"Là où je t'emmènerai". De Gaulle nous a sans doute menés par le bout du nez. Grand dans l'Histoire, il voyait loin dans l'avenir. Se souvenir de la reconnaissance de la Chine en 1964. Seul au monde. De Gaulle visait l'indépendance nationale. Il décolonisa, industrialisa, installa la République sur des bases stables.
Après lui, Pompidou paracheva l'oeuvre. Il cala la nation sur l'exigence de production. Queue leu leu, avec une myopie de taupes, Giscard, Mitterrand, Chirac et Sarkozy ont raté la marche du grand dessein.
Pas trace chez eux d'un savoir-faire visionnaire. Aucun d'eux ne sut galvaniser les foules vers un vivre-ensemble qui soit une aventure collective.
Hollande emboite le pas de leur modération, de leur déficit d'ambition. Il ne précise pas la destination de la nation. "Où va-t-on ?" s'interroge un pays grognon. Les récents pilotes ont multiplié les tours de périphériques pour mieux masquer l'absence de direction stratégique.
La France roule pépère, pas vraiment tombeau ouvert, sans ressort visionnaire. Qui va se coller à la question du sens, au travail de vision, au labeur présidentiel de la définition d'un horizon ? Le primat de l'économie frappe le pays d'anémie existentielle. De lilliputiennes chicanes d'intendance scandent la vie politique de leaders du dimanche. Au ras des paquerettes, la petite démocratie sécrète l'ennui.
La fin des guerres fratricides d'Occident a démotivé les ardeurs à bâtir, a découragé les esprits à regarder l'avenir. Les joutes franco-allemandes récurrentes et la grande chamaille soviético-américaine ont disparu du champ des compétitions patriotiques. Dans le sillage d'un de Gaulle aujourd'hui sans âge, le cadre d'un nouveau cap exige la paix comme consentement des peuples à vivre en bonne intelligence.
La construction de l'Europe figure en haut de la "short list" des projets générateurs de paix. C'est un exercice malaisé confié à des gratte-papier. L'ouvrage se tricote au ralenti, sans doute à l'envers, les longues soirées d'hiver. Toutes les intendances du "petit cap asiatique" (Valéry) se sont liguées pour tordre le cou au désir de transcendance. La technocratie verrouille l'épicerie.
L'ébauche d'Europe est née de la peur. Staline et Hitler sont les petits pères de notre aire de loisir communautaire. Or la frousse n'est pas nécessairement bonne conseillère. L'entame du siècle réclame un élargissement d'échelle. L'Europe, nain démographique durable, est un format mondial petit bras. "L'Hexagone s'inscrit dans une sphère" (Morand, je crois). On raisonne planète, on travaille internet.
La petite politique de la France est subordonnée aux mouvements erratiques d'un monde unitaire, par-delà ses déclinaisons identitaires. La seule vision du monde qui vaille, c'est le cliché d'un corps céleste bleuté, la Terre, vue du belvédère lunaire. Coup de gong d'Armstrong.
Avec le monde pour seul horizon, la nation tient bien son guidon. Avec en corollaire l'extinction de la misère, l'éradication des guerres, l'abandon d'une dévastation industrielle totalitaire. On rêve, bien sûr. On veut rêver. Car on sort de l'Europe complètement dégrisé. La gueule de bois fait loi. Le besoin d'avenir se fait sentir. Pressante actualité d'un grand dessein, impérieuse nécessité d'un songe de substitution.
La paix dans le monde est un projet révolutionnaire qui a gardé sa fraîcheur. Elle ne se fragmente pas en continents rivaux. La paix, c'est le cap de bonne espérance. "C'est là où tu m'emmèneras". Dignité et prospérité viendront par surcroît.
jeudi 30 août 2012
mardi 28 août 2012
Avoir une vision
Le quinquennat démarre à bout de souffle. Il se traîne. La caravane du changement s'ébranle sans élan. Reviennent aux oreilles les vieux sarcasmes. On dirait des ronds dans l'eau. On songe au pédalo.
Ayrault a conservé sa pâleur d'avant l'été. Il chevrote à la télévision. Sa main tremble comme une feuille. Une feuille de route un peu frêle.
Hollande consulte. Il parcourt des kilomètres d'amabilités, accueille et raccompagne ses visiteurs. Montebourg mime le Chevènement d'antan. Valls jette des yeux noirs. Valls gronde les pauvres. Pas de Valls-hésitation.
Aubry, la mère supérieure d'un socialisme incantatoire, ne lâche pas le magot de la rue de Solferino comme cela. Marie-Ségolène se verrait bien en vert, cheftaine du parti des éoliennes. Bref, rien d'emballant dans le déballage d'egos et la croisière du pédalo.
Le bateau d'Ayrault est encalminé, faute d'activités. Mer d'huile. Les tsunamis sont de l'autre côté de l'horizon.
L'opposition ne se tourne pas les pouces: elle se chamaille. Elle se délecte des querelles de famille. Copé copie Sarko. Il revendique un héritage: l'atavisme de l'activisme. Fillon devise dans les champs, en bordure d'hospice. Il pratique la politique sur une jambe, peut-être même par dessus la jambe. Fillon temporise. Il adopte le même train de sénateur que le président Hollande. La droite, qui a tant raté, n'échappera pas à l'étripage de ses grands sachems. A défaut de faire la planche, Sarko s'emploiera à attiser les braises, s'il le faut.
L'épisode de la viande halal avait scandé l'insipide campagne présidentielle. Le tour de chauffe du quinquennat Hollande s'enlise dans le prix de l'essence à la pompe. A vrai dire, on sent qu'Ayrault n'est pas cap et qu'Hollande n'a pas de cap. Car le cap, c'est bien le problème du capitaine.
On se gargarise souvent d'un mot creux pour définir l'authentique chef d'Etat: la vision. Or nos hommes politiques ont des visières, rarement des visions. A aucun d'eux, de Gaulle n'a transmis son secret du grand dessein. La question de la vision appartient à la mystique du chef. C'est un signe extérieur de sagesse du leader providentiel. Mais c'est aussi un attribut chiche du pouvoir: n'avoir qu'une vision, une seule, quand l'ermite halluciné en perçoit à foison.
Le capitaine de pédalo n'endosse pas nécessairement les mots de son ophtalmo. Il se refuse à chausser des lunettes de sept lieues. Libre à lui. Car le grand homme prévaut par sa vision, un peu comme Jeanne d'Arc s'impose par les voix qu'elle entend. Déjà lassés par l'ennui, nous voulons un chef qui, à défaut d'être visionnaire, entende des voix. Celles des intérêts de la France, par exemple.
Ayrault a conservé sa pâleur d'avant l'été. Il chevrote à la télévision. Sa main tremble comme une feuille. Une feuille de route un peu frêle.
Hollande consulte. Il parcourt des kilomètres d'amabilités, accueille et raccompagne ses visiteurs. Montebourg mime le Chevènement d'antan. Valls jette des yeux noirs. Valls gronde les pauvres. Pas de Valls-hésitation.
Aubry, la mère supérieure d'un socialisme incantatoire, ne lâche pas le magot de la rue de Solferino comme cela. Marie-Ségolène se verrait bien en vert, cheftaine du parti des éoliennes. Bref, rien d'emballant dans le déballage d'egos et la croisière du pédalo.
Le bateau d'Ayrault est encalminé, faute d'activités. Mer d'huile. Les tsunamis sont de l'autre côté de l'horizon.
L'opposition ne se tourne pas les pouces: elle se chamaille. Elle se délecte des querelles de famille. Copé copie Sarko. Il revendique un héritage: l'atavisme de l'activisme. Fillon devise dans les champs, en bordure d'hospice. Il pratique la politique sur une jambe, peut-être même par dessus la jambe. Fillon temporise. Il adopte le même train de sénateur que le président Hollande. La droite, qui a tant raté, n'échappera pas à l'étripage de ses grands sachems. A défaut de faire la planche, Sarko s'emploiera à attiser les braises, s'il le faut.
L'épisode de la viande halal avait scandé l'insipide campagne présidentielle. Le tour de chauffe du quinquennat Hollande s'enlise dans le prix de l'essence à la pompe. A vrai dire, on sent qu'Ayrault n'est pas cap et qu'Hollande n'a pas de cap. Car le cap, c'est bien le problème du capitaine.
On se gargarise souvent d'un mot creux pour définir l'authentique chef d'Etat: la vision. Or nos hommes politiques ont des visières, rarement des visions. A aucun d'eux, de Gaulle n'a transmis son secret du grand dessein. La question de la vision appartient à la mystique du chef. C'est un signe extérieur de sagesse du leader providentiel. Mais c'est aussi un attribut chiche du pouvoir: n'avoir qu'une vision, une seule, quand l'ermite halluciné en perçoit à foison.
Le capitaine de pédalo n'endosse pas nécessairement les mots de son ophtalmo. Il se refuse à chausser des lunettes de sept lieues. Libre à lui. Car le grand homme prévaut par sa vision, un peu comme Jeanne d'Arc s'impose par les voix qu'elle entend. Déjà lassés par l'ennui, nous voulons un chef qui, à défaut d'être visionnaire, entende des voix. Celles des intérêts de la France, par exemple.
lundi 27 août 2012
Le développement friable
Le souvenir fait durer, peut-être pas le plaisir, mais son empreinte éphémère dans la chair. Car la vie est une étourdie qui passe son tour. Elle est sotte à mourir, gaspille son temps à des feux de paille. Ne la sauve qu'une mémoire incertaine qui s'applique à réciter des fables.
La vie échoue dans les grandes largeurs, ne pénètre pas les cathédrales, pyramides et autres bidules des hommes fouettés par la terreur. La vie tourne le dos au développement durable. Elle est venue, elle a vu, elle n'a rien vaincu.
Le souvenir est son meilleur outil. Ce couteau de poche tente le pari insensé de la durée, réconcilie les géographies du présent et du passé, hachure la région comme un seul continent. Il travaille dans le développement friable. Il meurt avec le dépositaire de son mystère.
La mémoire est une nanotechnologie, située au coeur du for intérieur. Elle y stocke nos petites économies de fourmi. C'est le meilleur artifice connu pour prolonger le cours fugitif d'une vie.
Plus performant que toutes les médecines réunies: les bavardages de l'art ou les échafaudages de pierre. Ces thérapeutes de toile et de sable, de sac et de corde, font semblant de nous faire signe. On n'a jamais compris le cri de la pyramide d'Egypte.
La vie échoue dans les grandes largeurs, ne pénètre pas les cathédrales, pyramides et autres bidules des hommes fouettés par la terreur. La vie tourne le dos au développement durable. Elle est venue, elle a vu, elle n'a rien vaincu.
Le souvenir est son meilleur outil. Ce couteau de poche tente le pari insensé de la durée, réconcilie les géographies du présent et du passé, hachure la région comme un seul continent. Il travaille dans le développement friable. Il meurt avec le dépositaire de son mystère.
La mémoire est une nanotechnologie, située au coeur du for intérieur. Elle y stocke nos petites économies de fourmi. C'est le meilleur artifice connu pour prolonger le cours fugitif d'une vie.
Plus performant que toutes les médecines réunies: les bavardages de l'art ou les échafaudages de pierre. Ces thérapeutes de toile et de sable, de sac et de corde, font semblant de nous faire signe. On n'a jamais compris le cri de la pyramide d'Egypte.
jeudi 23 août 2012
L'artiste sans oeuvre
A vrai dire, il est une phrase de Cioran qui définit l'air du temps, les gens qui le respire. "N'avoir rien accompli, mourir en surmené."
Nous avons besogné tout l'été sans rien chanter de très achevé. Oui, l'industrieuse énergie se disperse en confettis. Nous sommes possédés par le démon des serviettes et la diablesse des chiffons. L'épuisement est le juste châtiment du désoeuvrement. Car la gesticulation laborieuse est une grimace du corps, la parodie bouffonne du travail de l'oeuvre.
"N'avoir rien accompli, mourir apaisé". Il est des hommes sans oeuvre dont la copie blanche éclate de splendeur. L'art est fiché dans leur regard. Ils trimbalent leur maîtrise comme des cicatrices. Ils ont dessiné leur vie, stylisé leurs envies.
L'artiste sans oeuvre est concis jusqu'au mutisme. C'est un dandy sans ébauche de rien de précis. Si jamais vous le croisez sur les sentiers, il convient de se décoiffer comme il sied au passage d'une radieuse beauté.
Nous avons besogné tout l'été sans rien chanter de très achevé. Oui, l'industrieuse énergie se disperse en confettis. Nous sommes possédés par le démon des serviettes et la diablesse des chiffons. L'épuisement est le juste châtiment du désoeuvrement. Car la gesticulation laborieuse est une grimace du corps, la parodie bouffonne du travail de l'oeuvre.
"N'avoir rien accompli, mourir apaisé". Il est des hommes sans oeuvre dont la copie blanche éclate de splendeur. L'art est fiché dans leur regard. Ils trimbalent leur maîtrise comme des cicatrices. Ils ont dessiné leur vie, stylisé leurs envies.
L'artiste sans oeuvre est concis jusqu'au mutisme. C'est un dandy sans ébauche de rien de précis. Si jamais vous le croisez sur les sentiers, il convient de se décoiffer comme il sied au passage d'une radieuse beauté.
mercredi 22 août 2012
Rouge
Savoir la couleur comme pressentir un malheur. Savoir la couleur pour vaincre la peur. Savoir la couleur. L'Italie sait le rouge. Elle rit du rire sonore des Ferrari. Un peuple aussi savant confie sa chance, mendie son espérance à la beauté.
Savoir le rouge, comme lire, écrire ou compter. Rouge définitif. Rouge coups de griffes. Le crayon vagabonde dans les bas-fonds vermillon. Tous les ciels bleus d'Italie sont rouges de fièvre panique.
Savoir le rouge, comme lire, écrire ou compter. Rouge définitif. Rouge coups de griffes. Le crayon vagabonde dans les bas-fonds vermillon. Tous les ciels bleus d'Italie sont rouges de fièvre panique.
Journal de Gide
"En ce temps ma parole tenait du chant, ma marche de la danse. Un rythme emportait ma pensée, réglait mon être. J'étais jeune."
André Gide écrit cela le 12 avril 1941. Il séjourne à Nice. Il a 71 ans. Il lui reste dix ans à vivre. En trois phrases, il restitue l'insoucieuse allégresse d'une jeunesse. L'auteur de "Paludes" racle le fond de l'encrier d'où jaillit la nostalgie. L'austère parpaillot sait l'heure brève.
André Gide écrit cela le 12 avril 1941. Il séjourne à Nice. Il a 71 ans. Il lui reste dix ans à vivre. En trois phrases, il restitue l'insoucieuse allégresse d'une jeunesse. L'auteur de "Paludes" racle le fond de l'encrier d'où jaillit la nostalgie. L'austère parpaillot sait l'heure brève.
mardi 21 août 2012
Le monsieur écarlate
Retour à la vie matérielle après les plages et les songes sous les ciels. C'est la rentrée, maintenant, nous murmure au creux de l'oreille le monsieur écarlate, habillé d'une cravate.
L'exercice du pouvoir impose une stricte apparence. Une photo volée dévoile le visage apaisé du monsieur d'avant, l'agité, désormais buriné par l'été, tapissé d'un semblant de barbe négligée.
Le monsieur écarlate recommence ses allers et retours de perron. Il tapote la manche de ses invités. Les pneus crissent sur le gravier de l'Elysée. Le monsieur écarlate est descendu du train, sans valise, les yeux seuls fixés sur la crise.
Il reprend son travail normal d'écriture. Il rédige ses discours au porte-plume, biffe un adjectif, supprime une virgule. Il trouve les mots sur les plans sociaux, convoque le ministre du redressement illico presto.
Le monsieur écarlate s'offense des dérèglements du prix de l'essence. Il a relu Rimbaud. A rêvé d'Abyssinie à l'heure de la Syrie. Il se sait cerner par "l'horreur économique".
L'exercice du pouvoir impose une stricte apparence. Une photo volée dévoile le visage apaisé du monsieur d'avant, l'agité, désormais buriné par l'été, tapissé d'un semblant de barbe négligée.
Le monsieur écarlate recommence ses allers et retours de perron. Il tapote la manche de ses invités. Les pneus crissent sur le gravier de l'Elysée. Le monsieur écarlate est descendu du train, sans valise, les yeux seuls fixés sur la crise.
Il reprend son travail normal d'écriture. Il rédige ses discours au porte-plume, biffe un adjectif, supprime une virgule. Il trouve les mots sur les plans sociaux, convoque le ministre du redressement illico presto.
Le monsieur écarlate s'offense des dérèglements du prix de l'essence. Il a relu Rimbaud. A rêvé d'Abyssinie à l'heure de la Syrie. Il se sait cerner par "l'horreur économique".
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