mercredi 22 septembre 2021
Belmondo, le mien
Je n’allais pas voir les films de Belmondo. En revanche, j’allais revoir les chefs d’œuvre de son aurore. J’aimais sa décontraction, moins ses cavalcades, son insatiable débauche d’action.
L’industrie du cinéma l’a privé d’un authentique génie abouti. Jean Marais vieillissait. Le genre cape et d’épée avait besoin de se requinquer.
Belmondo, loin des canons formels de la beauté classique, renouvela le format. Belmondo tourna le dos au travail sur les textes, les sentiments, une intériorité. Aux silences sans écho d’un style d’action: la contemplation.
D’entrée de jeu, Melville et Godard cernent en Belmondo un drôle de zèbre, un hors la loi d’une autre espèce, à faciès sans complexe.
Qui a vu « Léon Morin, prêtre » sait de quelle merveille il s’agit. L’acteur est à hauteur de l’admirable Emmanuelle Riva. Belmondo situe son jeu dans la gamme du Trintignant de Rohmer dans « Ma nuit chez Maud ». Il n’affiche pas encore ses dents sur l’écran. Il ne sourit pas, quelles que soient les péripéties, les aléas de petits récits. Il joue la comédie avec délié, souplesse et courtoisie. Godard, si méchant, dit qu’il est gentil. Belmondo se soumet aux sublimes facéties du maestro.
« Pierrot le Fou » fait l’effet d’une détonation dans le ciel des Beaux Arts. Belmondo prête une fraîche désinvolture au film solaire, fait de danse et de circonstances, de toiles de Stael et d’opéras. Opera, pluriel latin d’opus.
Dans L’Humanité, Aragon sort de ses gonds, crie au génie, exalte un spectacle féerique qui allie Belmondo, Céline et Rimbaud. Godard peint la mer, le ciel, Anna Karina. Belmondo: la dynamite est son bleu de travail. Il se peinturlure, se grime aux couleurs de la Méditerranée, fétichise la statuaire grecque. Avant de clore en terreur l’aventure d’un corps.
Quand donc, sacré bonsoir, La Pléiade éditera-t-elle les somptueuses chroniques du poète stalinien dans le grand journal communiste ?
Léon Morin, prêtre. À Bout de Souffle. Pierrot le Fou. Le reste est littérature. Le choix d’un système pour la billetterie de Box Office.
Le grand Belmondo, au talent si nouveau, s’il avait suivi les chemins d’une création qui se fiche du film d’action, qui le suspecte d’exaction, si jamais la star s’était un peu souvenu des exigences de son art, de la leçon des films de son aurore, alors notre héros du jour aurait pu endosser la tunique du grand acteur, d’un comédien exquis, colérique et humain. À la Bacri.
Son naturel déjoue la querelle. Il périme d’avance le carcan moral du vieux temps gaullien. A mille lieues de la politique, le frénétique casse-cou annonçait déjà l’ennuyeux enragé de Mai, les scouts libertaires détrousseurs de pavés.
La dégaine de Belmondo a imprimé une nouvelle manière d’être, affranchie des postures guindées des codes éculés de la bourgeoisie. Juste après Bardot.
Belmondo, c’est Mai 68 avant la lettre, une douce, joyeuse, gentille révolte individuelle qui anticipe les monômes du soporifique Bendit.
J’aime de Belmondo deux de ses visages: sa figure de curé en soutane - il n’a pas trente ans - , sa trogne burinée de vieil histrion attablé au Café de l’Alma. Entre les deux, le bondissant quadragénaire ne m’émeut pas outre mesure.
Il achève un tumulte par un double grand huit.
jeudi 26 août 2021
L'enchantement des métamorphoses
L’enchantement des métamorphoses
De La Fontaine, Céline disait qu’il était « final ». L’œuvre du fabuliste clôt la pensée buissonnière de Michel Serres. L’essai posthume, reconstitué de ses papiers, fichiers et dossiers, déterrés de ses tiroirs, est un collage de textes épars, un embrouillamini de choix, la trace interrompue d’un livre entrepris, stoppé, repris au fil d’une vie.
Deux projets se percutent ici qui lui tiennent à cœur. La légende des Fables – ou comment les lire – et l’ambitieux livre des prépositions qui expose la philosophie ultime de Serres. La pensée de cet athlète, esthète des grands textes, transite par les mythes, récits et textes composites.
Serres et La Fontaine sont faits pour s’entendre. Le protégé de Fouquet et l’éblouissant Agenais rugbyman sont des moines défroqués. Sur le chemin de la rigoureuse attention, ils trouvent la contemplation du monde, le silence de la nature et de l’écriture. Les deux académiciens n’en demeurent pas moins remuants, distraits par les mouvements et circonstances, le jeu des genèses et des turbulences. L’un et l’autre renardent dans les fourrés, s’enchantent des bobards de lavandières et des racontars d’ivrognes.
Le La Fontaine de Serres récapitulent trois de ses anciens livres, manuels de survie philosophique : Le Parasite, Statues, Variations sur le corps.
Serres en a sa claque de la métaphysique comme philosophie première. L’ontologie rate la relation. L’être est un gros poussah vide, un gros mot creux, un sumo sans souplesse qui encombre la pensée. Serres se sauve de la figure trop stable de l’être grâce à de petits signes lilliputiens : les prépositions. Entre, avec, chez. Serres collecte les manières d’être, d’aller vers un complément, de coudoyer l’autre, de voisiner autrui, de venir au monde.
Les prépositions chevillent la langue, opèrent l’enchantement des métamorphoses. Les animaux des apologues somment tous les rôles de composition des hommes. La Fontaine emprunte aux fabulistes grecs, latins, iraniens, indiens. Il s’inscrit dans le roman national de la littérature française comme Homère dans l’éducation grecque des origines. Il privilégie une sorte de féerie des formes, une indifférenciation des identités, à la manière d’Ovide ou d’Apulée.
Mais d’abord. « Que suffit-il de savoir, que faut-il enseigner ? Les mathématiques et les Fables. Le reste est littérature » (page 58). Autrement dit, la rigueur et la fantaisie. Serres est formel. Leur alliage est gage de création. Les deux disciplines reines se frottent aux métamorphoses. L’inconnu des raisonnements est un équivalent général comme l’argent. La métamorphose est un passage à l’acte, le déni d’une définition. Elle résulte de l’expulsion d’un parasite.
Serres s’interroge après Spinoza: Qu’est-ce qu’un corps ? « Le corps n’est pas, il peut. Il n’a aucune ontologie, il joue dans le virtuel. » (page 262). Et ce corps, La Fontaine l’incarne par Perrette. A la silhouette si légère. Perrette danse, virevolte, se promène dans le tourbillon des relations. Les prépositions sont des baguettes de fée qui transforment une réalité, la délivre des appartenances.
Le corps n’existe pas. Il est possible, voilà tout. Si jamais il est, alors il chute. Il choie. Il perd la somme de ses déséquilibres. Il est malade. Malade comme une bête. L’animal des Fables, sans la métamorphose, n’est plus qu’un perroquet qui répète la même bêtise. Le corps est par essence déprogrammé. Or la danse figure la gamme infinie de ses métamorphoses. « Plus je pense, moins je suis moi ; plus je sais, plus l’altérité habite en moi » (page 323).
« La Fontaine », Michel Serres, édité et présenté par Jean-Charles Darmon, Le Pommier, 2021
lundi 23 août 2021
Le dortoir des grandes
Osez, osez Joséphine. Osez tous les poèmes de Bashung. Osez Emma Bovary, Albertine Simonet. Osez l’héroïne de roman.
Osez George Sand, Colette, Simone Weil. La liste des pensionnaires du Panthéon témoigne d’un esprit taliban. Il est temps que l’ouvrage de Soufflot devienne le dortoir des grandes. Osez Camille Claudel.
vendredi 20 août 2021
Comme une petite bonne
Biden rapatrie ses bidasses, se sauve d’Afghanistan. Les diplomates se carapatent. L’Amérique fuit manu militari. Ses alliés l’imitent en valets.
La débandade est le visage d’une vieillesse, mal grimée, le rictus d’une civilisation atlantique qui claudique.
L’inculture, le dollar, une morale de bazar n’ont pas suffi à domestiquer une lointaine terre ennemie.
Aucun peuple n’absorbe la démocratie comme un remède de cheval. L’Afghan n’est pas un buvard qui sèche l’encre des discours d’Occident.
L’esprit de revanche, aiguisé par une terreur de lèse-majesté, s’est enlisé dans le projet chimérique, toujours recommencé, d’une pacification post coloniale.
Le sauve-qui-peut mesure l’étendue, la portée d’écho d’un pareil fiasco. L’âge de Biden, sa gestuelle laborieuse, accentue l’impression que « le Grand Satan » est tombé de son cheval.
Go home. L’Amérique est congédiée comme une petite bonne.
dimanche 15 août 2021
Grégoire Dubreuil
Grégoire Dubreuil a choisi la nuit. Un jour, il publia un livre. Puis un autre. Du temps de notre amitié, il me confia un troisième manuscrit : « Heureux les pauvres en esprit ». Texte d’une rare dignité littéraire.
A l’éditeur de qualité qui se désignera, je soumettrai volontiers la liasse de feuillets inédits – cent seize pages -, à son éventuelle attention, à sa juste appréciation.
dimanche 8 août 2021
Burn-août
Je suis fatigué des pâles apparitions du moussaillon de Brégançon. Il manque de Haddock dans la jeune tête à claques qui surgit au premier clic.
Je suis déçu du petit débat des ticheurtes noirs qui complète le grand débat des gilets jaunes. Je voulais du glamour à l’ancienne, du roman-photo de bord de plage.
Le jet-ski ? Déjà abandonné. Aucune suite dans les idées. Je voulais voir le chef par gros temps, les cheveux dans le vent. Fini, rangé des postures, le scooter des mers.
Le petit frère des peuples délaisse son jouet mazouté comme un gosse blasé. Pas envie de purée, cet été.
La pataugeoire ? Ils ont travaillé pour le roi de Prusse, les maçons de Brégançon ? Le toqué de TikTok s’en tamponne le coquillard de son bassin d’eau turquoise.
Même la première dame fuit le voisinage du ponton. La philosophie du confinement, l’un et l’autre, les a secoués de l’intérieur. Alors, ils y restent.
Vieux jeu, je me rabats sur la télé de papa, sur les navets réglementaires d’été. Julie Gayet, comédienne incertaine, fait la tournée des chaînes. Les patrons d’audiovisuel font du zèle à contretemps, se trompent de bonnes manières quinquennales.
En revanche, Brigitte Trogneux est interdite d’antenne, même sur Ciné-Classic. Ses films sont boycottés. La télévision est outrageusement anti-Macron. Où est la liberté dans tout ça?
vendredi 2 juillet 2021
Grand dessein
Un grand dessein vient de loin. Dans son dictionnaire des idées reçues, Flaubert aurait ajouté : « gaullien ». Duras, renchéri : « forcément ».
Je me suis réveillé tôt. J’ai écouté la radio. J’ai retenu les mots : « Ne pas saturer les hôpitaux ». Le grand dessein est un machin de médecins, une machinerie de toubibs qui nous mène au casse-pipe.
Bref, je reste chez moi, même pas mal avec une fièvre de cheval. Je me bourre d’aspirine. Je suis brave. Avant de résilier le téléphone, je réponds à l’enquêtrice. « Non, je n’ai pas saturé l’hôpital de mon quartier ». Je le jure sur la Bible, la tête de Salomon. Je me conforme au grand dessein. Réglo avec les hôpitaux. J’ai bon. Oui, sous Macron, j’avais bon aux questions.
Le dos rond est une stratégie de matou grognon. Que voit-on ? La Rem, reine d’un jour, rose majorette d’une Macronie morose, fille naturelle d’une hautaine Giscardie.
Manu 1er, son roi, fut secoué par la rue, cogné par le virus. Il gouverna par vagues, par mimétisme. Manu le héros s’apparente à Walko, le maillot jaune surprise sous Guy Mollet, l’introuvable champion du Tour de 1956.
Qui se souvient de Walkowiak, de sa gniaque éphémère de lauréat faussaire ?
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