveau matin français ». Sous-entendu, midi et soir restent inchangés. Ce matin de magicien définit un destin. Le convalescent de Brégançon termine sa douce causerie par une gâterie de réveillon. Il distribue des bons points, des bouts de sa propre fierté, des fragments de sa majesté à chacun d’entre nous : « Soyons fiers d’être nous ». Rien de plus vulgaire que d’être fier. Là, je lâche. Et Flaubert m’est nécessaire pour calmer une colère. « Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit ». La reine d’un jour, Mauricette, a clos la litanie des saints du calendrier viral, l’émouvant palmarès des admirables anonymes. Macron au prompteur, politicien retors, c’est Giscard moins le bicorne de polytechnicien.

jeudi 31 décembre 2020

Mauricette

Retranché dans son fortin varois, Humble 1er barbote dans une pataugeoire. Il reconstruit une estime de soi. Le chef de guerre a été secoué par le virus délétère de Chine. Il peaufine une revanche en catimini. Il parachève une stratégie d’encerclement, d’asphyxie de l’ennemi. Pour ce faire, la vaccination sera le glaive de la nation toute entière. Humble 1er supplie Diafoirus. Il veut remonter sur son cheval. Même Angela, la grosse cavalière, n’en était pas tombée. Mais Diafoirus est un toubib inflexible, insensible aux pressions. Il lui interdit de lancer l’assaut, lui prescrit piscine et les ronds dans l’eau. Les communicants du palais s’impatientent. Ils sont consultés. L’un d’entre eux connaît Mauricette, la soldate de Sevran, rangée des voitures depuis belle lurette, une idéale Jeanne d’Arc d’opérette. Humble 1er la désigne d’office première de cordée. Mauricette se jette à l’eau, lance l’assaut. La transparence exige qu’on placarde son effigie dans les mairies, les pharmacies, les Monoprix. Mauricette est gonflée à bloc. La première vaccinée déclare au journal télévisé, comme une jeune épousée à l’heure du baiser nuptial : « Même pas peur ». La caméra authentifie l’exploit. La seringue enfoncée dans la chair s’apparente à un drapeau tricolore planté en terre hostile. Mauricette nous délivre d’une disette. Le féministe Humble 1er a bien choisi sa reine d’un jour, sa lampiste d’hospice. La vaillance de Mauricette touche le cœur des midinettes, mille fois mieux que le parler en dialecte de Castex. L’effet mimétique de la star de Sevran ne se fait pas attendre. En trois jours, l’attaque éclair de Mauricette a convaincu 138 pékins. Au diable les mots, rien ne vaut l’exemplarité. Des esprits chagrins s’en offusquent. Au palais, on maugrée. On lit et relit le JDD. « Avec Pernaut, premier piqué, on aurait doublé le score. »

jeudi 17 décembre 2020

Théodule Delfraissy

La bestiole caracole, sait d’instinct que l’Elysée est une auberge espagnole. Le virus y circule à son aise comme un espion russe en mission. L’Elysée est ouvert comme le Grand Rex ne l’est pas, comme l’Opéra Garnier ne l’est pas, comme le routier du coin ne l’est pas. Restaurateurs et saltimbanques se produisent dans des clusters sans foi ni loi sanitaire. On met d’autorité les scellés sur l’outil de travail. La loi est bonne fille pour certains, scélérate pour d’autres. Elle ment en même temps. Le président impose la géométrie variable comme science souveraine du quinquennat. Et le comité Théodule Delfraissy dans tout ça ? Il n’est jamais à court de fantaisies. Il laisse faire. Il laisse faire son commanditaire. Le palais présidentiel est un bien essentiel. De deux choses l’une. Ou bien le président n’a mis de masque, n’a pas respecté les gestes barrières élémentaires, ne se lave plus les mains depuis belle lurette. Ou bien c’est le sympathique Jérôme Salomon qui a raison : le masque ne sert à rien. Et ce sont les affreux complotistes qui ont la bonne intuition : les gestes barrières et le lavement des phalanges, c’est du bidon. Bref, quand le chef de guerre est touché en pleine tête, c’est que la stratégie a du plomb dans l’aile. L’ennemi marque des points symboliques. Une ligne Maginot autour du Château ? L’Elysée doit fermer sa boutique de conseillers techniques. Illico presto. L’Elysée doit boucler ses volets sine die. La troisième vague est tapie derrière les sapins, va déferler sans crier gare sur le Château ouvert à toutes grandes marées, ne fera qu’une bouchée des derniers chargés de mission valides. Théodule Delfraissy, roi des téléconférences, sauvera ce qui reste du palais de son prince.

mardi 8 décembre 2020

A défaut d'écho (L'interview)

Quoi dire d’ « A défaut d’écho » ? C’est un livre qui s’est déclaré comme un incendie, sans le vouloir, qui a calciné la routine, au hasard d’un cheminement sur Linkedin. D’un gentil « j’aime » recueilli, suivi d’un commentaire sensible, érudit, à un texte d’hiver, à des mots de moi évoquant une rêverie dans les neiges, procéda une correspondance dans l’urgence, l’échange fatal de deux solitudes. Se produisit une flambée du désir, le rougeoiement d’une imagination, la fièvre d’une passion. « A défaut d’écho » relate cet embrasement, accole des mots sur de violents sentiments. Le livre juxtapose les mails, les offre pêle-mêle à l’étrangère du bout du monde, à la rouquine voisine de Linkedin. Il s’écrit à sens unique. Car les réponses se sont perdues au montage. On en pressent la teneur, on en devine ce qu’elles expriment. Il appartient au lecteur de les restituer, de les inventer. A vrai dire, le récit se situe à la croisée de trois genres littéraires : la lettre d’amour, le journal intime, le monologue de théâtre. Lettre d’amour impossible, bouteille à la mer, bien sûr. Journal intime, littéraire de surcroît, sans doute égotiste. Monologue intérieur, dans le noir d’un regard, qui vainc la peur. Mais il faut ajouter autre chose. « A défaut d’écho » se réclame de l’art de la carte postale. Le livre s’est écrit en juxtaposant des dizaines et des dizaines de photographies de plage, en accolant des petits mots charmants d’un temps de désœuvrement. Le titre du livre ressuscite un bouquin que j’aime bien, de fin de vie de son auteur. En son temps, j’ai admiré « A défaut de génie » de François Nourissier. J’ai voulu ce coudoiement dans l’écriture d’un roman, cette complicité pour dire la beauté du métier, exalter la noblesse artisane. J’ai souhaité que le lecteur se sente bien dans ce style de littérature, s’éprouve bien chaussé dans un soulier, agréablement ressemelé, d’honnête cordonnier. Se souvenir que le premier mot du texte est un mégot d’incendiaire. D’un geste fortuit s’ensuit la fantaisie du récit, s’impose l’obligeante nécessité d’écrire. Que vous a appris ce travail inédit d’écriture ? « A défaut d’écho » est le fruit d’une alphabétisation, le produit littéraire d’une appropriation personnelle des réseaux sociaux. D’une certaine manière, j’ai voulu tester la ressource imaginaire des nouveaux médias numériques. Par le biais du réseau social, Linkedin en l’occurence, mais Facebook aurait fait pareillement l’affaire, j’ai joué le jeu des complicités, des frottements, voire des intimités virtuelles, j’ai expérimenté un mode d’expression nouveau pour moi, avec ses usages un peu dépaysants, ses us et coutumes particuliers. De cette pratique, j’ai tiré le fil littéraire, l’animant, le coloriant des péripéties de ma propre vie. Je me suis plu à une certaine vitesse, à une certaine spontanéité de rédaction. J’ai joué le jeu d’une écriture à la diable, moins tenue, moins boutonnée. « A défaut d’écho » témoigne d’une pareille fraîcheur dans le maniement des mots. C’est une sorte de bluette, une parenthèse guillerette. Un mot encore sur le choix du titre … « A défaut d’écho « ? Le titre s’est imposé. J’ai dit pourquoi. Sauf, qu’à la dernière minute, à l’heure du bon à tirer, j’ai hésité, ma main de scribe a tremblé. Ce livre aurait pu s’intituler « L’Eau du Soir », comme une évidence, celle précisément du parfum de la jolie rouquine de Linkedin. Sur les lèvres, j’avais aussi un autre titre, d’ailleurs évoqué dans le récit : « Entre nous et les lignes ». Mais je suis, je reste toujours fidèle, voire obéissant, au premier mouvement. « A défaut d’écho », c’est un titre allégorique qui désigne une solitude, un cri dans le désert. La forme du roman épistolaire qui l’exprime s’apparente à une bouteille à la mer, à un hurlement dans l’océan. Aucun écho. J’écris des ronds dans l’eau. Vos projets désormais ? J’écris la suite de « Fred ». Je me consacre au « livre de ma mère » qui en est le pendant naturel, nécessaire. C’est une prière qui s’adresse à une mère, les mots sans écho d’un marmot. C’est un travail terrible, un labeur d’une infinie difficulté, mais d’un genre, d’une facture très classique. C’est un roman qui ne transige ni avec la vérité, ni avec la beauté, puisque les deux se décalquent sur une même page. J’y manie le rabot des mots à ma fantaisie. J’y sacralise la phrase. J’y pratique la littérature comme le culte secret des plus hautes ciselures. « Tita Missa Est » sera un texte test, l’ambition de réaliser une prouesse : j’écris un livre que je ne sais pas écrire. C’est pourquoi j’ai peur, fouetté par l’enjeu, je suis dans mes petits souliers. Avec « Tita Missa Est », je rentre à nouveau dans le dur. La phrase est une torture. Je passe des heures sur chacune d’elles. Je reviens à mon écriture d’origine. J’avais fait le mur. « A défaut d’écho » est un livre d’école buissonnière. Votre souhait le plus cher, ce serait quoi ? Mon rêve ? Je réfléchis. Oui, prendre un bout de phrase, la première venue, n’importe laquelle, un peu comme on arracherait une touffe d’herbe ou comme on torderait un fil, comme on sectionnerait un morceau de ferraille. Et d’un détail de la nature, d’une pareille miniature des arts, ou encore d’un petit fragment d’artifice, j’aimerais modeler une forme pure, aussi imprévisible qu’une humeur, aussi indécise qu’un caprice d’écriture. Avec un bout de ficelle, je voudrais inventer une forme qui tienne, créer un ciel qui m’appartienne.

jeudi 3 décembre 2020

A défaut d'écho

Les livres se suivent et ne se ressemblent pas. Mais les péripéties se poursuivent, se précipitent dans la fièvre, écrites d’une même main, l’une des deux miennes. Au mois de décembre, je publie un roman d’amour, le récit d’une passion, « A défaut d’écho », le septième ouvrage de ma composition.